Action récursoire de la CPAM en cas de faute inexcusable : point de départ
Le point de départ du délai de prescription de l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie à l’encontre de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable, aux fins de récupération des indemnités versées à la victime, doit être fixé au jour de la notification à la caisse de l’acte introductif d’instance.
Une victime (ou ses ayants droit), agissant en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur ayant causé un accident de travail ou une maladie professionnelle, doit obligatoirement appeler la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) en déclaration de jugement commun (CSS, art. L. 452-4). En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la caisse, appelée en déclaration de jugement commun par le biais d’une intervention forcée, doit faire l’avance des indemnités et de la rente majorée qu’elle récupère ensuite auprès de l’employeur (CSS, art. L. 452-2 et L. 452-3), à la condition qu’une décision judiciaire statue expressément sur l’action récursoire réservée à la caisse (Civ. 2e, 13 oct. 2022, n° 21-15.035 F-B, D. 2023. 1282, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier
).
La Cour de cassation confirme, dans l’arrêt commenté, la nature récursoire de cette action, dans la lignée d’une jurisprudence désormais établie (not., depuis Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 20-15.732, Dalloz actualité, 8 déc. 2021, obs. R. Bigot, A. Cayol et V. Roulet ; D. 2021. 2095
; ibid. 2022. 864, chron. C. Bohnert, F. Jollec, O. Talabardon, G. Guého, J. Vigneras et C. Dudit
). Cette dernière a mis fin à un débat ayant animé la deuxième chambre civile, qui aurait pu envisager une nature subrogatoire de l’action, alors soumise à la même prescription extinctive que le subrogé.
L’arrêt précité, qui a soumis l’action récursoire de la caisse à la prescription quinquennale de droit commun, prévue par l’article 2224 du code civil, n’a cependant pas déterminé le point de départ du délai de prescription. On notera d’ailleurs que la cour d’appel de renvoi (Dijon, 25 oct. 2022, n° 21/01525) considérait que le délai de prescription de l’action de la caisse devait débuter à la date du jugement où était reconnue la faute inexcusable de l’employeur. Au contraire, dans l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile considère que le délai de prescription de droit commun doit débuter à la date de notification de l’assignation à la caisse.
L’application de la jurisprudence civiliste liée au point de départ de l’action récursoire
Par une substitution de motifs, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi en considérant que le délai de prescription attaché à l’action récursoire de la caisse commence à courir dès la notification à la caisse de l’acte introductif de l’instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
La Cour de cassation transpose ici la logique juridique retenue en chambre mixte, qui a récemment précisé que la prescription applicable au recours d’une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu’il estime coauteur du même dommage a pour point de départ l’assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit (Cass., ch. mixte, 19 juill. 2024, n° 22-18.729, Dalloz actualité, 9 sept. 204, obs. C. Hélaine ; AJDA 2024. 1517
; D. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; ibid. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki
; RTD civ. 2024. 886, obs. H. Barbier
; ibid. 901, obs. P. Jourdain
).
En ce sens, la position retenue par la deuxième chambre civile a le mérite de la cohérence en retenant une approche similaire à celle posée en chambre mixte : de la même manière que la chambre mixte considérait que la personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l’assignation, des faits lui permettant d’agir contre celui qu’elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, la deuxième chambre civile retient que la caisse a connaissance, dès que lui est notifié l’acte introductif de l’instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, des faits lui permettant d’agir contre ce dernier en remboursement des sommes avancées.
Il sera relevé que la solution ne surprendra pas les praticiens des autres domaines du droit civil dans lesquels la jurisprudence avait déjà retenu un point de départ du délai de prescription de l’action récursoire à la date de l’assignation du responsable (v. par ex., Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10.763, Dalloz actualité, 13 sept. 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 1728
, note T. Genicon
; AJDI 2023. 788
, obs. D. Houtcieff
; RDI 2023. 539, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire
; RTD civ. 2023. 638, obs. H. Barbier
; ibid. 914, obs. P.-Y. Gautier
; RTD com. 2023. 714, obs. B. Bouloc
; Civ. 2e, 4 oct. 2018, n° 17-26.931 ; Civ. 3e, 5 nov. 2020, n° 19-20.237, D. 2020. 2238
).
Si la décision nous paraît être tout à fait conforme à l’esprit de l’article 2224 du code civil, en ce qu’elle fait démarrer la prescription au jour où le demandeur « aurait dû connaître » les faits lui permettant d’exercer l’action, la logique retenue par les magistrats du quai de l’Horloge aurait pu trouver sa limite en ce que la caisse n’est pas un coresponsable du dommage, mais un organisme avançant des sommes dont l’employeur est finalement débiteur envers la victime de la faute inexcusable ou ses ayant droits. La caisse peut, certes, porter une appréciation personnelle sur les chances de succès d’une demande en reconnaissance de faute inexcusable, mais elle ne dispose pas d’une connaissance du fait générateur de responsabilité identique à celle d’un coauteur de dommage. En vertu de la décision commentée, la caisse n’aura d’autre choix que de se fier à l’appréciation faite par le salarié sur une prétendue faute inexcusable et de former son action récursoire avant même toute décision judiciaire.
Les enjeux pratiques du point de départ du délai de prescription à la date de notification de l’assignation
Le pourvoi en cassation soutenait que le délai de prescription démarrait à la date de versement des indemnités. Une telle solution, bien que plus indulgente envers la caisse, aurait eu pour inconvénient de faire démarrer le délai de prescription à une date excessivement lointaine, alors même que la caisse était consciente d’une éventuelle reconnaissance de faute inexcusable depuis la notification de l’assignation. L’argument tenant à l’incertitude de l’issue du litige, au stade de l’assignation, ne convainc pas la juridiction. Comme le relève l’avocate générale dans son avis rendu à l’occasion de l’arrêt du 19 juillet 2024 précité, s’il faut reconnaître qu’au moment de l’assignation, le dommage n’est pas fixé, il ne l’est pas davantage avant une décision irrévocable de condamnation sur le fondement de la responsabilité civile.
Si la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation peut, en outre, sembler sévère pour la caisse, elle préserve de façon équilibrée d’autres intérêts comme ceux d’une bonne administration de la justice, ou les intérêts de l’employeur. L’arrêt rendu en chambre mixte considérait que le départ de la prescription à la notification de l’assignation encourageait « la possibilité d’un traitement procédural dans une même instance ». Au cas d’espèce, cela encourage la résolution de l’ensemble du contentieux lié à la faute inexcusable pour l’ensemble des protagonistes, au sein d’une même instance. En effet, la caisse peut formuler une demande relative à son action récursoire au cours de l’instance à laquelle elle a été appelée en jugement commun, ce qui n’a pas été le cas dans les faits ayant donné lieu au pourvoi. La caisse est d’autant plus incitée à agir contre l’employeur au cours de la même instance, que son action est recevable même si elle est engagée pour la première fois en cause d’appel (Civ. 2e, 22 sept. 2011, n° 10-20.085). La caisse peut également formuler cette demande à l’occasion d’une instance distincte au travers d’une action préventive qui aurait toutefois pour inconvénient d’encombrer le rôle des juridictions.
La sévérité apparente de cette solution semble aussi se justifier au regard de la nature des caisses de sécurité sociale, supposées plus averties que les justiciables ordinaires. L’action récursoire de la caisse est d’ailleurs bien plus simple à mettre en place qu’un recours contre un coresponsable classique, dans la mesure où elle tend seulement à récupérer les sommes avancées et n’implique pas l’appréciation par la juridiction d’un quelconque partage de responsabilité entre la caisse et l’employeur.
On rappellera enfin que le rôle de la prescription extinctive, en l’espèce, est également de protéger l’employeur contre une action tardive de la caisse.
Par cette solution pragmatique, la deuxième chambre civile répond à la nécessité de limiter dans le temps les actions en justice sans entraver pour autant l’effectivité du droit d’agir des caisses de sécurité sociale.
Civ. 2e, 4 sept. 2025, F-B, n° 23-10.926
par François-Xavier Ansart, Avocat associé et Charlotte Cornette, Avocat
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