Accidents de la circulation : nouvelles précisions sur l’application temporelle de la pénalité due en cas d’offre tardive

La pénalité commence à courir lorsqu’aucune offre n’a été adressée à la victime huit mois après l’accident, le fait qu’un autre assureur ait initié seul la procédure d’indemnisation étant sans incidence. Une offre réservant l’indemnisation de certains postes de préjudices n’étant pas complète, elle ne saurait constituer le terme du délai pendant lequel la pénalité est due.

Encore un arrêt relatif au calcul de la pénalité due en cas d’offre tardive de l’assureur lorsqu’un dommage corporel a été causé par un accident de la circulation !

Rappelons qu’afin d’accélérer l’indemnisation des victimes (objectif expressément poursuivi par ce texte au regard de son intitulé), la loi du 5 juillet 1985 a mis en place une procédure dite « d’offre active », imposant à l’assureur du responsable d’adresser spontanément une offre à la victime en présence d’un dommage corporel. « Une offre d’indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident » (C. assur., art. L. 211-9, al. 2). « Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime. L’offre définitive d’indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation » (al. 3), étant précisé qu’« en tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique » (al. 4). Le non-respect de ces délais entraîne une sanction pécuniaire. L’article L. 211-13 prévoit en effet que « le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif […] ».

La détermination précise de la période pendant laquelle la pénalité est due est source d’un important contentieux, comme le révèle encore la décision rendue par la deuxième chambre civile le 20 juin 2024.

L’espèce

Le 16 janvier 2011, un mineur est victime d’un accident de la circulation dans lequel sont impliqués deux véhicules, l’un conduit par son père et assuré par la société Sérénis, l’autre assuré par la Matmut. À compter du 17 juillet 2012, l’assureur du véhicule dans lequel la victime était passagère lui verse plusieurs provisions. La date de consolidation est finalement fixée au 24 mai 2016 lors d’une expertise amiable (réalisée par le médecin conseil de la société Sérénis). Après la réalisation d’une expertise judiciaire, la victime assigne l’assureur de l’autre véhicule impliqué (la Matmut) à fin d’indemnisation de ses préjudices.

La cour d’appel condamne cet assureur à lui verser une pénalité, en application de l’article L. 211-13 du code des assurances, en limitant toutefois cette dernière à la période comprise entre le 24 avril 2017 (terme du délai de 5 mois à partir du jour où la Matmut a eu connaissance de la date de consolidation de la victime par transmission du rapport d’expertise amiable par la société Sérénis) et le 2 mai 2017 (date de l’offre faite à la victime par la Matmut). Les juges du fond soulignent notamment que « la procédure d’indemnisation du dommage a été initialement menée par la société Sérénis, qui a versé des provisions et fait procéder à une expertise amiable sans y associer la Matmut, et qu’il ne résulte pas des courriers accompagnant les provisions versées par la société Sérénis que cette dernière aurait agi en qualité de mandataire de la Matmut » afin de justifier la fixation du point de départ au 24 avril 2017.

Dans son pourvoi, la victime invoque, en premier lieu, une violation des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances en raison d’une fixation erronée du point de départ du délai pendant lequel la pénalité était due. Rappelant qu’une offre doit être adressée à la victime (conformément à l’art. L. 211-9) dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident et qu’à défaut la somme allouée à la victime produit intérêts de plein droit au double du taux légal à compter de l’expiration de ce délai (en application de l’art. L. 211-13), le demandeur au pourvoi soutient que le point de départ du délai était en l’espèce le 17 septembre 2011, et non le 24 avril 2017.

La victime invoque, en second lieu, une violation des articles L. 211-9, L. 211-13, R. 211-37 et R. 211-39 du code des assurances, la cour d’appel ayant, selon elle, fixé à tort le terme du délai, pendant lequel la pénalité était due, au 2 mai 2017 alors que l’offre formulée par l’assureur ne pouvait valablement être jugée complète alors qu’il était constaté que le poste d’indemnisation du préjudice d’agrément avait été réservé dans l’attente de précisions, sans que l’assureur ait demandé à la victime des renseignements dans les formes et conditions requises par l’article R. 211-39.

La deuxième chambre civile suit son argumentation sur ces deux points et casse la décision des juges du fond. D’une part, elle affirme que « l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité dans les délais légaux », la Matmut étant donc concernée par cette obligation dès lors qu’elle garantissait la responsabilité du conducteur d’un des véhicules impliqués dans l’accident. D’autre part, elle considère « que l’offre de l’assureur ne comprenait pas tous les éléments indemnisables du préjudice », étant précisé « qu’une simple demande de justificatifs émanant de l’assureur […] ne peut être assimilée à la correspondance prévue par l’article R. 211-39 du code des assurances ».

La solution retenue est particulièrement sévère pour l’assureur, tant concernant le point de départ que le terme du délai pendant lequel la pénalité est due.

Point de départ du délai

La particularité de l’espèce commentée tenait au fait qu’un assureur (la société Sérénis) avait initié la procédure, procédé à une expertise amiable (hors de la présence de l’autre assureur) et versé des provisions à la victime, puis que la liquidation avait été réalisée par l’autre assureur (la Matmut).

Ce dernier ne pouvait dès lors, pour les juges du fond, être tenu par le délai de huit mois à compter de l’accident prévu par l’article L. 211-9. Seule l’obligation d’adresser une offre dans un délai de cinq mois à compter de la connaissance de la consolidation de la victime était susceptible de peser sur lui. Ceci explique la condamnation au paiement d’intérêts au double du taux légal seulement à compter du 24 avril 2017, terme du délai de cinq mois à partir du jour où l’assureur avait eu connaissance de la consolidation de la victime à la suite de la transmission du rapport d’expertise amiable.

La deuxième chambre civile censure clairement une telle analyse : il importe peu qu’un autre assureur soit intervenu auprès de la victime ou que la procédure d’expertise ait eu lieu sans sa présence, tout « assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité dans les délais légaux », autrement dit dans les huit mois de l’accident ou dans les cinq mois de la connaissance de la consolidation, le délai le plus favorable à la victime devant être appliqué. Dès lors que l’assureur (Matmut) n’avait adressé aucune offre à l’expiration du délai de huit mois après l’accident, la pénalité était donc due. Le but de la Cour de cassation semble être de responsabiliser tous les assureurs de véhicules impliqués, en évitant notamment que le jeu des conventions entre assureurs (posant le principe de l’indemnisation directe de la victime par son propre assureur) ne vienne limiter la portée de la sanction prévue à l’article L. 211-13.

Terme du délai

L’arrêt de la cour d’appel est également cassé concernant le terme du délai pendant lequel la pénalité doit être appliquée. Il est, en effet, de jurisprudence constante qu’une offre incomplète ou manifestement insuffisante équivaut à une absence d’offre (Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-15.700). Dès lors, le terme ne peut être la date de l’offre (par définition inexistante) mais celle du jugement devenu définitif (C. assur., art. L. 211-13).

Là encore, les faits étaient un peu particuliers car l’assureur avait réservé le poste de préjudice d’agrément dans l’attente de précisions par la victime. Les juges du fond considèrent donc que son offre est complète et suffisante car elle n’écarte pas le principe d’une indemnisation du préjudice d’agrément mais en réserve seulement l’évaluation dans l’attente de précisions.

La deuxième chambre civile rappelle fermement que l’offre doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice et qu’une simple demande de justificatifs ne peut être assimilée à la correspondance prévue par l’article R. 211-39, seule susceptible de suspendre les délais posés à l’article L. 211-9.

 

Civ. 2e, 20 juin 2024, F-B, n° 22-22.491

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