Action en paiement de travaux : point de départ de la prescription biennale
En application des articles 2224 du code civil et L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, l'action en paiement de travaux et services engagée à l'encontre de consommateurs par un professionnel se prescrit à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d'exercer son action. Cette date est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.
S’alignant sur les positions de la chambre commerciale et de la première chambre, la troisième chambre de la Cour de cassation fait de l’achèvement des travaux le point de départ du délai de la prescription biennale des actions des entrepreneurs à l’égard des maîtres de l’ouvrage ayant la qualité de consommateur, sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement.
Les précédents
L’article L. 218-2 du code de la consommation prévoit que l’action des professionnels pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans. Le point de départ du délai n’étant pas précisé, la Cour de cassation se rapporte au droit commun. L’article 2224 du code civil prévoit que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. À propos d’un crédit immobilier, elle en déduit qu’il s’agit de la date du premier incident de paiement non régularisé (Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 13-24.024, Dalloz actualité, 12 mai 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 916, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RTD com. 2015. 337, obs. D. Legeais
) et non celle de la déchéance du terme de ces prêts (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-16.950, Dalloz actualité, 23 juin 2015, obs. N. Kilgus) ; dans le cas d’une action en recouvrement d’un prêt viager hypothécaire, la date à laquelle le prêteur a connaissance de l’identité des héritiers de l’emprunteur (Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-13.278, D. 2017. 1045
; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; AJDI 2017. 600
, obs. F. de La Vaissière
; RDI 2017. 400, obs. H. Heugas-Darraspen
; AJ fam. 2017. 423, obs. J. Casey
).
S’agissant du paiement de travaux, la première chambre civile a d’abord retenu que le point de départ du délai se situe au jour de l’établissement de la facture (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-10.908, Dalloz actualité, 23 juin 2015, obs. N. Kilgus, 2e espèce ; D. 2015. 1269
; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2015. 410, obs. H. Heugas-Darraspen
). Puis, dans une décision à la motivation développée, afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services avec la solution retenue par la chambre commerciale à propos de l’application de l’article L. 110-4 du code de commerce (Com. 26 févr. 2020, n° 18-25.036, D. 2020. 486
; AJ contrat 2020. 337, obs. K. Magnier-Merran
; RTD civ. 2020. 389, obs. H. Barbier
), elle a considéré que cette date « peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations » (Civ. 1re, 19 mai 2021, n° 20-12.520, D. 2021. 1854
, note B. Ménard
; ibid. 1784, chron. V. Champ, C. Dazzan, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, X. Serrier, J. Mouty-Tardieu, E. Buat-Ménard et A. Feydeau-Thieffry
; ibid. 2022. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; Rev. prat. rec. 2021. 23, Pratique O. Salati
; RTD civ. 2021. 645, obs. H. Barbier
; JCPE 2021. 1421, obs. N. Mathey ; CCC 2021. Comm. 113, obs. L. Leveneur). Toutefois, elle avait écarté l’application de cette nouvelle position au litige porté devant elle, au motif que « si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action ». Cet arrêt important a été salué par la doctrine, qui relève notamment qu’il serait peu opportun de retenir la date à laquelle l’entrepreneur va choisir unilatéralement d’éditer sa facture.
L’alignement de la troisième chambre civile
La troisième chambre civile abonde à la volonté d’harmonisation en reprenant la motivation développée par la première chambre (sur l’articulation des solutions prétoriennes, v. N. Mathey, préc.).
Au cas particulier, une entreprise de voit confier des travaux de construction d’un mur de soutènement et de réfection de terrasse. Elle adresse une facture du solde des travaux au maître de l’ouvrage le 19 décembre 2011, année de l’achèvement des travaux. Celui-ci refuse de l’acquitter et organise une expertise amiable contradictoire, pour laquelle un rapport d’expertise est établi le 17 décembre 2012. L’entreprise assigne le maître de l’ouvrage en paiement du solde des travaux le 23 septembre 2014. La cour d’appel déclare irrecevable comme étant prescrite sa demande au motif qu’elle intervient plus de deux ans après la facturation des travaux. Le moyen critique ce raisonnement en estimant qu’il y a lieu de retenir la date à laquelle la créance constituée du solde du prix était devenue exigible, c’est-à-dire à l’issue de l’expertise amiable.
La troisième chambre civile ne retient aucun de ces deux évènements. Après avoir rappelé les précédents précités, elle réitère le principe selon lequel « au regard des dispositions de l’article 2224 du code civil dont l’application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible ».
Elle relève que les travaux commandés à l’entreprise avaient été réalisés en 2011, ce dont il résulte que l’action introduite le 23 septembre 2014, plus de deux ans après leur achèvement était prescrite. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l’arrêt d’appel, elle confirme la décision critiquée.
Les tempéraments
Il est à noter que la Cour de cassation ajoute à la motivation des arrêts précédents en réservant « les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement ». Il s’agit des hypothèses dans lesquelles le marché ou la loi instaurent des termes de paiement (C. Sizaire, note sous Civ. 1re, 19 mai 2021, préc.). Dans le secteur protégé, la loi imposant un paiement échelonné du prix en fonction de l’avancement des travaux, il conviendrait de prendre en considération la date d’exigibilité de chaque échéance (C. Sizaire, préc. ; G. Casu, préc.). Ainsi, à propos du contrat de construction de maison individuelle, la Cour de cassation a récemment précisé que le solde du prix n’est dû au constructeur qu’à la levée des réserves, faisant de ce fait le point de départ du délai biennal (Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 18-26.194, D. 2020. 390
; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2020. 463, obs. G. Casu
; Constr.-Urb. 2020. Comm. 55, obs. C. Sizaire ; Gaz. Pal. 19 mai 2020. 86, obs. V. Zalewski-Sicard). Cette solution ne semble pas remise en cause par l’arrêt commenté.
© Lefebvre Dalloz