Action en responsabilité contre le liquidateur : point de départ du délai de prescription
En matière de revendication-restitution, la prescription de l’action en responsabilité contre le liquidateur ne court qu’à compter de la décision lui reconnaissant son droit d’exiger la restitution, passée en force de chose jugée.
Un des principaux domaines de responsabilité du liquidateur est celui de la revendication et de la restitution des biens appartenant à des tiers. C’est une particularité fondamentale du droit des entreprises en difficulté que de soumettre le propriétaire d’un bien à la volonté du liquidateur judiciaire. En effet, en liquidation judiciaire, le liquidateur détient seul le pouvoir d’acquiescer à une demande en revendication et/ou restitution formulée par un propriétaire. Un tel pouvoir du liquidateur ne saurait donc aller sans la responsabilité de son exercice (v. F. Aubert, La responsabilité civile personnelle des mandataires de justice dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires, rapp. annuel de la Cour de cassation 2002 ; A. Perdriau, La responsabilité civile des mandataires de justice dans les procédures collectives, JCP E 1989. 15547).
Lorsque le liquidateur acquiesce à une demande en revendication et/ou restitution d’un bien qui était donc présent en nature au jour du jugement d’ouverture, il doit s’assurer de leur préservation, en procédant notamment à l’enlèvement et au gardiennage des biens et garantir l’exercice effectif du propriétaire. Le Liquidateur doit ainsi prendre toutes mesures conservatoires et les frais inhérents constituent une charge de la procédure (Com. 13 janv. 2005, n° 13-11.550, Dalloz actualité, 18 févr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 207
; RTD civ. 2015. 444, obs. P. Crocq
; RTD com. 2015. 592, obs. A. Martin-Serf
; 29 sept. 2015, n° 13-26.529) contrairement aux frais d’enlèvement stricto sensu qui sont assumés par le propriétaire.
À défaut, le liquidateur répond du préjudice subi par le propriétaire. Il reste que l’appréciation de la faute du mandataire de justice est particulièrement délicate d’une part, et celle du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité tout aussi périlleuse d’autre part, comme en témoigne cet arrêt qui bien que non publié au Bulletin, poursuit cette analyse casuistique.
En l’espèce, la société A a donné en location quatre véhicules à la société J. Cette dernière a été mise en redressement judiciaire le 9 mars 2010, Mme X. étant désignée mandataire judiciaire, puis le 30 mars 2010, en liquidation judiciaire, Mme X. étant désignée liquidateur.
Le liquidateur a fait procéder à l’enlèvement et au gardiennage des quatre véhicules. Par une lettre recommandée adressée au liquidateur le 20 mai 2010, la société A a fait valoir son droit de propriété et demandé au liquidateur les modalités de la restitution des véhicules ainsi que l’organisation d’un constat contradictoire de leur état. Le 7 juin suivant, le liquidateur a acquiescé à la demande en précisant que les frais d’enlèvement et de gardiennage seraient à la charge de la société A, qui a refusé de les payer.
La société A ayant refusé d’assumer ces frais, a présenté le 23 juillet 2010 une requête au juge-commissaire en vue de faire commettre un expert à l’effet de constater contradictoirement l’état des véhicules, d’ordonner leur restitution et de dire que les frais de gardiennage seraient à la charge du liquidateur.
En application de l’article R. 621-21 du code de commerce, la société A a saisi le tribunal de la procédure et formulé les mêmes demandes qui ont été rejetées par un jugement du 16 janvier 2012 lui ordonnant d’acquitter le coût de l’enlèvement et du gardiennage des quatre véhicules avant d’obtenir leur restitution. La cour d’appel a confirmé ce jugement par arrêt du 21 novembre 2012, qui a été par la suite partiellement cassé (Com. 13 janv. 2015, n° 13-11.550 P).
Par un arrêt du 31 janvier 2017, la cour de renvoi a infirmé le jugement déféré et, statuant à nouveau, dit que Mme X., ès qualités, devait, sans délai, procéder à la restitution des véhicules, aux frais de la procédure collective, dans les locaux de la société S, venant aux droits de la société A, et que l’ensemble des frais concernant la conservation et la restitution des véhicules engagés depuis le prononcé de la liquidation judiciaire devaient être intégralement laissés à la charge de la procédure collective. En exécution de cet arrêt, les véhicules ont été restitués à la société S le 24 mai 2017.
Ensuite, par un acte du 26 octobre 2018, la société S a assigné en responsabilité le liquidateur. L’action en responsabilité est déclarée recevable, mais la société S est déboutée par le tribunal judiciaire. La cour d’appel retient, quant à elle, que la prescription de ladite action est acquise aux motifs que dès sa demande de restitution des véhicules à Me X. le 20 mai 2010, la société A était persuadée de ne pas avoir à supporter la charge des frais d’enlèvement et de gardiennage, ce qui est confirmé par ses requêtes présentées au juge commissaire, puis au tribunal de commerce, son appel et enfin son pourvoi en cassation, et que dès lors, elle avait connaissance du fait générateur de responsabilité dès le 20 mai 2010.
Conséquemment, la prescription quinquennale de l’action en responsabilité civile engagée contre le liquidateur était acquise lors de la signification de l’assignation le 16 octobre 2018.
La société S se pourvoit en cassation et fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite l’action exercée contre Mme X., alors que la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la manifestation certaine du dommage et non de la connaissance de la faute ; que lorsqu’il est demandé réparation des préjudices causés par les manquements d’un liquidateur judiciaire qui a refusé de restituer des biens appartenant au revendiquant faute pour ce dernier d’acquitter les frais d’enlèvement et de gardiennage de ces biens, le dommage causé par la faute du liquidateur judiciaire n’est certain qu’à compter du jour où devient définitive la décision de justice qui retient que le revendiquant n’avait pas à supporter ces frais. Or, au 20 mai 2010, la manifestation du dommage résultant de la faute de Me X., liquidateur judiciaire, n’était qu’éventuelle, sa certitude n’ayant été établie que par l’arrêt rendu par la cour d’appel du 31 janvier 2017 passé en force chose jugée.
Les sages du quai de l’Horloge cassent l’arrêt puisqu’en vertu de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer et la société S n’a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer l’action en responsabilité contre le liquidateur qu’au jour où l’arrêt du 31 janvier 2017, lui reconnaissant son droit d’exiger la restitution sans frais pour elle des véhicules, est passé en force de chose jugée (en ce sens, Montpellier, 24 oct. 2023, n° 22/00087 ; contra, Poitiers, 22 mars 2022, n° 21/02671).
Pour autant, la Haute Jjuridiction, le 13 janvier 2015, et la cour d’appel de renvoi, le 31 janvier 2017 n’ont certes que consacré le droit de la société d’obtenir la restitution des véhicules sans acquitter les frais d’enlèvement et de gardiennage, mais surtout et par-là, la cour d’appel de renvoi l’a rendu exigible. Cet arrêt du 31 janvier 2017 n’a pas créé ce droit ni caractérisé le fait générateur de la faute du liquidateur – consistant à avoir conditionné la restitution des véhicules au paiement des frais d’enlèvement et de gardiennage – qui existait dès l’année 2010, mais son exigibilité, à savoir le moment où le titulaire du droit a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son action. Or, l’action en responsabilité engagée à l’endroit du liquidateur qui vise précisément à établir l’existence d’un fait générateur de responsabilité, telle qu’une faute commise par ce dernier, ne court qu’à compter de son exigibilité. Dès lors avant cette date, la société ne pouvait valablement agir responsabilité.
Les arguments selon lesquels, en matière de responsabilité, il n’est pas exigé que le fait générateur soit consacré par une décision judiciaire, ni que le préjudice soit d’ores et déjà connu dans toute son ampleur, étaient séduisants, mais inopérants. Il est requis pour déterminer le point de départ de l’action en responsabilité, que le titulaire du droit ait connaissance des faits lui permettant d’exercer son action, ce qui est décorrélé du fait générateur lui-même, en l’espèce la faute du liquidateur ayant subordonné la remise des véhicules au règlement des frais d’enlèvement et de gardiennage.
Conséquemment, l’arrêt ne s’intéresse pas au fond du droit, ni à la nature du préjudice souffert par le propriétaire – qui s’analyse très certainement en la perte d’une chance –, mais à la prescription de l’action, et plus encore de son point de départ. D’aucuns se féliciteront que la chronojuridicité de l’action en responsabilité soit dual, comportant un temps de l’action strictement fixé par la loi, et celui des spécificités du litige.
Com. 7 févr. 2024, F-D, n° 22-23.288
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