Absence de recours subrogatoire de l'assureur automobile contre le passager fautif du véhicule qu'il assure

Il résulte de l’article L. 211-1, alinéas 1 à 3 du code des assurances que l’assureur automobile ayant indemnisé la victime d’un accident de la circulation ne peut exercer de recours subrogatoire contre les passagers du véhicule dont il est tenu de garantir la responsabilité civile, même en cas de faute de leur part.

Le conducteur d’une motocyclette ayant trouvé la mort en heurtant un feu tricolore après avoir entrepris une manœuvre de dépassement, par la droite, d’un autre véhicule, l’assureur automobile ayant indemnisé les préjudices subis par ses proches avait assigné en garantie un passager dudit véhicule, en raison de sa faute ayant consisté, au moment de la manœuvre, à tendre un bras par la fenêtre pour jeter la cendre de sa cigarette. En ce sens, la cour d’appel avait condamné in solidum ce passager et son assureur de responsabilité à relever et garantir intégralement le conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et son assureur de la condamnation prononcée à leur encontre. L’arrêt est cassé pour violation de l’article L. 211-1 du code des assurances. Dans la décision commentée ayant les faveurs du Bulletin, la deuxième chambre civile énonce effectivement qu’il résulte des trois premier alinéas de ce texte « qu’après avoir indemnisé la victime d’un accident de la circulation sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 en raison de l’implication du véhicule objet de l’assurance, l’assureur, tenu de garantir également la responsabilité civile des passagers de ce véhicule, ne peut exercer de recours subrogatoire contre ces derniers » pour retenir en l’espèce que ledit passager « ne pouvait pas faire l’objet d’un recours subrogatoire, de la part de [l’]assureur [automobile], à raison de la faute qu’il avait commise ».

Recours subrogatoire de l’assureur automobile contre son assuré

Par le passé, la Cour de cassation avait déjà exclu que l’assureur automobile puisse exercer un recours subrogatoire contre le conducteur ou gardien fautif, lorsque la conduite du véhicule n’a pas été obtenue contre le gré du propriétaire (Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.409, Dalloz actualité, 27 sept. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 2223  ; ibid. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon  ; RCA 2013. 391, note Groutel ; RGDA 2014. 113, note Landel ; LEDA oct. 2013, p. 2, note Abravanel-Jolly ; 5 nov. 2020, n° 19-17.062, Dalloz actualité, 25 nov. 2020, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2021. 222 , note F. Gréau  ; RTD civ. 2021. 424, obs. P. Jourdain  ; RCA 2021. Comm. 35 et Chron. 4, obs. Groutel ; RGDA 2020. 41, note Landel). Et pour cause, la responsabilité civile des conducteur et gardien, tout comme celle des passagers du véhicule impliqué dans un accident de la circulation est obligatoirement couverte par le contrat d’assurance automobile obligatoire, en vertu du deuxième alinéa de l’article L. 211-1 du code des assurances. C’est ainsi parce que, comme les conducteur et gardien, les passagers sont obligatoirement ses assurés (le cas échéant pour compte), que l’assureur automobile ne dispose d’aucun recours subrogatoire à leur encontre, sauf à « nier l’un des dogmes sur lequel repose l’assurance » (H. Margeat et J. Landel, note sous Civ. 1re, 12 juin 1990, RGAT 1990. 574) ou, comme l’invoquaient en l’espèce le passager et son assureur de responsabilité, « sauf à dénaturer le principe même de sa garantie contractuelle ».

Au-delà, les arrêts précités semblaient aussi fonder cette solution sur l’adage specialia generalibus derogant, à travers une interprétation restrictive de l’article L. 211-1, alinéa 3, du code des assurances. Reformulant ce dernier pour lui faire dire que « l’assureur [n’est/ne peut être] subrogé dans les droits que possède le créancier de l’indemnité contre la personne responsable de l’accident que lorsque la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire », la deuxième chambre civile ajoutait qu’il en résultait « que l’assureur qui entend exercer un recours contre le conducteur [ou le gardien] d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation pour obtenir le remboursement des indemnités allouées aux victimes de cet accident ne peut agir que sur le fondement de ce texte, à l’exclusion du droit commun ». Contrairement à ce qui ressortait de cette reformulation, toute subrogation de l’assureur automobile contre une « personne responsable de l’accident » ne saurait cependant être subordonnée à ce que la garde ou la conduite du véhicule ait été obtenue contre le gré du propriétaire (et donc fondée sur le seul art. L. 211-1, al. 3, c. assur.). Il n’en va ainsi que du recours subrogatoire dont il dispose, en vertu de ce texte, contre ses « assurés », que sont notamment le conducteur et le gardien du véhicule. Encore une fois, c’est cette qualité d’assuré qui empêche, en principe, l’assureur de se retourner contre le conducteur, le gardien ou encore le passager du véhicule (v. égal. en ce sens, Civ. 1re, 27 janv. 2004, n° 02-17.139, RCA 2004. 102, note Groutel ; RGDA 2004. 424, note Landel) – ce principe étant assorti d’une exception édictée à l’article L. 211-1, alinéa 3, du code des assurances, qui fait de ces derniers, lorsque la garde ou la conduite a été obtenue contre le gré du propriétaire, de « faux assurés » et de l’assureur automobile un garant, comme dans le cas des exceptions inopposables aux tiers victimes (sur ce point, v. spéc. L. Mayaux, L’assureur est-il un garant ?, in Droit et économie de l’assurance et de la santé. Mélanges Lambert-Faivre, Dalloz, 2002, p. 281). À cet égard, notons cependant que la Cour de cassation distingue le recours subrogatoire ouvert par l’article L. 211-1, alinéa 3 du recours en remboursement prévu par l’article R. 211-13, dernier alinéa (Civ. 1re, 17 nov. 1998, n° 96-17.461 P, RCA 1999. Comm. 19 et Chron. 2, obs. H. Groutel ; RGDA 1999. 132, note Landel ; 23 sept. 2003, n° 02-11.316, RCA 2003. 327, obs. Groutel ; RGDA 2004. 88, note Landel).

Dans l’arrêt ici commenté, la deuxième chambre civile délaisse ce fondement superflu et se cantonne à citer la lettre exacte de l’article L. 211-1, alinéa 3, ce qui peut être approuvé. La solution pourrait cependant être améliorée en ce qu’elle énonce, sans distinction, que « l’assureur, tenu de garantir également la responsabilité civile des passagers de ce véhicule, ne peut exercer de recours subrogatoire contre ces derniers ». Ces termes laissent effectivement entendre que l’assureur automobile ne dispose d’un tel recours en aucun cas. Pourtant, dès lors que la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire, l’article L. 211-1, alinéa 3, lui ouvre un recours subrogatoire « contre la personne responsable de l’accident », et non seulement contre le gardien ou le conducteur non autorisé. S’il apparaît, comme semble-t-il en l’espèce, que le passager a commis une faute, cela devrait donc lui permettre d’« exercer un recours subrogatoire contre ce dernier » lorsque la garde ou la conduite a été obtenue contre le gré du propriétaire. La formulation (maladroite) ici retenue s’explique probablement par le fait, qu’en l’espèce, la conduite n’avait pas été obtenue contre le gré du propriétaire. Partant, l’assureur automobile ne pouvait effectivement pas agir contre le passager, qui était son assuré, y compris sur le fondement de sa faute. Mais ne pourrait-il trouver son salut auprès de l’assureur de responsabilité de ce dernier ?

Recours de l’assureur automobile contre l’assureur de responsabilité de son assuré

En présence, comme en l’espèce, non seulement d’un assureur automobile, mais aussi d’un autre assureur de responsabilité et d’une faute du passager, il peut paraître « anormal de laisser toute la charge du sinistre à l’assureur automobile » (M. Ehrenfeld, Les limites de la subrogation de l’assureur RC automobile, Gaz. Pal. 2 mars 2021, p. 54. Rappr., raisonnant à partir de la situation du responsable et au regard de l’économie générale du système d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, F. Gréau, Le recours restreint de l’assureur du véhicule contre le gardien occasionnel : illustration des travers de l’assurance de responsabilité civile dans le régime des accidents de la circulation, D. 2021. 222). En outre, la Cour de cassation a pu affirmer, dans un tout autre domaine, que si une compagnie d’assurance « ne pouvait exercer aucun recours contre ses assurés [pour compte], elle pouvait, après paiement, et en vertu des règles relatives à la subrogation légale, exercer son recours contre les assureurs de ces derniers » (Civ. 3e, 17 déc. 2003, n° 00-15.006 P, RDI 2004. 69, obs. G. Leguay  ; Gaz. Pal. 13 juill. 2004, p. 10 ; RCA 2004. 107, obs. H. Groutel). On peine cependant à trouver sur quel fondement il pourrait en aller de la sorte.

Certes, après avoir indemnisé la victime d’un dommage, tout assureur de responsabilité bénéficie d’une subrogation dans les droits de son assuré, fondée sur l’article L. 121-12 du code des assurances et d’une subrogation dans les droits de la victime, qui devrait être fondée sur les articles 1346 et suivants du code civil (v. en ce sens, A. Pélissier, Pour une articulation plus claire des subrogations légales, RGDA déc. 2015. 547) même si la jurisprudence tend à appliquer, là aussi, la subrogation légale spéciale du code des assurances. Reste que, dans l’hypothèse qui nous est présentée, il n’y a, a priori, d’autres responsables que les assurés automobile. Et le passager est peut-être responsable sur deux fondements distincts (du fait de l’implication du véhicule dans l’accident, d’une part, du fait de sa faute, d’autre part), mais il s’agit d’une seule et même personne. Il ne saurait donc constituer, de même que son assureur de responsabilité, un « tiers » au contrat d’assurance automobile qui « par [son] fait, [a] causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur », selon les termes de l’article L. 121-12. Par ailleurs, quel que soit son fondement, la subrogation dans les droits de la victime ne peut donner à l’assureur automobile plus de droits que celle-ci n’en détient. Or, du fait de l’exclusivité du régime d’indemnisation instauré par la loi Badinter, celle-ci ne peut agir que contre un assureur automobile. Ce dernier ne devrait donc, en tant que subrogé dans les droits de la victime et y compris sur le fondement de son action directe, pouvoir agir contre l’assureur de responsabilité du passager (contra J. Landel, Pas de recours subrogatoire de l’assureur contre le conducteur ou le gardien du véhicule assuré, sauf en cas de conduite ou de garde contre le gré du propriétaire, RGDA déc. 2020. 41).

Quant à un recours en contribution fondé sur l’article L. 124-1 du code des assurances, qui a pu être invoqué comme fondement, préférable à la subrogation, de la solution retenue dans l’arrêt précité de 2003 (H. Groutel, obs. préc.), il sera probablement écarté à défaut de réunion des conditions du cumul d’assurances. Outre l’exigence d’unicité de souscripteur (depuis Civ. 1re, 21 nov. 2000, n° 98-11.891, JCP E 2001. 1134, obs. Courtieu ; RCA 2001. Comm. 63 et Chron. 5, obs. Groutel ; RGDA 2001. 1052, note Kullmann), qui n’est pas plus remplie dans la présente affaire que dans celle ayant donné lieu à l’arrêt de 2003, l’exigence d’identité d’objet et de risque pourrait ici faire défaut. En effet, bien que les deux contrats couvrent la responsabilité du passager, l’un garantit sa responsabilité du fait de l’implication d’un VTM dans un accident de la circulation, tandis que l’autre garantit sa responsabilité pour faute.

Condamné à indemniser la victime, l’assureur automobile pourrait donc bien être définitivement tenu à la dette…

 

© Lefebvre Dalloz