Action de groupe en matière discriminatoire et application de la loi nouvelle

Saisi sur QPC, le Conseil constitutionnel devra trancher la question de savoir si l’article 92, II, de la loi du 18 novembre 2016 relative à la mise en œuvre d’une action de groupe en matière de discrimination ne s’appliquant que pour les faits postérieurs à son entrée en vigueur est conforme ou non aux normes à valeur constitutionnelle.

Malgré les accords collectifs conclus au sein du groupe Safran et les actions prud’homales menées par plusieurs salariés titulaires d’un mandat de représentant du personnel pour le compte de la CGT, celle-ci continuait à déplorer des discriminations subies dans l’évolution de carrière et dans la rémunération des intéressés. Aussi la Fédération des travailleurs de la métallurgie de la CGT a fini par assigner l’employeur en mars 2018 en demandant au tribunal de grande instance, outre des rattrapages de salaires, de bien vouloir ordonner les mesures sollicitées pour que cessent les décisions et comportements litigieux. Cette action était fondée sur la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ayant instauré l’action de groupe en matière de discrimination. Débouté par les juges du fond le requérant intente un pourvoi à l’occasion duquel il pose une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté et publié au Bulletin, accepte de transmettre au Conseil la jugeant à la fois nouvelle et sérieuse.

Le litige s’est noué autour des dispositions de l’article 92, II, de la loi précitée aux termes duquel les actions de groupe en matière de discrimination sont réservées aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à l’entrée en vigueur du texte alors que pour les actions intentées en matière de santé publique, de données personnelles ou de consommation, les mêmes actions sont plus largement applicables pour des faits antérieurs qui n’ont pas été encore définitivement jugés. Ce faisant, l’article 92, II, porterait atteinte au principe d’égalité des justiciables devant la loi. À la seule lecture de cette question, les enjeux apparaissent immédiatement : l’employeur peut-il être condamné pour les faits qui lui seraient imputables et qui auraient été commis avant l’entrée en vigueur de la loi litigieuse le 19 novembre 2016 ou ne devrait-il répondre que des actes qu’il aurait commis postérieurement réduisant ainsi l’étendue de son éventuelle condamnation ? En d’autres termes, prenant le temps de la réflexion, la Cour de cassation sursoit à statuer sans reprendre à son compte le rapport du Défenseur des droits très critique sur le contenu des accords collectifs négociés dans l’entreprise : indicateurs peu pertinents, exclusion du premier mandat de toute analyse et exclusion du critère des diplômes, confusion entre les critères d’âge et d’ancienneté pourtant bien distincts

Dans les trois mois qui suivent sa saisine, soit au plus tard le 4 mars 2025, le Conseil constitutionnel devra trancher. Il pourrait en premier lieu déclarer l’article 92 conforme aux normes à valeur constitutionnelle en considérant que le législateur a le droit, dans l’intérêt général, d’adapter la portée du texte voté aux seules situations qui naitraient après son entrée en vigueur. Cette solution pourrait d’autant plus s’imposer que le Parlement peut ajuster l’application des normes qu’il créé en fonction des situations auxquelles elles s’appliquent. Inversement, il pourrait censurer ledit article en soulignant que, par souci d’égalité devant la loi, tous les porteurs d’une action de groupe, quel que soit son objet, devraient être soumis au même régime juridique. Cette analyse aurait pour inconvénient de ne pas tenir compte de l’objet de l’action – discrimination, environnement, consommation, santé publique, données personnelles – mais elle présenterait l’avantage de s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle de la Cour de cassation selon laquelle, et la décision commentée le rappelle, « les lois relatives à la procédure sont d’application immédiate » (Cass., ass. plén., 3 avr. 1962, n° 61-10.142 ; Soc. 14 nov. 1984, n° 81-13.144 P ; 9 janv. 2013, n° 11-11.808 P, Dalloz actualité, 1er févr. 2013, obs. C. Fleuriot ; D. 2013. 173  ; Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-68.715 P) y compris pour des faits antérieurs non encore définitivement jugés. Au-delà des lois relatives à la procédure, ce sont en principe les lois de forme c’est-à-dire celles relatives également à la compétence ou à l’organisation juridictionnelle en matière civile comme en matière pénale qui doivent s’appliquer sur le champ dès leur publication au journal officiel. L’article 2 du code civil le précise : « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Le Conseil pourrait également se fonder sur sa décision du 22 octobre 1982 rendue en matière de droit de grève pour censurer l’article 92, II, en rappelant que le droit à indemnisation des préjudices a lui-aussi valeur constitutionnelle (Cons. const. 22 oct. 1982, n° 82-144, JO 23 oct., D. 1983. 189, note F. Luchaire). Pour conclure, on ajoutera qu’à la différence de l’article 92 litigieux, tout revirement de jurisprudence est immédiatement applicable pas seulement pour les litiges à venir mais aussi pour les litiges en cours « la sécurité juridique ne pouvant consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit » (Civ. 1re, 21 mars 2000, n° 98-11.982 P, D. 2000. 593 , note C. Atias ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 666, obs. N. Molfessis ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc ).

Les sages de la rue de Montpensier trancheront.

 

Soc., QPC, 4 déc. 2024, FS-B, n° 24-15.269

© Lefebvre Dalloz