Absence de résiliation du bail faute de créances postérieures impayées au jour où le juge-commissaire statue
Le juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, doit s’assurer, au jour où il statue, que de tels loyers et charges demeurent impayés ; à défaut, la demande doit être rejetée.
Parce qu’il permet à celui qui n’est pas propriétaire de l’immeuble dans lequel il exerce son activité d’y exploiter son entreprise, le bail des locaux professionnels – qu’il s’agisse par exemple d’un bail commercial (C. com., art. L. 145-1 s.), rural (C. rur., art. L. 411-1 s.) ou professionnel (Loi n° 86-1290 du 23 déc. 1986, tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, art. 57 A s.) – revêt souvent, sinon toujours, une importance capitale (F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives. Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, 6e éd., préf. J. Monéger, LexisNexis, 2023, n° 5). Pour cette raison, le droit des procédures collectives lui dédie des règles spécifiques dérogatoires à celles qui gouvernent la continuation et la résiliation des contrats en cours (C. com., art. L. 622-14 et L. 641-12). En substance, ce régime spécial consiste à faciliter au maximum la poursuite du contrat et, par symétrie, à compliquer autant que possible sa résiliation à l’initiative du bailleur, ce que vient accentuer l’arrêt ci-dessus référencé, promis à la publication.
En l’espèce, le preneur d’un local commercial est placé en redressement judiciaire. Quelques mois avant l’adoption d’un plan de redressement, le bailleur sollicite la constatation de la résiliation du bail en raison du défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture. Le juge-commissaire saisi à cet effet, et à sa suite le tribunal puis la cour d’appel, rejettent la demande au motif que le débiteur a versé les sommes dues la veille du dépôt de la requête du bailleur. Ce dernier se pourvoit alors en cassation, en soutenant que la constatation de la résiliation de plein droit du contrat ne pouvait être refusée dès lors que des loyers relatifs à une période d’occupation postérieure au jugement d’ouverture demeuraient impayés à l’expiration du délai de trois mois, courant à partir de cette décision, au cours duquel une régularisation peut intervenir.
Le pourvoi est rejeté. D’après la Cour de cassation, il résulte du jeu concomitant des articles L. 622-14 et R. 622-13 du code de commerce que le juge-commissaire saisi d’une telle demande doit s’assurer, au jour où il statue, que des loyers et charges correspondant à une période d’occupation postérieure au jugement d’ouverture restent impayés. De sorte que la requête du bailleur doit être rejetée lorsque celui-ci en a reçu paiement le jour même de la saisine du juge-commissaire, la créance de loyers étant éteinte pour avoir été acquittée par le preneur. C’est dire que selon la présente décision, la régularisation des impayés peut s’effectuer jusqu’au jour où le juge statue, quoique cette date soit par hypothèse postérieure au terme du délai de trois mois qui court à compter du jugement d’ouverture.
Certes, en adoptant une telle lecture, l’arrêt rapporté peut-il s’autoriser de l’esprit de la législation en la matière. Mais même si elle répond aux objectifs poursuivis par cette dernière, la solution paraît techniquement difficile à justifier, et pourrait à ce titre être réprouvée, en ce que la régularisation des impayés semble ici admise en dépit, non seulement de la lettre du texte légal, mais surtout du caractère de la résiliation en cause.
Une régularisation admise en dépit de la lettre du texte
À partir du moment où le bail a fait l’objet d’une option de continuation régulière, et même en l’absence de toute option en cas de procédure de sauvetage ou de liquidation judiciaire avec poursuite provisoire d’activité, les créances de loyers nées après le jugement d’ouverture bénéficient du traitement préférentiel et doivent en tant que telles être payées à l’échéance (C. com., art. L. 622-17 et L. 641-13). Si le régime général des contrats en cours était applicable, le bail pourrait alors être assez facilement résilié, voire le devrait en présence d’une option de continuation régulière, dans l’hypothèse d’un défaut de paiement de ces créances (C. com., art. L. 622-13, III et L. 641-11-1, III). Pour éviter les affres d’une telle radicalité, le législateur a exclu l’application des règles normales de résiliation des contrats en cours (C. com., art. L. 622-14, al. 1er et L. 641-12, al. 1er) au profit d’un système destiné à maintenir un certain équilibre entre les intérêts du bailleur et ceux du preneur ou de sa procédure collective.
C’est ainsi qu’en cas de défaut de paiement de loyers et charges afférents à une période d’occupation postérieure, le bailleur est soumis à un délai d’inertie, qui lui interdit d’agir pendant trois mois à compter du jugement d’ouverture pour obtenir ou faire constater la résiliation du contrat (C. com., art. L. 622-14, al. 3 et L. 641-12, al. 4). Mais afin qu’il ne représente pas in fine qu’un moyen de retarder l’inévitable, ce délai peut avant tout servir à régulariser les impayés. L’article L. 622-14 du code de commerce prévoit en effet qu’il n’y a pas lieu à résiliation si « le paiement des sommes dues intervient avant l’expiration de ce délai ». Ce dont il résulte, a contrario, que le bail est résilié si le versement de ces sommes n’intervient pas avant l’expiration du délai d’attente, ce qui est le cas lorsqu’aucun paiement n’intervient ou quand il n’intervient qu’après le terme de ce délai.
Telle n’est pourtant pas la lecture de la Cour. En affirmant que le juge-commissaire doit vérifier que des loyers et charges postérieurs demeurent impayés au jour où il statue – qui survient par définition après le terme du délai d’inertie – de telle manière que la demande de constatation de résiliation doit être rejetée si les créances ont été acquittées à cette date, elle décide nécessairement qu’il n’y a pas lieu à résiliation alors même que les sommes dues ont pu ne pas être réglées avant l’expiration de ce délai, mais, comme en l’espèce, après. Ainsi, à rebours de ce qu’indique le texte, le présent arrêt dissocie-t-il le délai d’attente et la période de régularisation, puisque celle-ci ne dure plus trois mois à partir du jugement d’ouverture, mais s’étend de l’ouverture jusqu’au jour où le juge statue.
Au regard du raisonnement a contrario exposé précédemment, cette solution paraît donc contraire à la lettre du texte. Cela étant, deux éléments permettraient de considérer qu’elle n’est pas tout à fait contra legem.
Le premier tient aux préceptes de la logique formelle. La règle de la régularisation s’exprime en législation à travers le rapport d’implication suivant : « si le paiement des sommes dues intervient avant l’expiration du délai d’inertie, alors il n’y a pas lieu à résiliation ». Or, en toute rigueur, il ne devrait pas être possible d’en inférer que « si le paiement des sommes dues n’intervient pas avant l’expiration du délai d’inertie, alors il y a lieu à résiliation ». Un tel raisonnement serait constitutif d’un paralogisme prenant la forme de ce que l’on nomme une « négation de l’antécédent » (L. Bouquiaux et B. Leclercq, Logique formelle et argumentation, 3e éd., De Boeck Supérieur, 2017, p. 32). Pour que ce raisonnement soit déductivement correct, il faudrait que le texte précise que c’est seulement si la régularisation intervient avant l’expiration du délai d’attente qu’il n’y a pas lieu à résiliation (H. Rabault, La logique juridique, Dalloz, 2024, p. 63). Et sous cet angle, la position de la Haute juridiction serait valide.
Une telle conclusion se heurte néanmoins à un obstacle non négligeable. Le simple fait que le législateur ait choisi d’indiquer, non qu’il n’y a pas lieu à résiliation si les impayés sont régularisés, mais que le bail n’est pas résilié si cette régularisation intervient « avant l’expiration de ce délai », suggère bien que ce n’est qu’en cette occurrence que la résiliation est évitée.
Le second élément tient quant à lui au fait que malgré le libellé du texte, la solution retenue serait admissible en matière de résiliation judiciaire. En droit commun, il est effectivement acquis que lorsqu’elle est demandée, la résolution, ou la résiliation (C. civ., art. 1229), doit être écartée par le juge si le débiteur effectue un paiement avant qu’elle ne soit prononcée (Civ. 3e, 31 mars 2005, nos 03-16.524, AJDI 2005. 665
et 03-16.758 FS-P+B). Et à cette aune, l’arrêt rapporté ne serait en réalité qu’une application du régime de droit commun.
Mais outre que l’on pourrait objecter que l’article L. 622-14 fait précisément obstacle à une telle voie de régularisation, cette dernière ne vaut en tout état de cause que pour la résiliation judiciaire. Ce qui signifie que même en faisant abstraction de la lettre du texte, cette décision attente à l’orthodoxie juridique en admettant la régularisation des impayés en dépit du caractère de la résiliation en cause.
Une régularisation admise en dépit du caractère de la résiliation
Contrairement à ce qu’insinue la disposition légale en énonçant que le bailleur demande la résiliation ou la fait constater, il n’existe pas deux, mais trois voies de résiliation d’un bail pour des causes financières postérieures au jugement d’ouverture (F. Kendérian, op. cit., n° 110).
La première est celle de la résiliation judiciaire. Demandée au juge du fond naturel, elle laisse à ce dernier un pouvoir d’appréciation dans la mesure où il ne peut la prononcer si l’inexécution alléguée n’atteint pas un degré suffisant de gravité (C. civ., art. 1224). Surtout, l’extension à son égard du principe de solution ici arrêté, consistant à écarter la résiliation si les impayés ont été régularisés au jour où le juge statue, pourrait se justifier compte tenu du régime qui s’y attache en droit commun.
La deuxième voie est celle de la résiliation de plein droit conventionnelle, qui résulte du jeu d’une clause résolutoire stipulée au bail. S’il entend s’en prévaloir, le bailleur est alors tenu de suivre la procédure de droit commun. D’abord, il doit délivrer au débiteur ou à l’organe chargé de la gestion de l’entreprise un commandement de payer (Com. 28 juin 2011, n° 10-19.331 F-D, Dalloz actualité, 18 juill. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
). Ensuite, si ce dernier reste infructueux pendant un mois (C. com., art. L. 145-41), la clause de résiliation de plein droit produit effet et le bailleur doit saisir le juge des référés pour en faire constater l’acquisition. Or, en fait de clause résolutoire, le juge ne peut rejeter la demande de constatation de la résiliation au motif que le débiteur a régularisé les impayés, au titre desquels la clause s’est déclenchée, après qu’elle a joué (Civ. 3e, 18 févr. 1998, n° 96-13.336 F-D). Si bien qu’a priori, le présent arrêt contrarierait le principe de la résiliation de plein droit conventionnelle.
En réalité, le propos doit être nuancé. D’une part, il n’est pas certain que cette décision puisse concerner la demande de constatation d’une résiliation conventionnelle, puisque la Cour de cassation évoque uniquement le juge-commissaire – le bailleur ne s’étant pas prévalu d’une clause résolutoire –, et que ce n’est pas lui, mais le juge des référés, qui connaît d’une telle demande. D’autre part, lorsque le bailleur sollicite la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial, l’obligation de constater la résiliation disparaît, en ce que le juge peut accorder des délais de paiement au débiteur et suspendre les effets de la clause (Com. 6 déc. 2011, n° 10-25.689 F-P+B, Dalloz actualité 16 déc. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
; AJDI 2012. 264
, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
), sachant qu’elle est neutralisée si le preneur se libère dans les conditions fixées par le juge (C. com., art. L. 145-41). Ce qui constitue déjà une entorse à l’idée même de résiliation de plein droit conventionnelle et, à supposer qu’elle vaille aussi pour cette dernière, ôte à la solution adoptée une partie de son intérêt.
La dernière voie est celle de la résiliation de plein droit légale, qui joue du seul fait d’un défaut de paiement et a été dégagée par la jurisprudence sur la base de la compétence reconnue au juge-commissaire pour constater la résiliation du bail (C. com., art. R. 622-13 et R. 641-21). À côté de la procédure classique devant le juge des référés, il existe en effet une procédure spécifique et autonome par laquelle le bailleur saisit le juge-commissaire aux fins de constatation de la résiliation de plein droit sans pour autant revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire (Com. 9 oct. 2019, n° 18-17.563 FS-P+B+I, Dalloz actualité, 16 oct. 2019, obs. A. Lienhard ; D. 2019. 2208, chron. S. Barbot, C. de Cabarrus et A.-C. Le Bras
; ibid. 2020. 1541, obs. M.-P. Dumont
; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; AJDI 2019. 900
, obs. J.-P. Blatter
; AJ contrat 2020. 45, obs. M. Tirel
; Rev. sociétés 2019. 784, obs. F. Reille
; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille
; ibid. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
; 15 janv. 2020, n° 17-28.127 F-D, D. 2020. 1023
, note S. Tisseyre
; AJDI 2020. 615
, obs. J.-P. Blatter
; AJ contrat 2020. 250, obs. M. Tirel
). Le régime auquel obéit cette dernière étant par conséquent inapplicable, la délivrance d’un commandement de payer ne s’impose pas (Civ. 3e, 24 nov. 2021, n° 20-20.793 F-D) et le juge-commissaire ne peut en suspendre les effets ni accorder de délais de paiement (Com. 18 mai 2022, n° 20-22.164 FS-B, Dalloz actualité, 13 juin 2022, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2022. 990
; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont
; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno
; AJDI 2023. 27
, obs. Mehdy Abbas Khayli
; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon
; ibid. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon
; RTD com. 2022. 465, obs. F. Kendérian
).
S’agissant donc d’une résiliation de plein droit légale, pour laquelle aucun système analogue à celui qui régit la résiliation conventionnelle n’est prévu, sa mise à l’écart en raison d’une régularisation des impayés est normalement inconcevable eu égard au principe même d’une résiliation de plein droit (rappr. Civ. 3e, 18 févr. 1998, n° 96-13.336, préc.), d’autant qu’il a été affirmé que le juge-commissaire doit se borner à la constater si les conditions en sont réunies (Com. 18 mai 2022, n° 20-22.164, préc.). Certes la règle de régularisation de l’article L. 622-14 est-elle de nature à empêcher la résiliation. Mais à s’en tenir au texte, encore faut-il que les sommes dues soient payées avant l’expiration du délai d’inertie. Si tel n’est pas le cas, par exemple parce que le paiement intervient après, la résiliation est par nature censée être inéluctable. Ainsi, en énonçant que la requête en constatation de la résiliation de plein droit doit être rejetée lorsque les loyers impayés ont été acquittés entre le terme du délai d’attente et le jour où le juge statue, l’arrêt sous examen n’apparaît-il pas conforme au caractère de cette résiliation.
À dire vrai, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation tord ce concept de résiliation de plein droit légale. Alors que les textes disposent qu’un contrat en cours régulièrement continué est résilié de plein droit à défaut de paiement à l’échéance (C. com., art. L. 622-13 et L. 641-11-1), elle décide que cette résiliation doit être constatée par le juge-commissaire et qu’à défaut, ou si l’absence de paiement ne découle pas d’une insuffisance de fonds, elle ne produit pas effet (Com. 4 juill. 2018, n° 17-15.038 F-P+B, Dalloz actualité, 17 sept. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 1487
; Rev. sociétés 2018. 537, obs. F. Reille
; 20 sept. 2017, n° 16-14.065 FS-P+B+I, Dalloz actualité, 25 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; D. 2017. 1831, et les obs.
; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki
; RTD civ. 2017. 854, obs. H. Barbier
), ce qui contredit l’idée de résiliation de plein droit. De la sorte, la résiliation légale du bail des locaux professionnels rejoint le club a priori fermé des fausses résiliations de plein droit.
La solution, néanmoins, n’est pas dépourvue de pertinence. Comme le révèlent les faits de l’espèce, un plan de redressement avait été adopté peu après la saisine du juge-commissaire. Or, la résiliation du bail compromettrait sérieusement sa correcte exécution en perturbant la poursuite d’activité. Dès lors, admettre que la résiliation est évitée bien que la régularisation des impayés intervienne après l’expiration du délai d’inertie permet de ne pas anéantir les chances de sauvetage de l’entreprise tout en préservant les intérêts financiers du bailleur. Mais même en cas de liquidation judiciaire, cette extension de la fenêtre de régularisation présente un intérêt, en offrant davantage de temps au liquidateur pour pouvoir céder le bail.
En somme, cette décision vient opportunément atténuer la rigueur qui s’attache à la création pour ainsi dire ex nihilo de la résiliation légale et de sa voie procédurale propre, et qui, se traduisant par l’impossibilité d’octroyer des délais de paiement, pouvait jusqu’à présent entraver le bon déroulement, non seulement des procédures de sauvetage, mais aussi des liquidations judiciaires.
Com. 12 juin 2024, FS-B, n° 22-24.177
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