Activités sociales et culturelles du CSE : illicéité des conditions d’ancienneté minimale
L’accès aux activités sociales et culturelles (ASC) du CSE ne peut pas être subordonné à une condition d’ancienneté. Par conséquent, tous les CSE qui réservent le bénéfice de leurs ASC à partir d’une certaine ancienneté dans l’entreprise doivent mettre un terme à cette pratique.
Il était courant jusqu’à présent de trouver, dans les règlements de comités sociaux et économiques, des conditions d’ancienneté pour que les salariés puissent accéder au bénéfice des activités sociales et culturelles. Or le code du travail ne dit rien quant aux conditions d’attribution des ASC et sur la possibilité – ou non – de fixer des critères, au-delà bien sûr des règles générales sur la non-discrimination dont on doit considérer qu’elle s’applique également à la matière. Doit-on considérer qu’exiger une ancienneté minimale pour pouvoir prétendre aux bénéfices de ces activités est conforme au droit ? C’est par une réponse négative sans ambiguïté que la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce, pour la première fois à notre connaissance, par un arrêt du 3 avril 2024.
En l’espèce, un comité social et économique (CSE) avait décidé de modifier son règlement général relatif aux activités sociales et culturelles afin d’instaurer un délai de carence de six mois avant de permettre aux salariés nouvellement embauchés de bénéficier des activités sociales et culturelles.
Un syndicat a consécutivement fait assigner le comité et l’employeur devant le tribunal judiciaire selon la procédure d’assignation à jour fixe en demandant au tribunal de dire illicite ce nouvel article du règlement et de l’annuler.
Les juges du fond déboutèrent toutefois le syndicat de ses demandes, de sorte que celui-ci forma un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va, au visa des articles L. 2312-78 et R. 2312-35 du code du travail, prononcer la cassation de la décision.
L’illicéité affirmée des conditions d’ancienneté en matière d’accès aux ASC
Il faut en effet rappeler que le premier alinéa de l’article L. 2312-78 prévoit que le CSE « assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l’entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel qu’en soit le mode de financement, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ».
L’article R. 2312-35 définit quant à lui une liste non limitative de ce que peuvent être les activités sociales et culturelles, qui sont « établies dans l’entreprise au bénéfice des salariés ou anciens salariés de l’entreprise et de leur famille ».
Les hauts magistrats vont déduire d’une lecture combinée de ces textes que s’il appartient au CSE de définir ses actions en matière d’activités sociales et culturelles, l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté.
Elle va ainsi balayer le raisonnement des juges du fond qui les avait conduits à juger licite la condition d’ancienneté en ce qu’elle était appliquée de la même manière à l’ensemble des salariés, lesquels étaient tous placés dans la même situation au regard d’un critère objectif qui ne prenait pas en compte les qualités propres du salarié. L’objectif du comité avait en effet été jugé légitime, dans l’intérêt même des salariés, en cherchant à éviter un effet d’aubaine résultant de la possibilité de bénéficier, quelle que soit l’ancienneté, des actions sociales et culturelles du comité réputées généreuses.
Se faisant, la chambre sociale se prononce pour la première fois de façon claire dans le sens de l’illicéité de la condition d’ancienneté imposée par le CSE aux salariés souhaitant prétendre à un accès aux ASC. La jurisprudence et l’administration étaient précédemment venues préciser que les ASC ne doivent pas être attribuées de façon ou sur la base de critères discriminatoires (par exemple en excluant les salariés en longue maladie, v. rép. Georges n° 84460, JO 13 déc. 2011, JOANQ p. 13125 ; ou encore les salariés en fonction de leur appartenance syndicale, V. Soc. 16 avr. 2008, n° 06-44.839, Dalloz actualité, 15 mai 2008, obs. B. Inés ; Comité interentreprises du groupe Banques populaires c/ FNSF-CGT, D. 2008. 1417, obs. B. Ines
; RDT 2008. 467, obs. F. Signoretto
). Il était également jugé au-delà de l’octroi des ASC que l’appartenance à une catégorie professionnelle (cadre/non-cadre) n’est pas plus un critère d’attribution autorisé (Soc. 20 févr. 2008, n° 05-45.601, D. 2008. 696
; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès
; Dr. soc. 2008. 530, note C. Radé
; rendu à propos de titres-restaurant réservés par l’employeur au personnel non-cadre).
Concernant plus particulièrement le critère d’ancienneté, une réponse ministérielle, à propos des cadeaux et bons d’achat offerts par le CSE, avait donné l’occasion à l’administration de préciser que « la différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes, ce qui n’apparaît pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, compatible avec des critères en lien avec l’activité professionnelle tels que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise » (rép. Pallois n° 43931, JOANQ 6 mai 2014, p. 3688). En d’autres termes, le ministère du Travail considérait déjà depuis 2014 qu’un CSE ne pouvait pas retenir l’ancienneté dans l’entreprise comme critère d’octroi d’une ASC.
Ce qui pouvait paraître contradictoire avec la position du réseau des URSSAF, mentionnée dans un guide pratique CSE récent, dans lequel pouvait être lu que si « les prestations du CSE doivent bénéficier à l’ensemble des salariés, sans discrimination entre eux […], ce bénéfice peut être réservé aux salariés ayant une ancienneté, dans la limite de 6 mois. » (Guide pratique, Comité social et économique, 2024, p. 5).
Il n’était en effet pas évident, à la lecture des articles, de déduire la faculté de prévoir une condition d’ancienneté dans l’octroi de l’accès à certaines ASC, pas plus qu’il n’était simple d’en déduire son interdiction totale.
L’on pourra désormais saluer la solution apportée par les hauts magistrats, en ce qu’elle est tranchée de façon claire et sans ambages. Les CSE devront se mettre en conformité avec la ligne jurisprudentielle esquissée dans l’arrêt du 3 avril 2024, en supprimant les conditions d’ancienneté éventuellement intégrée dans leur règlement d’octroi des avantages devant profiter à l’ensemble des salariés.
Les salariés se voyant désormais opposer une condition d’ancienneté dans le cadre de leur demande d’accès aux ASC du CSE pourront invoquer la décision de la chambre sociale pour considérer ladite condition comme sans effet et revendiquer l’avantage.
Soc. 3 avr. 2024, FS-B, n° 22-16.812
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