Absence d’appel immédiat contre l’ordonnance du JME allouant une provision ad litem
Il résulte de l’article 789, 2°, du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et de l’article 795 du même code que si la décision du juge de la mise en état qui a trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier, au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et que le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, est susceptible d’appel immédiat, il n’en est pas de même de la décision qui alloue une provision pour le procès.
Depuis les derniers arrêts marquants rendus en matière de référé-provision (Civ. 2e, 18 juin 2009, n° 08-14.864, Les Souscripteurs des Lloyd’s de Londres (Sté) c/ Syndicat des copropriétaires du 36-38 rue Victor Masse, à Paris, D. 2009. 1761
; ibid. 2069, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis
; 2 juill. 2009, n° 08-17.882 ; dans l’affaire Mediator, Civ. 2e, 29 janv. 2015, n° 13-24.691, Dalloz actualité, 25 févr. 2015, obs. M. Kébir ; Les Laboratoires Servier (Sté), D. 2015. 329
; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle
; RTD civ. 2016. 182, obs. N. Cayrol
), la provision ad litem n’avait plus suscité d’attention particulière. C’est d’autant plus vrai à propos de la provision pour les frais du procès allouée par le juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 789, 2°). Si la provision ad litem anime aujourd’hui peu de discussions, c’est sans doute en raison de la rareté des demandes soumises au juge de la mise en état en dehors des procédures familiales (v. D. Cholet, Compétence matérielle des juridictions de droit commun : le tribunal judiciaire, in S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, 11e éd., Dalloz Action, 2024/2025, spéc. n° 232.921). Pourtant, comme en témoigne l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre 2025, les provisions ad litem ne sont pas l’apanage des conflits familiaux. Surtout, l’arrêt montre que ces provisions soulèvent encore des difficultés non résolues, ce qui pourrait renouveler l’intérêt qui leur est porté.
En l’espèce, une action de groupe est exercée par l’Association d’aide aux victimes des accidents du médicament (l’AAAVAM). Faisant valoir l’existence de dommages à la suite de l’administration d’un médicament, l’association assigne la société Bayer Healthcare, entre autres défendeurs, devant un tribunal de grande instance.
En 2021, la société Bayer Healthcare relève appel de l’ordonnance rendue le 29 avril 2021 par le juge de la mise en état saisi d’un incident aux fins d’expertise par l’association, en ce qu’elle a condamné la société à payer à l’association une provision à valoir sur les frais d’instance d’un montant de 10 000 € et en ce qu’elle a rejeté la demande de la société tendant à subordonner le versement de cette somme à la constitution d’une garantie et réservé les frais irrépétibles et les dépens. Le président de la troisième chambre civile de la Cour d’appel de Douai déclare l’appel irrecevable et, le 16 février 2022, la société Bayer Healthcare défère l’ordonnance du président à la cour d’appel. La requête en déféré est rejetée. Selon la cour d’appel, l’article 795 du code de procédure civile ne s’applique pas aux provisions ad litem, mais aux provisions accordées par le juge de la mise en état au créancier lorsque le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort. La société Bayer Healthcare conteste cette décision et se pourvoit en cassation.
Au soutien du pourvoi de la société, le moyen examiné par la deuxième chambre civile se divise en deux branches. Dans la première branche, la société argue que l’allocation de toute provision par le juge de la mise en état est subordonnée à l’existence d’une obligation non sérieusement contestable. Selon elle, en rejetant la requête en référé alors qu’elle avait reconnu que l’allocation d’une provision ad litem était subordonnée à la démonstration d’une obligation non sérieusement contestable de devoir supporter, au moins en partie, les frais du procès à l’issue de celui-ci, la cour d’appel a méconnu les dispositions de l’article 795 du code de procédure civile. Dans la seconde branche du moyen, la société demanderesse soutient que ce texte ne distingue pas selon la nature de l’obligation non sérieusement contestable en cause, de sorte que son application ne peut être écartée à l’égard des provisions ad litem, subordonnées à l’existence d’une obligation non sérieusement contestable d’avoir à contribuer aux frais du procès.
Les arguments n’emportent pas la conviction de la deuxième chambre civile, qui juge dans l’arrêt rapporté que si la décision du juge de la mise en état accordant une provision au créancier était susceptible d’appel immédiat dès lors que le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, il en va différemment de la décision du juge de la mise en état allouant une provision pour le procès. Selon la Cour de cassation, l’article 795, 4°, du code de procédure civile n’est donc pas applicable à la provision ad litem qu’il peut allouer en vertu de l’article 789, 2°, du même code. De plus, la cour d’appel ayant constaté que l’ordonnance ne relevait pas des autres causes d’appel immédiat prévues par le texte, c’est à juste titre qu’elle a rejeté la requête en déféré. En conséquence, le pourvoi est rejeté.
Dans cette décision, la Cour de cassation procède à une application littérale des articles 789 et 795 du code de procédure civile. Ainsi, la combinaison des deux textes paraît justifier la solution retenue. Cependant, la rigueur de la deuxième chambre civile dans la lecture de l’article 795 du code de procédure civile la conduit à cristalliser les imperfections du texte, ce qui rend, selon nous, la solution discutable.
Une solution justifiée par l’application littérale des articles 789 et 795 du code de procédure civile
Selon la Cour de cassation, l’article 795 du code de procédure civile ne s’applique qu’aux décisions du juge de la mise en état ayant trait aux provisions accordées au créancier lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable (v. déjà en ce sens, Angers, 17 mai 2023, n° 23/00140). A contrario, le texte ne s’applique pas aux décisions allouant une provision pour le procès, lesquelles ne peuvent donc être frappées d’appel qu’avec le jugement statuant sur le fond (C. pr. civ., art. 795, al. 2). La solution repose sur une application littérale des articles 789 et 795 du code de procédure civile opposée à la lecture qui en est retenue dans le pourvoi.
Pour rappel, selon la société Bayer Healthcare, toute provision, quel que soit son objet, ne peut être accordée que si l’obligation dont elle tend à anticiper l’exécution n’est pas sérieusement contestable. Ainsi, la provision accordée au créancier (C. pr. civ., art. 789, 3°) suppose que l’obligation au fond – ici, il s’agirait de l’obligation d’indemnisation – ne soit pas sérieusement contestable et l’allocation d’une provision ad litem (C. pr. civ., art. 789, 2°) serait quant à elle subordonnée à l’obligation non sérieusement contestable de contribuer, même partiellement, aux frais du procès. D’ailleurs, la demanderesse fait valoir la motivation la cour d’appel, selon laquelle « (…) l’allocation d’une [provision pour le procès] suppose que soit démontré qu’il existe à la charge de la partie défenderesse à l’incident une obligation non sérieusement contestable de devoir supporter, au moins en partie, les frais du procès à l’issue de celui-ci ». Or, l’article 795, 4°, du code de procédure civile prévoit que l’appel immédiat est ouvert à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état lorsqu’elles ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort. Puisque le texte ne précise pas quelle obligation est visée, la société en déduit qu’il ne distingue pas selon que la provision est accordée en raison du caractère non contestable de l’obligation au fond ou de l’obligation de contribuer aux frais du procès, de sorte qu’il n’exclut pas la provision accordée sur le fondement de cette dernière. Partant, elle retient une lecture relativement souple du texte, offrant à celui-ci un champ d’application suffisamment large pour y inclure les provisions ad litem.
À vrai dire, si l’on comprend le raisonnement de la demanderesse, sa position nous semble s’inscrire dans une logique propre au référé. En effet, les articles du code de procédure civile qui régissent les ordonnances de référé ne prévoient pas de disposition propre à l’allocation de la provision ad litem. Néanmoins, l’article 835 du code de procédure civile disposant, en son second alinéa, que le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable (C. pr. civ., art. 809, al. 2, jusqu’au 1er janv. 2020), la provision ad litem est habituellement accordée, en référé, sur le fondement de ce texte. Or, puisque l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une provision à l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, la jurisprudence considère que cette condition s’applique à la provision ad litem et juge d’ailleurs, à cet égard, que l’obligation dont le caractère non sérieusement contestable doit être établi n’est pas celle de contribuer aux frais du procès, mais l’obligation au fond (v. not., Civ. 2e, 29 janv. 2015, n° 13-24.691, préc.). Par conséquent, en matière de référé, l’allocation de la provision ad litem emprunte le fondement du référé-provision et demeure soumise aux mêmes conditions que la provision accordée au créancier pour anticiper sur ce qui sera décidé au fond.
Mais ce rapprochement entre les deux catégories de provisions et, surtout, les conditions auxquelles leur octroi est subordonné, paraît difficilement justifiable lorsque la décision émane du juge de la mise en état. En effet, l’article 789 du code de procédure civile distingue, de façon explicite, la provision allouée pour le procès (C. pr. civ., art. 789, 2°) de la provision accordée au créancier lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable (C. pr. civ., art. 789, 3°), toutes deux relevant de la « compétence » exclusive du juge de la mise en état désigné. Or, la condition d’une obligation non sérieusement contestable n’est expressément prévue qu’à l’égard de la provision accordée au créancier sur sa créance. Elle n’est en revanche pas requise par le texte en matière de provision ad litem. À cela, il faut ajouter que l’article 795, 4°, du même code ouvre l’appel immédiat, selon ses termes, à l’égard de l’ordonnance du juge de la mise en état ayant trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Puisque seule la provision prévue à l’article 789, 3°, du code de procédure civile est concernée par cette condition – et non la provision ad litem –, il faut en déduire que seule la décision du juge de la mise en état ayant trait à l’octroi d’une provision sur la créance est susceptible d’appel immédiat, quand bien même l’article 795, 4°, dudit code ne précise pas de quelle obligation il est question. Autrement dit, la lettre des articles 789 et 795 du code de procédure civile conduit à exclure la possibilité d’un appel immédiat à l’encontre de la décision du juge de la mise en état allouant une provision ad litem et, partant, à justifier la décision de la deuxième chambre civile.
Néanmoins, bien que justifiée, la solution n’en demeure pas moins discutable en ce qu’elle cristallise d’importantes imperfections dans la rédaction de l’article 795 du code de procédure civile.
Une solution discutable au regard des imperfections de l’article 795 du code de procédure civile
En principe, lorsque la décision statuant sur l’allocation d’une provision ad litem émane du juge des référés, elle est susceptible d’appel sans que l’appelant soit contraint d’attendre la décision statuant sur le fond (C. pr. civ., art. 490). En revanche, lorsque, dans le cours d’une instance au fond, le juge de la mise en état est désigné et alors qu’il est exclusivement « compétent » pour statuer sur l’allocation de la provision pour le procès (C. pr. civ., art. 789, 2°) – ce qui tend à exclure la saisine concurrente du juge des référés –, la décision ne peut faire l’objet d’un appel qu’avec le jugement statuant sur le fond selon la solution retenue par la deuxième chambre civile dans l’arrêt rapporté.
La différence de traitement entre l’ordonnance du juge des référés et celle du juge de la mise en état tient donc à ce que l’article 795 du code de procédure civile ne vise que les provisions accordées au créancier lorsque l’obligation n’est pas contestable et non les provisions allouées pour le procès. Toutefois, l’application littérale du texte révèle ici son imperfection. En effet, si l’article 795, 2°, du code de procédure civile ne fait pas mention de la provision ad litem, ce silence nous paraît manquer de cohérence au regard des dispositions du 3° du même article.
Pour s’en convaincre, il convient, dans un premier temps, de rappeler la généralité de l’article 789, 2°, du code de procédure civile et sa coexistence avec l’article 255, 6°, du code civil relatif aux mesures provisoires dans les procédures de divorce (et de séparation de corps, C. civ., art. 298). Tandis que le premier texte permet au juge de la mise en état d’allouer une provision pour le procès en toute matière (Paris, 30 mai 2008, n° 07/21346), le second prévoit la possibilité pour le juge de la mise en état (dont les fonctions, en matière familiale, sont exercées par le juge aux affaires familiales en vertu de l’article 1073, al. 1er, c. pr. civ.) de statuer sur la provision pour frais d’instance que l’un des époux devra verser à son conjoint au titre des mesures provisoires prononcées pour le temps de la procédure. Ainsi, il résulte de l’articulation des deux textes qu’il n’existe pas de spécificité propre à la matière conjugale quant à la demande de provision ad litem, qui doit, en toute hypothèse, être portée devant le juge de la mise en état lorsqu’il est désigné au cours de l’instance au fond devant le tribunal judiciaire.
Pourtant, il faut constater, dans un second temps, qu’il existe bien une différence quant aux voies de recours ouvertes contre la décision rendue par le juge. En effet, l’article 795 du code de procédure civile dispose, en son 3°, que les décisions du juge de la mise en état sont immédiatement susceptibles d’appel lorsqu’elles ont trait aux mesures provisoires ordonnées en matière de divorce ou de séparation de corps. Cela implique donc qu’est susceptible d’appel immédiat… la décision du juge de la mise en état statuant sur la provision ad litem au cours de la procédure de divorce ou de séparation de corps ! Partant, lorsque la décision du juge de la mise en état allouant une provision ad litem est rendue dans le contexte d’une instance en divorce ou en séparation de corps, elle est immédiatement susceptible d’appel. Autrement, l’appel est différé.
Cela étant dit, il paraît difficile de penser que la distinction entre la provision ad litem en matière de divorce ou de séparation de corps et la provision ad litem dans les autres matières qui s’évince du texte est volontaire. En effet, l’on peine à déceler l’intérêt, pour le demandeur, d’un appel différé lorsque le juge de la mise en état aura rejeté la demande de provision et ce, quelle que soit la matière du litige. Au demeurant, la provision ad litem vise à « garantir à la partie demanderesse la possibilité d’organiser sa défense dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (v. Y. Strickler, Pour une nouvelle approche de la provision ad litem, D. 2013. 2588
). C’est là l’objectif d’une telle provision, qu’elle soit allouée par le juge des référés ou par le juge de la mise en état, en matière de divorce ou de séparation de corps comme dans un litige relatif aux dommages liés à l’administration d’un médicament.
Toutefois, il faut préciser qu’en l’espèce, la société entendait interjeter immédiatement appel contre la décision du juge de la mise en était qui avait accueilli la demande de provision ad litem. Ne répondant logiquement qu’à la question qui est posée, la deuxième chambre civile affirme que « la décision [du juge de la mise en état] qui alloue une provision pour le procès » n’est pas susceptible d’appel immédiat. Au regard de ce qui précède, il convient donc de nuancer la critique, celle-ci n’étant véritablement pertinente qu’à l’aune d’une question à laquelle la Cour de cassation n’a, pour l’heure, pas répondu. Aurait-elle adopté la même position à l’égard de la décision qui refuse d’allouer une provision pour le procès ? L’on ne peut l’affirmer avec certitude, mais il y a lieu de le penser, car l’on ne voit pas quel pourrait être le fondement permettant l’exercice de l’appel immédiat dans une telle hypothèse… sachant que l’article 795, 4°, du code de procédure civile demeure, quoi qu’il en soit, réservé à « la décision du juge de la mise en état qui a trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier, au cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable et que le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort ». La voie de l’appel-nullité (ou appel restauré) pourrait éventuellement permettre au plaideur d’agir immédiatement, mais il faut rappeler qu’emprunter cette voie suppose de démontrer l’existence d’un excès de pouvoir du juge (Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153, Resotim (Sté) c/ Bon puits I (Sté), D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero
; AJDI 2005. 414
).
Du reste, considérer que les dispositions de l’article 795, 4°, du code de procédure civile incluent les décisions qui concernent les provisions ad litem aurait permis de préserver la possibilité d’un appel immédiat contre la décision du juge de la mise en état qui refuse d’allouer une telle provision. Mais la deuxième chambre civile se serait alors confrontée à la difficulté de préciser l’obligation non sérieusement contestable à laquelle est subordonnée l’allocation d’une provision ad litem dans le contexte de la mise en état.
En définitive, si la solution retenue par la Cour de cassation traduit une application rigoureuse des dispositions des articles 789, 2° et 795, 4°, du code de procédure civile, elle pourrait s’avérer difficilement compréhensible pour le plaideur à qui le juge de la mise en état a refusé d’allouer une provision ad litem. D’ailleurs, il n’est pas à exclure que la rigidité du dispositif, mis en évidence par l’arrêt du 11 septembre 2025, inspire à l’avenir une nouvelle modification des dispositions de l’article 795 du code de procédure civile (récemment modifiées par le décr. n° 2024-673 du 3 juill. 2024). Dans cette idée, la provision ad litem pourrait monter à bord d’un prochain Magicobus !
Civ. 2e, 11 sept. 2025, F-B, n° 22-23.162
par Odélia Faugère, Maître de conférences LRU, membre de l'EMRJ, Université de Corse
© Lefebvre Dalloz