Action paulienne et créance certaine en son principe

Dans un arrêt rendu le 26 juin 2025, la troisième chambre civile continue la lignée jurisprudentielle forgée par la Cour de cassation autour des conditions de l’action paulienne et notamment de celle d’une créance certaine, au moins en son principe.

L’action paulienne a été au cœur de plusieurs arrêts importants rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation ces derniers mois. Un premier s’est intéressé, à la fin de l’hiver, à la condition d’appauvrissement (Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836, Dalloz actualité, 5 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 619 , note C. Revet ; RCJPP 2025, n° 02, p. 32, obs. N. Bargue ; RTD civ. 2025. 91, obs. H. Barbier ) tandis qu’un second, aux derniers jours du printemps, concernait la possibilité de poursuivre cette action contre une transaction homologuée (Com. 4 juin 2025, n° 23-12.614, Dalloz actualité, 11 juin 2025, obs. C. Hélaine).

Une nouvelle décision rendue le 26 juin 2025, cette fois-ci par la troisième chambre civile, complète cette série en ce début d’été. Elle porte sur une thématique importante, celle de l’exigence d’une créance certaine au moins en son principe. La question occupe une place fondamentale au carrefour du régime général des obligations et de la procédure civile puisque l’enjeu principal concerne la recevabilité de l’action paulienne. C’est l’arrêt que nous allons examiner aujourd’hui.

À l’origine du pourvoi, la vente d’un immeuble est conclue le 18 février 2013. Toutefois, les acquéreurs constatent des désordres après leur entrée dans les lieux et sollicitent donc une expertise afin d’en identifier la cause. En août 2015, ils assignent les vendeurs pour obtenir réparation des préjudices ainsi subis.

Or, à peine quelques mois plus tôt, l’un des vendeurs avait fait donation à ses deux filles de parts d’une société et de la pleine propriété d’un immeuble. Ces actes ont, d’ailleurs, été complétés par une troisième opération conclue en septembre 2015, à savoir la cession de parts sociales d’une autre société appartenant à ce même vendeur. En 2016, les demandeurs à l’action en responsabilité souhaitent voir déclarer inopposables ces trois derniers actes sur le fondement de l’action paulienne.

Dans le contentieux opposant les parties sur la réparation due au titre des désordres, le juge de la mise en état condamne, le 21 décembre 2017, les vendeurs à régler à titre provisionnel une certaine somme afin de réparer lesdits désordres. La décision est confirmée en appel le 17 janvier 2019.

Quant à l’instance concernant l’action paulienne, celle-ci suit également son cours. En cause d’appel, cette action est jugée recevable dans la mesure où les demandeurs justifient d’une créance certaine en son principe tant au moment de la fraude alléguée qu’au jour où le juge statue. Les défendeurs se pourvoient en cassation en estimant que ce raisonnement méconnaît l’article 1167 ancien du code civil, les faits étant antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des obligations.

L’arrêt du 26 juin 2025 confirme la ligne directrice tracée depuis quelques années par la Cour de cassation concernant la condition d’une créance certaine en son principe pour exercer une action paulienne. La publication au Bulletin de la décision s’accompagne, par ailleurs, de la mise à disposition en libre accès sur Judilibre du rapport du conseiller-rapporteur et de l’avis de l’avocate générale. Ces documents permettent de mieux comprendre les rouages argumentatifs à l’œuvre.

Une jurisprudence désormais bien établie

Les conditions de l’action paulienne sont dépendantes de sa nature à mi-chemin entre mesure conservatoire et mesure d’exécution, sa qualification n’étant ni assimilable à l’une, ni à l’autre (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1741, n° 1590). Dès lors, la jurisprudence n’a pas hésité à s’éloigner des critères habituels d’une créance certaine, liquide et exigible (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 968, n° 924).

Par conséquent, comme le notent certains auteurs, « la Cour de cassation s’est progressivement écartée de ces exigences allant jusqu’à se contenter que le créancier établisse une créance certaine en son principe » (J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, L. Andreu et V. Forti, Droit civil – Les obligations, tome 3 : le rapport d’obligation, 11e éd., Sirey, coll. « Université », 2024, p. 34, n° 25). On citera, à ce titre, une décision rendue le 24 mars 2021 – mobilisée dans la motivation de l’arrêt examiné aujourd’hui – par laquelle la chambre commerciale a précisé que « si le créancier qui exerce l’action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l’acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l’absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l’action paulienne » (Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033, pt n° 5, nous soulignons ; Dalloz actualité, 12 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1319 , note L. Sautonie-Laguionie ; RTD civ. 2021. 410, obs. H. Barbier ).

Cette position était d’ailleurs la suite logique d’une décision rendue en 2015 par une autre formation de la Haute juridiction sous le prisme du droit ancien (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-21.174, Dalloz actualité, 3 févr. 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 611 , note J. François ). Comme le note le professeur Laura Sautonie-Laguionie, l’arrêt du 24 mars 2021 a définitivement opéré le glissement entre l’exigence d’une créance certaine et celle d’une créance « certaine son principe », ce qui n’était pas tout à fait certain à la suite de la seule décision du 15 janvier 2015 (L. Sautonie-Laguionie, obs. préc., spéc. I, dernier §).

Par ailleurs, il faut également ici invoquer la jurisprudence récente qui a elle-même continué l’assouplissement d’une autre partie des conditions de l’action paulienne concernant l’appauvrissement du débiteur. La chambre commerciale a rappelé en effet, il y a quelques mois, que le créancier dispose de la voie paulienne quand une cession fait échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Le préjudice du créancier ainsi caractérisé, la fraude paulienne n’est pas subordonnée à la preuve de l’appauvrissement du débiteur (Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836, préc.).

La décision examinée aujourd’hui s’inscrit pleinement dans ce mouvement d’élargissement en se concentrant, toutefois, seulement sur le caractère certain de la créance.

Une position (re)centrée sous le prisme de la recevabilité

Le principal mérite de l’arrêt rendu le 26 juin 2025 est de recentrer le débat autour de la recevabilité de l’action. On peut lire, en effet, que « le créancier qui exerce l’action paulienne doit justifier d’une créance certaine au moins en son principe à la date de l’acte argué de fraude ainsi, sous peine d’irrecevabilité, qu’au moment où le juge statue » (pt n° 5, nous soulignons). Cette formulation n’est pas exactement la même que celle utilisée ces dernières années par d’autres formations de la Haute juridiction.

La troisième chambre civile fait, tout de même, sienne les positions étudiées précédemment. La publication au Bulletin de l’arrêt puise au moins une partie de sa légitimité sur ce point. On notera le recours à la technique de citation des précédents pour continuer d’opérer un certain chaînage des décisions entre elles puisque l’arrêt de 2021 est explicitement mobilisé comme nous l’avons déjà précisé.

Cette appréhension de la solution visant à se contenter d’une créance seulement certaine en son principe n’est toutefois pas suffisante pour expliquer la mise en valeur de l’arrêt étudié. Le véritable point d’intérêt de la décision du 26 juin réside dans son centrage autour de la notion de recevabilité. Comme le note le conseiller-rapporteur au sein de son rapport, diverses conséquences pratiques sont liées à cette question (Rapport, p. 15).  La condition tendant à caractériser une créance certaine en son principe pourrait ainsi rencontrer une fin de non-recevoir quand celle-ci n’est pas remplie au jour de l’acte argué de fraude. Telle était, d’ailleurs, la position des demandeurs à la cassation (comp. pts nos 4 et 6 de l’arrêt).

En l’espèce, toute la difficulté reposait sur la chronologie des actes attaqués dont deux avaient été passés le 20 mars 2015 et le 15 mai suivant. On pouvait effectivement se questionner sur l’intérêt à agir des acquéreurs qui n’avaient pas de créance certaine à ce moment-là, l’instance en responsabilité sollicitant la réparation des désordres observés au sein du bien vendu n’ayant été diligentée qu’en août 2015

Le rejet du pourvoi s’explique, cependant, par la condition assouplie d’une créance seulement certaine en son principe. Une expertise avait été réalisée en 2014 constatant « la présence d’infiltrations rendant la maison acquise quasiment inhabitable ou insalubre » (pt n° 6, nous soulignons). L’ordonnance du juge de la mise en état de 2017 avait, en outre, retenu une provision, signant ainsi que l’intégralité de la créance n’était pas soldée. Il y avait, quoi qu’il en soit, au moins un « principe certain de créance » (pt n° 6) validant pleinement la recevabilité de l’action paulienne.

Ce choix de recentrer le débat autour de ladite recevabilité permet utilement de faire interagir la fraude paulienne avec l’intérêt à agir du créancier. Ceci est d’ailleurs conforme avec la rédaction de la motivation de l’arrêt de 2021 qui évoquait déjà la recevabilité sous une formulation effectivement moins directe (comp. Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033, pt n° 5, Dalloz actualité, 12 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1319 , note L. Sautonie-Laguionie ; RTD civ. 2021. 410, obs. H. Barbier ). En l’espèce, les demandeurs à la cassation ne parviennent pas à inverser la vapeur puisque des éléments sérieux convergent vers une créance certaine en son principe dès 2014. Cependant, l’affirmation de la décision étudiée aujourd’hui paraît suffisamment sévère pour que la pratique surveille très attentivement cette condition en cas d’exercice d’une action paulienne. Sans elle, une fin de non-recevoir invoquée par le défendeur empêchera purement et simplement tout examen au fond. La possibilité d’une inopposabilité disparaîtra alors avec l’irrecevabilité de l’action.

L’arrêt porte, en outre, sur une affaire antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. En résulte alors une concordance des positions entre le droit nouveau et le droit ancien puisque l’arrêt de 2021 cité au sein de la motivation enrichie portait sur le nouvel article 1341-2 du code civil (comp. avec l’avis de l’avocat général, p. 3, comparant les moutures des textes concernés). Cet alignement est pertinent car on pouvait se demander si les actions pauliennes diligentées sous l’empire du droit ancien continuaient d’être régies par des conditions de recevabilité plus strictes. Une créance certaine en son principe suffit donc tant au moment de l’acte attaqué qu’à la date où le juge statue pour l’article 1167 ancien comme pour le nouvel article 1341-2 du code civil. Ceci concourt, plus encore, à l’intérêt d’une publication au Bulletin.

Voici, en somme, un très bel arrêt au sujet du régime général des obligations témoignant d’une approche souple des conditions de l’action paulienne. Continuant une œuvre prétorienne désormais plutôt bien établie, au moins depuis 2021, la décision intéressera la pratique en ce que le créancier peut parfaitement se satisfaire d’une créance seulement certaine en son principe. L’orientation évite la mise en jeu d’une fin de non-recevoir empêchant le débat au fond d’avoir lieu.

 

Civ. 3e, 26 juin 2025, FS-B, n° 23-21.775

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille

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