Accidents de la circulation : assiette du doublement des intérêts au taux légal en cas d’offre tardive

Dès lors que l’offre d’indemnisation de l’assureur, qui constitue l’assiette du doublement des intérêts au taux légal, ne comporte que des sommes en capital, le versement éventuel à la victime de prestations d’un tiers payeur sous la forme d’une rente est sans incidence sur la mise en œuvre de la sanction prévue à l’article L. 211-13 du code des assurances

Procédure d’offre active

La loi Badinter a eu pour objet de favoriser un règlement amiable des litiges. À cet effet, elle a mis en place une procédure d’offre « active » pour l’indemnisation des dommages corporels (C. assur., art. L. 211-9, al. 2). Concrètement, une offre d’indemnité doit être spontanément adressée par l’assureur à la victime, dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident. Cette offre comprend tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable (R. Bigot et A. Cayol, Droit de la responsabilité civile, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, p. 336 s.). Pour pallier les résistances des assureurs, la loi du 5 juillet 1985 exige que l’offre, en sus d’être rapide, soit suffisante. Des sanctions sont prévues à défaut. Si le juge estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, ce dernier sera condamné à verser au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité allouée par voie judiciaire (C. assur., art. L. 211-14). De plus, une offre manifestement insuffisante est assimilée par la jurisprudence à une absence d’offre (Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-15.700), ce qui entraîne également l’application de la sanction pécuniaire prévue par l’article L. 211-13 en cas d’offre tardive : « le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif ». La sanction « donne son énergie à cette procédure d’une amabilité sollicitée » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, Lextenso, coll. « Précis Domat »,  2021, n° 815).

Espèce

La décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 mai 2024 apporte une utile précision concernant l’assiette de la pénalité applicable en cas d’offre tardive.

En l’espèce, un motocycliste est blessé à la suite d’un choc avec un véhicule automobile. La conductrice de ce dernier est définitivement déclarée coupable des chefs de blessures involontaires et changement de direction d’un véhicule sans avertissement préalable par un tribunal correctionnel. À ce titre, elle est déclarée entièrement responsable du préjudice subi par le motocycliste. Par jugement ultérieur sur les intérêts civils, le tribunal évalue le dommage corporel de la victime à hauteur de 1 107 585,34 € et, déduction faite d’une créance de la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Artois (la CPAM) à hauteur de 331 898,65 €, condamne la conductrice à lui payer la somme de 775 686,69 €.

La cour d’appel condamne la société d’assurance au doublement des intérêts au taux légal sur la somme de 1 029 532,53 € sur la période du 6 mars 2012 au 5 janvier 2017. Elle retient que, dès lors que l’offre proposée par la société d’assurance n’était pas manifestement insuffisante, la sanction prévue à l’article L. 211-13 du code des assurances a pour assiette l’indemnité offerte par cet assureur, avant imputation des créances des organismes sociaux et des provisions éventuellement versées (pt 7).

Les juges du fond soulignent que l’assiette du doublement des intérêts au taux légal s’apprécie dans cette hypothèse exclusivement au regard de l’offre formulée par l’assureur, et non au regard des modalités de versement des prestations servies par le tiers payeur. Ils en déduisent que si, en cas de rente offerte par l’assureur, le doublement des intérêts porte sur les seuls arrérages échus de cette rente sur la période d’application de la sanction, tel n’est pas le cas de la créance du tiers payeur, qui doit être intégralement prise en compte dans l’offre présentée par l’assureur, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les prestations sont versées à l’assuré social en capital ou sous forme de rente, échue ou à échoir (pts 8 et 9).

La conductrice et son assureur forment un pourvoi en cassation. Ils soutiennent « qu’il résulte des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances que, lorsque l’offre tardive d’indemnisation est suffisante, l’assiette de la pénalité de doublement de l’intérêt légal est le montant de l’indemnité offerte par l’assureur comprenant les indemnisations en capital et, lorsqu’un chef de préjudice est indemnisé sous forme de rente, les arrérages des rentes qui auraient dû être perçus, pour la période qui s’étend entre la date d’expiration du délai et celle de l’offre » (pt 6). Dès lors, la cour d’appel aurait violé les textes susvisés en prenant en compte l’intégralité de la créance de la CPAM, et non les seuls arrérages échus de la rente versée à cette dernière par ce tiers payeur à la date de l’offre.

La chambre criminelle rejette le pourvoi, aux motifs que « dès lors que l’offre d’indemnisation de l’assureur, qui constitue l’assiette du doublement des intérêts au taux légal, ne comporte que des sommes en capital, le versement éventuel à la victime de prestations d’un tiers payeur sous la forme d’une rente est sans incidence sur la mise en œuvre de la sanction prévue à l’article L. 211-13 du code des assurances » (pt 13).

Modalités de calcul de la pénalité en cas d’offre tardive

L’article L. 211-13 du code des assurances précise la durée pendant laquelle la pénalité est due. D’une part, celle-ci court « à compter de l’expiration du délai » dont dispose l’assureur pour faire une offre (et non à compter du point de départ de ce délai, Crim. 27 janv. 2015, n° 13-87.842, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ). D’autre part, celle-ci prend fin, soit à la date de l’offre tardive (lorsqu’elle existe), soit à celle du jugement devenu définitif (en l’absence de toute offre ou d’offre manifestement insuffisante, laquelle est assimilée à une absence d’offre). En l’espèce, les parties s’accordaient pour considérer que l’offre était suffisante. L’étendue temporelle de la pénalité ne posait donc pas de problème : il s’agissait de la période du 6 mars 2012 au 5 janvier 2017, date de l’offre adressée par l’assureur à la victime.

En revanche, le litige portait sur la détermination de l’assiette de la pénalité. Il n’était pas contesté qu’il s’agissait, en l’espèce, du montant de l’offre du 5 janvier 2017, du fait de son caractère suffisant (déjà en ce sens en cas d’offre tardive mais suffisante, Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.290, bjda.fr 2018, n° 59, obs. A. Cayol ; Crim. 3 mars 2020, n° 19-82.030, bjda.fr 2020, n° 69, obs. A. Cayol), soit 1 029 532,53 €, et non le montant fixé par le juge (1 107 585,34 €).

La responsable et son assureur soutenaient, cependant, que la base de calcul de la pénalité ne pouvait être le montant total de l’offre : seules devraient être retenues les sommes non soumises à recours par le tiers payeurs (429 862,45 €) et les arrérages échus de la rente versée par la CPAM à la victime à la date de l’offre (et non l’intégralité de la créance de la CPAM). Ils tentaient, pour ce faire, de s’appuyer sur la jurisprudence ayant précisé que « si l’assureur offre de payer une rente, le doublement du taux s’applique non pas au capital servant de base à son calcul mais aux arrérages qui auraient été perçus à compter de l’expiration du délai de l’offre jusqu’au jour de celle-ci, si elle intervient, ou jusqu’à la décision définitive » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-13.309, Dalloz actualité, 10 juin 2020, obs. R. Bigot ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, obs. M. Ehrenfeld ; RGDA 1er juill. 2020, obs. J. Landel).

Ce raisonnement est clairement rejeté par la Cour de cassation, laquelle invite à distinguer selon que la rente est offerte par l’assureur ou par le tiers payeur. Elle considère, en effet, que la cour d’appel a valablement pu affirmer que si, dans le premier cas, le doublement des intérêts porte sur les seuls arrérages échus de la rente sur la période d’application de la sanction, l’intégralité de l’offre doit, au contraire, être prise en compte dans le second cas, le fait que la prestation du tiers payeur soit versée sous forme de rente n’étant pas dirimant. Autrement dit, seules doivent être prises en compte les modalités prévues dans l’offre de l’assureur (rente ou capital), la façon dont la prestation des tiers payeurs est servie étant, quant à elle, sans incidence.

Comme l’avait souligné la cour d’appel en l’espèce, si « l’assureur prend en compte la déduction de l’intégralité de la créance du tiers payeur dans l’offre qu’il adresse à la victime, il demeure tenu de la réparation intégrale du préjudice subi par cette victime, qui intègre l’ensemble des débours exposés par l’organisme social » (pt 10). Or, il est de jurisprudence constante que la pénalité doit être calculée sur l’indemnité allouée, avant imputation des créances des tiers payeurs et des provisions versées (Crim. 27 sept. 2016, n° 15-83.309, Dalloz actualité, 24 oct. 2016, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2016. 2612 , note M. Bouchet ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; Civ. 2e, 8 mars 2018, n° 17-10.151, bjda.fr, 2018, n° 56, obs. A. Cayol). Les modalités de versement des prestations des tiers payeurs ne sauraient donc avoir la moindre incidence sur le calcul du doublement des intérêts au taux légal.

 

Crim. 6 mai 2024, F-B, n° 23-85.589

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