Acceptation à concurrence de l’actif net : la créance en contribution d’une dette d’impôt payée par un héritier doit être déclarée

Lorsqu’une succession est acceptée à concurrence de l’actif net, tout créancier de la succession doit déclarer sa créance, sous peine d’extinction si elle n’est pas assortie d’une sûreté (C. civ., art. 792). L’arrêt sous commentaire précise qu’il en va de même pour la créance en contribution d’un héritier, codébiteur solidaire du de cujus, qui a payé une dette d’impôt sur le revenu dans son intégralité.

Héritière de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire, l’acceptation à concurrence de l’actif net est un parti intermédiaire des plus utiles. Elle se situe entre la renonciation, dont elle évite la réalisation quasi systématique en présence d’un passif successoral important, et l’acceptation pure et simple, qui est le parti naturel pour les successions manifestement bénéficiaires. Comme son nom l’indique, elle permet à l’héritier d’être seulement tenu intra vires successionis du passif successoral et de recueillir un lot composé exclusivement d’actif. Pour y parvenir, le rôle assigné à la liquidation n’est pas seulement de préparer le partage, comme dans l’acceptation pure et simple, mais de désintéresser les créanciers successoraux. C’est dans cette perspective que l’article 792 du code civil les oblige à déclarer leur créance en notifiant leur titre au domicile élu de la succession. Ils doivent le faire dans un délai de quinze mois à compter de la publicité de la déclaration d’acceptation par les héritiers (C. civ., art. 788).

Cette obligation, qui s’inspire des procédures collectives, présente une double utilité. Premièrement, elle fixe l’ordre des paiements car c’est au prix de la course, concrètement selon l’ordre des déclarations, que les créanciers chirographaires sont désintéressés (C. civ., art. 796, al. 3). Deuxièmement et plus radicalement, elle est une condition de survie de la créance qui n’est pas assortie de sûreté car l’absence de déclaration emporte son extinction (C. civ., art. 792, al. 2). La sanction est sévère mais elle est conforme à la Constitution (Cons. const. 5 oct. 2016, n° 2016-574 QPC, D. 2016. 2001 ; Constitutions 2016. 546, chron. ; RTD civ. 2016. 908, obs. M. Grimaldi ). En la matière, la fin justifie les moyens et l’extinction de la créance en est un, particulièrement efficace, pour transmettre à l’héritier un actif net.

Mais qu’en est-il lorsque le créancier est un héritier détenteur d’une créance en contribution en raison du paiement d’une obligation dont il était codébiteur solidaire du de cujus ? Est-il également contraint de la déclarer ? C’est la question dont la première chambre civile de la Cour de cassation a eu à connaître dans le cadre d’une succession ouverte en décembre 2015 et acceptée à concurrence de l’actif net par tous les héritiers. L’épouse survivante a assigné les filles du de cujus pour demander le partage de l’indivision successorale et le paiement d’une provision au titre de leur contribution à une dette fiscale. En sa qualité de codébitrice solidaire, elle a en effet réglé en totalité, en plusieurs fois et postérieurement au décès, la dette d’impôt sur le revenu du défunt pour les années 2014 et 2015. En réponse à cette demande, les défenderesses lui ont opposé le fait qu’elle n’a pas déclaré sa créance dans le délai et les conditions imposés par l’article 792 du code civil. Elles ont donc soutenu qu’elle était éteinte, ce qu’ont successivement admis la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 26 janvier 2022, puis la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt de rejet. Il en ressort que la créance en contribution à la dette d’impôt est une obligation de la succession. Son titulaire est donc un créancier successoral et, peu important qu’il soit un héritier, il est tenu de la déclarer.

Créancier de la succession versus créancier personnel de l’héritier

En matière successorale, il existe deux catégories de créanciers. Ceux de la succession, dont les droits sont nés d’un fait ou d’un acte antérieur au décès, ou qui en sont une conséquence et qui constituent alors une charge successorale (frais funéraires, frais d’inventaire, etc.). Ceux de l’héritier, qui tiennent leurs droits directement contre lui. Leur distinction est d’une inégale importance selon la nature de l’acceptation pour laquelle ce dernier a opté.

En présence d’une acceptation pure et simple, elle ne soulève pas de difficulté et ne présente guère d’utilité dès lors qu’aucune déclaration n’est requise de la part des créanciers. Il faut dire qu’elle serait tout bonnement inutile. D’abord, parce que du seul fait de cette acceptation le créancier successoral devient automatiquement le créancier personnel du successeur. Il en va ainsi car, dans cette branche de l’option qui est l’archétype de la succession à la personne, l’héritier continue la personne du défunt, avec pour conséquence que son patrimoine et la succession se confondent pour ne former qu’un. Ensuite, parce que si le créancier du de cujus est un héritier acceptant pur et simple, la confusion des patrimoines conduit à réunir sur sa tête les qualités de débiteur et créancier de l’obligation, donc à provoquer son extinction par confusion.

En cas d’acceptation à concurrence de l’actif net, les choses sont bien différentes car la succession et le patrimoine de l’héritier sont tenus séparés. Dès lors, s’il était créancier du de cujus, son droit ne s’éteint pas. Il rejoint la catégorie des créanciers successoraux, qui conservent tous ce statut, autrement dit qui ne deviennent pas les créanciers personnels des héritiers acceptants. L’objectif est de les désintéresser et de liquider le passif afin que ces derniers recueillent seulement des biens. Voilà pourquoi la loi les oblige à déclarer leurs créances. Le but est de les recenser, d’établir le rang des paiements et potentiellement de les éliminer si les formalités de l’article 792 ne sont pas respectées. La règle ne vaut pas pour les créanciers personnels des héritiers. Tout l’enjeu est donc de déterminer si tel créancier tient ses droits contre la succession ou directement à l’encontre d’un héritier.

Un critère pertinent : la date du fait générateur de la créance

La difficulté, en l’espèce, provient du fait qu’il ne s’agit pas de n’importe quel créancier mais d’un héritier qui a payé l’intégralité d’une dette dont il était codébiteur solidaire avec le de cujus. Il ne s’agit pas non plus de n’importe quelle créance mais d’une créance en contribution qu’il détient du fait de ce paiement. Le moyen soutient qu’il la tient contre ses cohéritiers et que l’application de l’article 792 du code civil s’en trouve exclue. La cour d’appel et la Cour de cassation jugent au contraire qu’il la tient contre la succession.

Pour dire qu’il s’agit d’une dette de la succession qui se divise entre les héritiers à proportion de leurs parts successorales (C. civ., art. 870), la première chambre civile approuve les juges du fond d’avoir retenu que le fait générateur de l’impôt est antérieur au décès. L’on pourrait rétorquer que c’est du fait générateur de la créance en contribution dont il devrait être question et qu’il s’agit alors du paiement de l’impôt, celui-ci étant au contraire postérieur à cette date. Mais la Cour ne voit pas les choses ainsi et elle n’entend pas les cloisonner alors qu’elles sont toutes liées. On peut justifier sa position de deux façons. La première consiste à concevoir la créance en contribution comme une conséquence du paiement de la créance initiale, la dette d’impôt, ce qui la rattache en cascade au fait générateur de cette dernière. La seconde conduit à la regarder comme étant une portion de la dette fiscale, dont elle partagerait alors le fait générateur. Dans les deux cas, la créance en contribution est une dette de la succession parce qu’elle est liée à la dette fiscale dont le de cujus était débiteur.

Si l’on décortique le rapport obligationnel, la solution retenue s’impose d’elle-même. La dette d’impôt est née à une date où le de cujus était en vie. Il en était donc débiteur et elle s’est inscrite au passif de son patrimoine qui, à l’instant de son décès, est devenu succession. Ce changement s’est opéré sans que son contenu ne s’en trouve modifié, si l’on excepte les droits viagers ou intuitu personae. Le conjoint survivant a payé cette dette dans son intégralité, c’est-à-dire au-delà de sa part. S’il l’avait fait du vivant du défunt, il serait devenu son créancier. L’ayant fait après son décès, il est logiquement devenu créancier de la succession. Certes, il exercera son recours en contribution contre les héritiers acceptants mais s’il avait agi du vivant du de cujus, c’est bien contre lui qu’il l’aurait fait directement. L’action du solvens est dirigée contre ses cohéritiers uniquement parce qu’ils viennent aux droits et obligations de leur auteur. Au demeurant, on se demande bien contre qui il pourrait agir si ce n’est contre eux. Il n’en devient pas, pour autant, leur créancier personnel.

Des critères indifférents : date du paiement et exigibilité

D’autres critères apparaissent au fil de la motivation, non pour servir à la qualification de la créance mais tout au contraire pour les exclure.

D’abord, il est fait référence à l’exigibilité. La cour d’appel a décidé, à raison, que « si la totalité de la dette fiscale (…) n’était pas exigible à la date du décès, le fait générateur de l’impôt était antérieur à cette date, de sorte qu’il s’agissait d’une dette de la succession ». L’impôt sur le revenu est en effet une obligation payable à terme, puisque son exigibilité est reportée à une date fixée. Sa naissance, en revanche, est antérieure car il « est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année » (CGI, art. 12). Ainsi, il est possible que le paiement de l’impôt soit exigible post mortem alors même qu’il obligeait le de cujus de son vivant. C’est donc bien toute la dette fiscale du défunt qui est une dette de la succession et non seulement la portion exigible au jour de son décès.

Ensuite, la Cour répond à la seconde branche du moyen en affirmant que l’obligation de déclaration s’impose au codébiteur solidaire du défunt « quelle que soit la date de règlement de la créance initiale » (§ 7). Ce faisant, la cour d’appel « n’avait pas à distinguer selon que les paiements effectués étaient antérieurs ou postérieurs à la date d’expiration [du délai de l’art. 792] » (§ 9). Il est rappelé, à cet égard, que la déclaration peut être faite à titre provisionnel. Le message ne peut être plus clair : la date de paiement est indifférente. Ce qui ne veut pas dire que le paiement n’a aucune incidence. Si le conjoint codébiteur solidaire n’avait pas payé l’impôt, il n’aurait pas été question de créance en contribution. L’administration fiscale serait demeurée créancière et c’est alors sur elle qu’aurait pesé l’obligation de déclaration. Pour autant, en cas d’expiration du délai point d’extinction, car sa créance est assortie de sûretés (le privilège du Trésor et l’hypothèque légale du Trésor). Il n’est donc pas du tout opportun pour le survivant de faire le mort, d’autant plus qu’il est rare que l’administration fiscale oublie ses contribuables. Rappelons également que le retard de paiement entraîne une majoration de l’impôt et des intérêts qui peuvent peser lourds en présence de revenus élevés, comme en l’espèce. C’est donc un jeu risqué qui n’en vaut pas la chandelle.

La solidarité : un critère important ?

À plusieurs reprises, il est rappelé que le conjoint survivant est codébiteur solidaire du de cujus. Simple élément de contextualisation ou critère de qualification ? C’est de la portée de la décision dont il est question : la solution s’applique-t-elle seulement en cas de solidarité entre un héritier et le défunt ou, plus généralement, chaque fois que le premier acquitte une dette du second ? Il n’est pas exclu, en effet, qu’un héritier paye une dette dont le défunt était entièrement ou conjointement débiteur. En pareille hypothèse, il n’a pas de recours en contribution. Pour autant, à moins qu’on ne prouve une intention libérale, son paiement peut être regardé comme un prêt, ce qui lui donne droit à la restitution de la somme prêtée (C. civ., art. 1892 et 1902). Il peut aussi, s’il a agi sciemment et utilement, à l’insu ou sans opposition du de cujus, être qualifié de gestion d’affaire, ce qui lui permet d’obtenir le remboursement de la dépense faite (C. civ., art. 1301-2). Ce droit à restitution ou à remboursement est assurément une créance contre la succession. L’héritier doit alors la déclarer. Il en va de même s’il s’était porté caution pour le de cujus et s’il a payé tout ou partie de la dette (C. civ., art. 2308). La portée de cet arrêt dépasse donc le strict cadre de la solidarité. La solution qu’il consacre a vocation à s’appliquer à toutes les hypothèses dans lesquelles un héritier aura payé une dette dont le défunt était tenu de son vivant.

 

Civ. 1re, 11 déc. 2024, F-B, n° 22-17.867

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