Acquisition de la prescription pour absence de connexité : clap de fin pour le volet sécuritaire de l’affaire Karachi
Les infractions d’homicides et blessures involontaires ne sont pas connexes à celles d’assassinats et de tentative d’assassinats commises le 8 mai 2002 à Karachi, et ne pourront donc bénéficier de l’interruption du délai de prescription applicable à ces dernières.
 
                            Plus de vingt ans après l’attentat qui coûta la vie à onze ingénieurs français membres de la direction des constructions navales (DCN) à Karachi (Pakistan), un point final est posé au volet sécuritaire de l’affaire. Un bref rappel des faits s’impose afin d’introduire la décision rendue le 15 octobre dernier.
Le 8 mai 2002, un attentat est perpétré à Karachi contre un autocar de la marine pakistanaise, au sein duquel se trouvent vingt-trois membres de la DCN. Onze d’entre eux, de nationalité française, décèderont. Une enquête préliminaire, puis une information judiciaire sont ouvertes pour assassinats et tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste à l’encontre des responsables de l’attentat. Dix années plus tard, à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile, une seconde information judiciaire est ouverte pour homicides et blessures involontaires, cette fois-ci à l’encontre du chef de site et du directeur du projet du sous-marin sur lequel travaillaient les personnels de la DCN, qui se voient reprocher des fautes en matière de sécurité dans un contexte qu’ils savaient marqué par un important risque terroriste dans la région. Le 18 juin 2012, la jonction des deux instructions sera ordonnée. Mis en examen en 2022, les deux responsables de la DCN saisissent le juge d’instruction de demandes de constatation de la prescription de l’action publique pour ces faits. Face au refus du juge instructeur de faire droit à ces demandes, les deux mis en examen saisissent la chambre de l’instruction qui infirmera la décision rendue en premier ressort et constatera finalement la prescription de l’action publique pour les homicides et blessures involontaires, alors même que les faits d’assassinats et de tentatives d’assassinats bénéficiaient d’une interruption de prescription. La chambre de l’instruction considère en effet que les infractions d’assassinats et les infractions d’homicides et blessures involontaires ne présentent pas de lien de connexité, si bien que l’interruption de prescription applicable aux premières ne s’étend pas aux secondes. Cette décision est l’occasion de réaffirmer que si la connexité fait l’objet d’une interprétation extensive en ne se trouvant pas limitée aux cas prévus par l’article 203 du code de procédure pénale, elle reste toutefois libre d’être rejetée par les juges du fond, qui bénéficient à ce titre d’une appréciation souveraine.
Rappel du caractère non limitatif des cas de connexité prévus par la loi
Lorsque deux infractions sont considérées comme connexes, les actes interruptifs de prescription concernant l’une d’elles a nécessairement le même effet pour l’autre (Crim. 17 sept. 1997, n° 96-84.972, D. 1998. 399  , note D. Rebut
, note D. Rebut  ), si bien que l’une de ces infractions, normalement prescrite, ne l’est pas lorsqu’elle est liée, par la connexité, à une autre infraction bénéficiant d’une interruption de prescription. Dans l’affaire Karachi, cette question occupait une place centrale puisque si les infractions d’homicides et blessures involontaires avaient été considérées comme connexes à celles d’assassinats, elles auraient bénéficié de l’interruption de prescription applicable à ces dernières, et auraient donc pu être jugées lors d’un procès.
), si bien que l’une de ces infractions, normalement prescrite, ne l’est pas lorsqu’elle est liée, par la connexité, à une autre infraction bénéficiant d’une interruption de prescription. Dans l’affaire Karachi, cette question occupait une place centrale puisque si les infractions d’homicides et blessures involontaires avaient été considérées comme connexes à celles d’assassinats, elles auraient bénéficié de l’interruption de prescription applicable à ces dernières, et auraient donc pu être jugées lors d’un procès.
Pour démontrer que ces infractions ne sont pas connexes, la chambre de l’instruction évince, tout d’abord, les quatre cas légaux de connexité prévus par l’article 203 du code de procédure pénale. Les infractions involontaires reprochées aux responsables de la DCN et celles d’assassinats ne sont ni commises par les mêmes personnes (premier cas légal de connexité), ni commises par des personnes différentes liées par une unité de dessein (deuxième cas de connexité), ni liées entre elles par une relation de cause à effet (troisième cas de connexité), ni, enfin, concernées par un recel (quatrième et dernier cas de connexité).
Pour autant, le pourvoi, appuyé par une jurisprudence constante (v. par ex., Crim. 6 déc. 1907, DP 1910. 1. 53 ; 19 sept. 2006, n° 05-83.536, AJ pénal 2006. 407, obs. P. R.  ), relève le caractère non limitatif de cette énumération, si bien que la connexité peut également être retenue en dehors de ces cas légaux lorsque les infractions entretiennent entre elles des rapports étroits, analogues à ceux prévus par l’article 203. La chambre de l’instruction a donc cherché s’il existait de tels rapports entre les faits, pouvant justifier de considérer les infractions comme connexes. Son raisonnement, validé par la chambre criminelle non sans critiques, aboutit à un rejet de la connexité et donc à une acquisition de la prescription de l’action publique.
), relève le caractère non limitatif de cette énumération, si bien que la connexité peut également être retenue en dehors de ces cas légaux lorsque les infractions entretiennent entre elles des rapports étroits, analogues à ceux prévus par l’article 203. La chambre de l’instruction a donc cherché s’il existait de tels rapports entre les faits, pouvant justifier de considérer les infractions comme connexes. Son raisonnement, validé par la chambre criminelle non sans critiques, aboutit à un rejet de la connexité et donc à une acquisition de la prescription de l’action publique.
Confirmation de l’appréciation souveraine des juges du fond dans le rejet de la connexité
La chambre de l’instruction s’attache à examiner trois éléments qui, selon elle, viennent affirmer qu’aucun lien de connexité n’unit les infractions d’assassinats à celles d’homicides et blessures involontaires, justifiant l’acquisition de la prescription de l’action publique pour ces dernières. Le premier élément, avec lequel tant le pourvoi que la chambre criminelle elle-même sont en désaccord, réside dans l’absence d’unité de temps entre les infractions concernées. Selon la chambre de l’instruction, les infractions d’assassinats résultent l’attentat s’étant produit à Karachi le 8 mai 2002, tandis que les infractions d’homicides et blessures involontaires résultent de fautes d’imprudence et de manquements à certaines règles de sécurité commis durant les mois précédant l’attentat. Cette disjonction temporelle des faits empêcherait de retenir leur connexité sur ce fondement. Cependant, la Cour de cassation, avec une légère entorse au principe d’appréciation souveraine des juges du fond, considère que la chambre de l’instruction a eu tort dans son appréciation, puisqu’une unité temporelle existait bien entre les infractions, et ce de deux façons. D’une part, il existait une unité temporelle du résultat, puisque l’homicide involontaire n’est pas consommé au jour des manquements constatés aux exigences de sécurité, mais bien au jour du décès, c’est-à-dire au jour de l’attentat qui a également consommé les infractions d’assassinats. D’autre part, il existait une unité temporelle du comportement fautif, puisque les fautes à l’origine des blessures involontaires ont pu, contrairement à ce qu’affirmait la chambre, être commises le jour même de l’attentat. Toutefois, en dépit de cette unité de temps avérée, la chambre criminelle ne casse pas pour autant la décision rendue par la chambre de l’instruction, puisque cette dernière s’appuyait sur deux autres éléments, et que son appréciation doit rester pleinement souveraine.
La chambre de l’instruction relève, en effet, l’absence d’unité de dessein résultant du fait que les infractions d’assassinats étant intentionnelles, elles recherchaient pleinement le résultat produit, tandis que les infractions d’homicides et blessures involontaires étant non intentionnelles, elles ne pouvaient, de fait, rechercher un tel résultat. Bien que cette confrontation entre infractions intentionnelles et non intentionnelles n’ait pas empêché, dans d’autres affaires, de retenir la connexité (Crim. 18 août 1987, D. 1988. Somm. 194, obs. J. Pradel), il a convaincu la chambre criminelle, notamment parce qu’il était adossé à un dernier élément : les infractions ne seraient liées par aucune relation de cause à effet. Autrement dit, selon la chambre de l’instruction, chaque infraction aurait pu se produire sans l’autre : l’attentat aurait pu avoir lieu même sans manquements aux obligations de sécurité, si bien que ces carences sécuritaires n’en constituent pas la cause.
En vertu de l’appréciation souveraine des juges du fond, la chambre criminelle rejette finalement le pourvoi et confirme la décision rendue par la chambre de l’instruction. Et pour cause, contrairement aux décisions du fond retenant la connexité, pour lesquelles la Cour de cassation doit en vérifier elle-même la réalité (Crim. 16 oct. 1958, RSC 1959. 690, obs. Robert), lorsque les juges du fond décident de ne pas retenir la connexité, ils retrouvent une appréciation souveraine (Crim. 7 avr. 1992, n° 91-82.210). Ainsi, en dépit de son désaccord sur l’absence d’unité de temps, la chambre criminelle n’avait d’autre choix que d’accueillir l’argumentaire de la chambre de l’instruction qui s’est évertuée à invoquer deux éléments complémentaires à l’appui de son rejet de la connexité. La prescription est donc bien acquise pour les homicides et blessures involontaires, fermant définitivement le volet sécuritaire de l’affaire Karachi.
Crim. 15 oct. 2024, FS-D, n° 23-83.578
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