Actualité du droit des entreprises en difficulté de la fin de l’année 2023
Après avoir présenté le dispositif expérimental de création d’un tribunal des activités économiques et la problématique, très actuelle, des actifs numériques confrontés aux procédures collectives, cet article dresse le panorama des arrêts les plus importants rendus par la Cour de cassation en droit des entreprises en difficulté au cours de la fin de l’année 2023.
Le dispositif expérimental de création d’un tribunal des activités économiques
L’actualité reste riche avec, en particulier, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice qui a créé les outils d’une réforme des tribunaux de commerce avec des sujets intéressant le praticien des entreprises en difficulté.
Le titre III concerne la création à titre expérimental d’une extension des compétences de certains tribunaux de commerce qui seront nommés « tribunal des activités économiques », composés de juges élus, de juges exerçant la profession d’exploitant agricole et d’un greffier. Par dérogation au premier alinéa du I de l’article L. 611-2 et au premier alinéa de l’article L. 611-2-1 du code de commerce, le président du tribunal des activités économiques connaît de la procédure d’alerte et des procédures amiables, quels que soient le statut et l’activité de la personne physique ou morale qui éprouve des difficultés, à l’exception des professions réglementées. En outre, pour la procédure de sauvegarde, le tribunal des activités économiques connaît des procédures collectives dans les mêmes conditions. Ce tribunal connaîtra aussi, en cas de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, de toutes actions et contestations relatives aux baux commerciaux nées de la procédure et qui présentent avec celles-ci des liens de connexité suffisants. Il est prévu que cette réforme concernera dans un premier temps, au moins neuf et au plus douze tribunaux de commerce qui seront désignés par arrêté et cela pendant une durée de quatre ans, un rapport devant être établi à la fin de cette période, au moins six mois avant le terme de l’expérimentation sur l’évaluation de l’impact de cette réforme.
En outre, une contribution pour la justice économique sera versée par la partie demanderesse sous certaines conditions, selon un barème qui sera défini par décret et cela dans la limite d’un montant maximal de 100 000 €, en tenant compte du montant des demandes initiales, de la nature du litige, de la capacité contributive de la partie demanderesse. Cela ne concernera pas les personnes physiques et les personnes morales de droit privé employant moins de 250 salariés, ni le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective. La gratuité demeurera donc la règle en cette matière.
Cette loi comporte de nombreuses autres dispositions que nous n’avons pas à examiner ici, notamment sur la création d’un nouveau statut d’attaché de justice et d’assistant spécialisé, mais cela ne concerne que les magistrats du siège et du Parquet et non les juges consulaires. La réforme concerne aussi les procédures disciplinaires, les modalités des saisies, …
Les actifs numériques confrontés aux procédures collectives
Un colloque intéressant est venu nourrir le débat sur les actifs numériques confrontés aux procédures collectives (colloque du 12 oct. 2023 sous la direction scientifique de Mme Douaoui-Chamseddine ; Veille permanente, 16 nov. 2023, note J.-L. Vallens). Ce colloque a examiné les différents aspects de la question et il est utile de résumer ici quelques aspects abordés. La création et le développement des actifs numériques avec la blockchain évoquent la question de la monnaie numérique et de biens immatériels qui peuvent être cédés, échangés ou grevés de sûretés.
Différentes réglementations ont été ici examinées et notamment le règlement (UE) 2023/114 du 31 mai 2023 sur les marchés de cryptoactifs, ou encore les principes d’Unidroit. La question du sort des actifs numériques en cas de procédure collective a été évoquée car il faut tenir compte de la particularité de ces actifs. Doit-on notamment tenir compte des cryptoactifs dans la détermination d’un état de cessation des paiements ? Il semble que oui, dès lors qu’il s’agit d’un actif disponible au sens de l’article L. 631-1 du code de commerce (S. Fahri, Actifs numériques, blockchain et cessation des paiements, in Mélanges en l’honneur de A. Martin-Serf, Bruylant, 2022, p. 407). Faut-il déclarer des actifs numériques qui constituent des créances au passif d’un conservateur insolvable (C. Boismain, Les détenteurs de crypto-monnaies sont-ils des créanciers chirographaires des plateformes d’échange ?, D. 2022. 1871
) ? La revendication apparaît possible et les sûretés consenties sur un cryptoactif seraient opposables à la procédure collective, dès lors qu’il s’agit d’un nantissement sur un actif incorporel. Les contrats portant sur des cryptoactifs peuvent aussi être considérés comme des contrats en cours et dès lors, ils peuvent être annulés dans les conditions prévues pour les actes préjudiciables aux intérêts collectifs des créanciers (C. com., art. L. 632-1). Les créances constatées ou cédées par un contrat portant sur un cryptoactif font l’objet du dessaisissement du débiteur (C. com., art. L. 641-9 et L. 622-1). À quelle loi doit-on se référer ? Il semble que les travaux Unidroit permettent d’y répondre en faisant référence à la loi mentionnée dans l’acte ou la loi de l’État avec lequel le cryptoactif a les liens les plus étroits.
La prévention
Signalons un arrêt du 22 novembre 2023 (Com. 22 nov. 2023, n° 22-17.798 F-B, Dalloz actualité, 14 déc. 2023, obs O. Maraud ; D. 2023. 2132
; Rev. sociétés 2023. 814, obs. P. Roussel Galle
; Veille permanente, 30 déc. 2023, obs. P. Roussel Galle) sur la confidentialité de la prévention. Nous savons que l’article L. 611-15 du code de commerce a prévu le principe de la confidentialité pour toute personne qui est appelée à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc.
Cependant, cette confidentialité n’est pas absolue et peut être levée à l’occasion d’une demande d’ouverture d’un redressement judiciaire. En l’espèce, le débiteur avait bien déclaré qu’il avait bénéficié d’un mandat ad hoc, neuf mois auparavant. Sur la demande du ministère public, le tribunal a ordonné la communication des pièces et actes relatifs à ce mandat ad hoc et a renvoyé à une date ultérieure. Un appel nullité a été formé par la débitrice contre ce jugement, puis un redressement judiciaire a été ouvert. Or, la Cour d’appel de Lyon a déclaré l’appel nullité irrecevable, un excès de pouvoir lui étant reproché ainsi que la violation des articles L. 611-15 et L. 621-1, alinéas 5 et 6, du code de commerce, et de l’article 562 du code de procédure civile. Un arrêt de cassation est intervenu. Il a été reproché à la cour d’appel, en même temps qu’elle déclarait irrecevable l’appel nullité, d’avoir confirmé le jugement qui a fait l’objet de l’appel.
Dans le commentaire publié (O. Maraud, préc.), il est fait état des dérogations permettant des atteintes à la confidentialité et en premier lieu, la procédure d’homologation. Cette atteinte est cependant limitée, car si tout intéressé peut prendre connaissance au greffe du jugement d’homologation qui est publié au BODACC, l’accord a vocation à rester confidentiel pour les tiers (C. com., art. L. 611-10).
En sauvegarde accélérée, qui fait suite à une procédure de conciliation, il est logique que le conciliateur fasse au tribunal un rapport, dès lors que cette procédure est le prolongement nécessaire de la conciliation (C. com., art. L. 628-2). En l’espèce, l’article L. 621-1 du code de commerce prévoit que l’ouverture d’une sauvegarde, après un mandat ad hoc qui a été ouvert dans un délai de dix-huit mois maximum avant cette ouverture doit être examinée en présence du ministère public. L’article L. 631-7, alinéa 1er, dispose que cette disposition est applicable au redressement judiciaire et à la procédure de liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-1).
En l’espèce, le débiteur considérait qu’aucune procédure collective n’ayant été ouverte, il n’avait pas à communiquer les éléments de la conciliation au ministère public. Ce moyen a été estimé non fondé. Normalement, la levée de la confidentialité intervient dans le jugement d’ouverture (RPC 2013. Comm. 160, note C. Delattre ; T. com. Coutances, 10 janv. 2017, n° 2017/000017, LEDEN févr. 2017 p. 2). Il est ainsi admis que la levée de la confidentialité figure dans un jugement précédant le jugement d’ouverture.
Le commentateur relève que l’article L. 621-1 du code de commerce n’impose pas la levée de la confidentialité dans le jugement d’ouverture. On ne voit pas bien l’intérêt cependant de cette façon de procéder à la levée de la confidentialité, dès lors que le jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire n’anticipe en aucune manière sur les sanctions qui seront ultérieurement prononcées après un examen plus approfondi de ce qui le précède. Il faut rappeler qu’il existe un délai de prescription de trois ans et que le ministère public aura amplement le temps, si le jugement d’ouverture permet la « déconfidentialisation », d’examiner les éléments de la conciliation pour y rechercher, le cas échéant, des griefs.
En outre, l’ouverture d’un redressement judiciaire ne dépend pas de l’attitude d’un débiteur pendant la conciliation ou le mandat ad hoc, mais de l’existence ou non d’un état de cessation des paiements. Même en ce qui concerne la date de cessation des paiements, celle-ci n’est que provisoire et un délai d’un an reste encore ouvert pour contester le cas échéant cette date, si cela paraît nécessaire. Cette procédure préparatoire qui témoigne d’une défiance a priori à l’égard de la prévention, n’apparaît donc pas justifiée.
Il faut ajouter que le principe de la confidentialité est une règle essentielle de la prévention et qu’il convient d’apprécier strictement toute entorse à la règle. Ainsi, si la levée de la confidentialité doit intervenir au plus tard au moment de l’ouverture de la procédure collective, il n’y a pas de raison vraiment convaincante qu’elle ait lieu auparavant, fût-ce dans un jugement préparatoire.
Nous avions déjà commenté (Dalloz actualité, 27 nov. 2023) l’arrêt concernant l’irrecevabilité du pourvoi contre la décision du président du tribunal accordant des délais de grâce au débiteur en conciliation (Com. 25 oct. 2023, n° 22-18.680, Dalloz actualité, 27 nov. 2023, obs. G. Berthelot ; D. 2023. 1901
; Rev. sociétés 2023. 812, obs. P. Roussel Galle
; le commentaire met l’accent sur la préservation du droit d’action du créancier contre la caution). En réalité, si ce recours est fermé, c’est parce que l’appel est possible. Dans cette affaire, le débiteur en conciliation avait obtenu un délai de douze mois pour le paiement d’une dette, ce que contestait le créancier.
C’est par erreur que le greffe avait mentionné qu’aucun recours n’était possible, la décision ayant été rendue « en dernier ressort », alors que l’appel restait ouvert. Dans cette hypothèse, cette notification est nulle comme le rappelle le commentateur Geoffroy Berthelot (Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-17.419, Dalloz actualité, 19 mars 2022, obs. R. Laffly ; 17 sept. 2020, n° 19-13.916).
Le redressement judiciaire
Que se passe-t-il en cas de résolution d’un plan de redressement qui met fin à la procédure en l’absence de liquidation judiciaire ? Dans ce cas, le juge commissaire ne peut plus être saisi pour statuer sur l’admission ou le rejet des créances (Com. 25 oct. 2023 n° 22-13.185 F-B, Dalloz actualité, 1er déc. 2023, obs. R. Azevedo ; D. 2023. 1901
). Il s’agissait d’un redressement judiciaire d’une SCEA dont la procédure avait été étendue à deux associés. Puis, le plan de redressement avait été résolu en 2014.
Une banque avait déclaré des créances contestées dès 2008. La cour d’appel avait déclaré irrecevable la demande de péremption de l’instance sur les déclarations de créances qui avait été formulée par les débiteurs. La Cour de cassation a rejeté leur pourvoi, dès lors que la résolution du plan de redressement avait mis fin aux opérations et à la procédure (C. com., art. L. 626-27, I, al. 4).
Dès lors qu’une liquidation judiciaire n’avait pas été ouverte, il n’y avait pas de cessation des paiements et dès lors, plus de passif à vérifier, comme l’avait souligné le conseiller référendaire dans son rapport. Laurence Caroline Henry (Veille permanente, 22 nov. 2023) rappelle qu’il faut prendre en compte la totalité du passif, même contesté dans le projet de plan de redressement (Com. 20 mars 2019, n° 17-27.527 P+B, Dalloz actualité, 10 avr. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 637
; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; Rev. sociétés 2019. 426, obs. P. Roussel Galle
; RTD com. 2019. 493, obs. H. Poujade
; ibid. 762, obs. A. Martin-Serf
). Il ne faut pas confondre la mission du commissaire à l’exécution du plan et celle concernant la vérification des créances.
Il faut préciser que le jugement concernant la résolution du plan avait été confirmé en appel mais infirmé en ce qu’il ordonnait la liquidation judiciaire. Il peut cependant être surprenant de constater que malgré la résolution du plan, aucune liquidation judiciaire n’avait été ouverte, ce qui constitue une hypothèse extrêmement rare … Tel n’était cependant pas le sujet, en l’espèce.
Sur l’admission définitive d’une créance de l’URSSAF, il a été jugé que seule la production d’une contrainte délivrée par l’URSSAF dans le délai légal peut constituer le titre exécutoire permettant l’admission définitive de la créance, malgré la contestation formulée par le débiteur.
Rappelons que les créances des organismes de Sécurité sociale qui n’ont pas fait l’objet d’un titre exécutoire au moment de leur déclaration ne peuvent être admises qu’à titre provisionnel pour leur montant déclaré. Il appartient à l’organisme créancier d’établir définitivement sa créance dans le délai fixé par le tribunal (C. com., art. L. 624-1). La cour d’appel a été censurée car elle avait considéré que la créance déclarée était définitive, dès lors que la société n’avait pas contesté dans les trente jours la lettre qui lui avait été notifiée. Or, aucune contrainte délivrée dans le délai imparti au mandataire judiciaire n’avait été communiquée, de sorte que la cour d’appel avait violé les articles L. 622-22, alinéa 4, du code de commerce et L. 244-9 du code de la sécurité sociale (M. Dizel, Veille permanente, obs. ss. Com. 25 oct. 2023, n° 22-15.137).
Un arrêt intéressant a été rendu sur la faute reprochée à un crédit-bailleur permettant de décharger une caution, dès lors que la subrogation ne pourrait plus s’opérer en sa faveur. En l’espèce, il était fait état de l’article R. 624-14 du code de commerce permettant, lorsqu’un contrat a fait l’objet d’une publicité, de demander la restitution du bien par lettre recommandée avec accusé de réception à l’administrateur judiciaire ou à défaut, au débiteur avec copie au mandataire judiciaire. À défaut d’accord dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande ou en cas de contestation, le juge-commissaire peut être saisi à la diligence du propriétaire. Cependant, cette demande n’est qu’une faculté pour le propriétaire. En l’espèce, la demande de décharge des cautions avait été rejetée en appel car l’action en restitution n’est soumise à aucun délai, aucune faute n’étant démontrée du fait du défaut de restitution du matériel donné en crédit-bail. Néanmoins, il fallait rechercher si cette omission avait fait perdre ou non aux cautions, un droit qui pouvait leur profiter. En l’espèce, la cour d’appel avait retenu la position de la société de crédit-bail mais la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à cette recherche qui paraissait effectivement logique. On peut en déduire qu’en ne demandant pas la restitution du matériel, objet du crédit-bail, la société de crédit-bail a fait perdre aux cautions un droit qui pouvait leur profiter (Com. 8 nov. 2023, n° 22-13.823, Dalloz actualité, 7 déc. 2023, obs. D. Boustani-Aufan ; D. 2023. 2004
; Gaz. Pal. 21 nov. 2023, p. 26). Par ailleurs, certains soulignent (S. Atsarias-Dumas, préc.) qu’il faut préserver le droit d’action du créancier contre la caution. Il ne faudrait pas cependant que cette préservation puisse aller au-delà de ce qui est nécessaire, compte tenu de la durée imprévisible de la procédure collective. Une idée du professeur Le Corre est citée sur le fait que l’effet interruptif de prescription à l’égard de la caution pourrait ne s’envisager qu’en cas de vérification de ladite créance et se produire ainsi jusqu’à la décision d’admission (v. P.-M. Le Corre, Le point sur la prescription de l’action contre la caution d’un débiteur sous procédure, Gaz. Pal. 14 janv. 2020, n° 368h6, p. 49).
Un autre arrêt du 22 novembre 2023 (Com. 22 nov. 2023, n° 22-18.766 F-B, Dalloz actualité, 6 déc. 2023, obs. M. Houssin ; D. 2023. 2132
; v. aussi, F. Reille, Veille permanente, 18 déc. 2023, qui rappelle que, depuis le 1er oct. 2021, les cautions personnes physiques bénéficient du plan de redressement) précise que lorsque l’action en paiement contre la caution est engagée pendant la période d’observation du débiteur principal, l’irrecevabilité de l’action en paiement est écartée si le tribunal ne se prononce qu’après l’adoption du plan. En 2018, après l’ouverture d’un redressement judiciaire, le gérant d’une société qui s’était porté caution a été assigné par une banque en exécution de son engagement. Puis, un plan de redressement avait été arrêté et la banque avait assigné la société au titre de son engagement de caution. La Cour d’appel de Colmar avait considéré que l’assignation ayant été régularisée pendant la période d’observation, l’autorisation d’inscrire une sûreté réelle sur les biens immobiliers de la caution n’avait pas été suivie des diligences nécessaires pour obtenir un titre exécutoire dans le mois suivant l’autorisation. La fin de non-recevoir avait donc été constatée et la banque avait formulé un pourvoi. L’arrêt d’appel a été cassé au visa des articles L. 622-28, alinéa 2, et L. 631-14 du code de commerce, ainsi que l’article 126 du code de procédure civile (Cass., ch. mixte, 16 nov. 2007, n° 03-14.409, Dalloz actualité, 20 nov. 2007, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 2104, obs. P. Crocq
; RTD civ. 2008. 716, obs. P. Théry
; RTD com. 2008. 168, obs. D. Legeais
; JCP 2008. 142, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; RPC 2008. 128, obs. F. Macorig-Venier ; ibid. Comm. 17, obs. B. Rolland). Un commentateur (M. Houssin, préc.) rappelle qu’une particularité des fins de non-recevoir est qu’elles peuvent avoir un effet provisoire et être régularisées. Mais il faut introduire dans le mois une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire si une mesure conservatoire a été régularisée contre la caution personnelle. Or, le tribunal s’est prononcé après l’adoption du plan de redressement qui remet le débiteur à la tête de son patrimoine. Dès lors que le redressement judiciaire a pris la fin, la suspension des poursuites contre les cautions n’est plus valable. C’est précisément cette règle qu’applique ici la Cour de cassation. La sécurité juridique n’y trouve cependant pas son compte car, en pratique, la caution peut donc bien être assignée pendant la période d’observation et à ce moment-là, on ne sait pas si un plan sera ou non proposé. Notre commentateur considère que la Cour de cassation pouvait difficilement statuer différemment, mais cette décision « semble poser plus de problèmes qu’elle n’en résout ».
Ne serait-il pas plus simple de considérer que la période d’observation est inviolable, d’autant que lorsqu’un plan est obtenu, le créancier a vocation à être remboursé, la caution personne physique ayant vocation à bénéficier des délais prévus au plan. Rappelons que l’article L. 622-26 du code de commerce vise l’inopposabilité aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie au titre des créances et des sûretés. Le dirigeant caution doit avoir la possibilité de se consacrer à l’élaboration de son plan et au sauvetage de son entreprise, ce qui est le sens de la règle de la suspension des poursuites prévue par l’article L. 622-7 du même code. Il faut rappeler que ce jugement d’ouverture emporte de plein droit inopposabilité du droit de rétention conféré par le paragraphe 4 de l’article 2286 du code civil pendant la période d’observation et l’exécution du plan, sauf si le bien, objet du gage, est compris dans une cession d’activité. Rappelons aussi que l’article L. 622-21 dispose que le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, toute procédure d’exécution étant arrêtée ou interdite.
Un autre arrêt (Com. 22 nov. 2023, n° 22-16.362 F-B, Dalloz actualité, 15 déc. 2023, obs. R. Dalmau ; Veille permanente, 3 janv. 2024, obs. L.-C. Henry) mérite d’être signalé à propos d’un coup d’accordéon survenu après l’arrêt du plan de redressement judiciaire. Dans cette affaire, devant l’opposition des minoritaires, une assignation en référé avait été régularisée pour demander la désignation d’un mandataire ad hoc chargé d’exercer leur droit de vote. Le coup d’accordéon avait été en effet déclaré indispensable par le tribunal pour la survie de la société. La Cour de cassation a constaté que les dispositions des articles L. 631-9-1 et L. 626-3 du code de commerce n’étaient pas applicables, dès lors que l’action a été engagée après l’arrêt du plan, ces articles n’étant applicables que pendant la période d’observation. Il s’agissait de prévenir un dommage imminent car le droit de vote des minoritaires était exercé d’une manière abusive, ceux-ci ayant présenté une demande de plan de cession en concurrence avec le plan finalement retenu par le tribunal. Cette jurisprudence est intéressante car elle stigmatise un abus de minorité qui aurait pu aboutir à une situation de blocage et déboucher sur une liquidation judiciaire de la société.
La liquidation judiciaire
Un arrêt récent est intervenu sur la désignation de plein droit de l’URSSAF en qualité de contrôleur (Com. 25 oct. 2023, n° 22-16.907 F-B, Dalloz actualité, 28 nov. 2023, obs. C. Lebel ; D. 2023. 1901
). Il est en effet prévu par l’article L. 621-10 du code de commerce applicable à la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-1) que les administrations financières et certains organismes et institutions désignés à l’article L. 626-6 sont désignés contrôleurs s’ils en font la demande. L’URSSAF en fait incontestablement partie mais elle s’était vue déboutée de sa demande par le juge-commissaire. Elle avait considéré que cela constituait un excès de pouvoir, ce qui a été confirmé par la Cour de cassation. L’URSSAF avait été en effet assignée par le liquidateur en nullité des paiements perçus pendant la période suspecte, ce qui avait motivé le rejet de la demande de sa désignation en qualité de contrôleur. Le jugement avait été confirmé en appel. En principe, l’appel n’est pas possible sur la désignation des contrôleurs mais le recours en excès de pouvoir reste ouvert. Sans surprise, la Cour de cassation a considéré que la désignation des créanciers visés à l’article L. 611-10 est de droit, dès lors qu’ils portent un intérêt public. Il est regrettable cependant que dans une telle hypothèse, cette règle soit applicable. Une modification de ce texte devrait être envisagée sur ce point, car il peut paraître choquant qu’une partie mise en cause, puisse ainsi bénéficier du droit général de communication de tous éléments de la procédure collective (y compris sur la procédure concernant le contrôleur).
Il faut également signaler un arrêt rendu sur la question de l’effet interruptif de prescription à l’égard d’une caution d’un débiteur en liquidation judiciaire (Com. 25 oct. 2023, n° 22-18.680 F-B, préc.). Dans cette affaire, la Cour de cassation a « sauvé » la banque créancière en considérant qu’un nouveau délai de prescription a commencé à courir à compter de la clôture de la liquidation, la prescription ayant été auparavant interrompue par la déclaration de créance. Cet arrêt, qui a été rendu en l’état du droit antérieur à la réforme du 12 mars 2014, a remis en cause un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui avait considéré prescrite l’action de la banque. Cet arrêt avait aussi constaté que la banque s’était désistée de sa première action contre la caution, de sorte qu’elle ne pouvait procéder à une deuxième assignation. Fallait-il prendre en compte la date du jugement convertissant la procédure en liquidation judiciaire, comme l’avait fait la cour d’appel ?
Rappelons que la réforme de 2014 a clarifié la situation par l’article L. 622-25-1 qui dispose sans ambiguïté que la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure et vaut acte de poursuite. Il n’y aurait donc plus besoin de considérer que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice (P.-M. Le Corre, D. 2014. Chron. 733, spéc. n° 52). L’interruption de la prescription est donc opposable à la caution. En ce qui concerne l’effet du désistement, la cour d’appel avait considéré que la nouvelle assignation était inopérante, ce que la Cour de cassation a contesté.
Dès lors qu’un nouveau délai avait commencé à courir pour une durée de cinq ans, l’action n’était pas prescrite à la date de la seconde assignation et le nouveau délai de prescription courait à compter de la clôture. Le débat n’est pas clos, semble-t-il, dès lors que certains proposent que l’effet interruptif de la prescription ne serait envisageable qu’en cas de vérification de la créance et cela jusqu’à son admission (P.-M. Le Corre, Le point sur la prescription de l’action contre la caution d’un débiteur sous procédure, Gaz. Pal. 14 janv. 2020, n° 368h6, p. 49 ; v. aussi sur les risques d’un délai excessif, X. Delpech, obs. ss. Com. 23 oct. 2019, n° 18-16.515, Dalloz actualité, 21 nov. 2019 ; D. 2019. 2085
; AJ contrat 2020. 42, obs. C. Lebel
; Rev. sociétés 2019. 781, obs. F. Reille
; RTD com. 2020. 173, obs. A. Martin-Serf
).
L’insaisissabilité légale de la résidence principale
Un arrêt du 22 novembre 2023 nous éclaire sur la charge de la preuve de la résidence principale (Com. 22 nov. 2023, n° 22-18.795 F-B, Dalloz actualité, 11 déc. 2023, obs. B. Ghandour ; D. 2023. 2133
). Il appartient à la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante de démontrer que cet immeuble était bien sa résidence principale à la date d’ouverture de la procédure. Rappelons qu’il s’agit ici de l’application des articles L. 526-1 du code de commerce et 1353 du code civil (anc. art. 1315) sur la protection de plein droit de la résidence principale d’un entrepreneur.
Sur le nouveau statut d’entrepreneur individuel, nous savons que le nouvel article L. 526-22, alinéa 7, dispose que cette preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée. En l’espèce, il s’agissait d’une licitation partage qui était demandée par le créancier, dès lors que le débiteur détenait 99 % de l’indivision.
Le liquidateur avait demandé l’attribution du prix d’adjudication à concurrence de 99 % en concurrence avec le banquier prêteur qui avait obtenu un jugement ordonnant la licitation partage ainsi qu’une mesure d’expertise pour fixer la valeur de l’immeuble. Le liquidateur avait été débouté en appel mais la banque n’avait pas apporté la preuve que l’immeuble litigieux était bien la résidence principale du débiteur. En effet, les juges du fond avaient considéré que l’adresse de l’immeuble constituait la résidence principale du débiteur, faute pour le liquidateur d’apporter une preuve contraire. Dans cette affaire, la Cour de cassation a annulé l’arrêt d’appel en posant le principe que celui qui se prévaut de la protection de la résidence principale pour se soustraire au droit de gage général des créanciers doit rapporter la preuve que l’immeuble concerné constituait bien la résidence principale. Le liquidateur a obtenu satisfaction dès lors que la banque n’avait pas prouvé que l’immeuble litigieux était la résidence principale du débiteur. La charge de la preuve n’incombait donc pas au liquidateur. Ce dernier se prévaut d’un droit de gage général des créanciers, alors que la banque fait valoir une exception au principe.
La banqueroute
Un arrêt récent a sanctionné un débiteur en liquidation judiciaire qui avait soustrait un bien immobilier de son patrimoine (Crim. 25 oct. 2023, n° 22-84.650). Le dirigeant s’était vu étendre la liquidation de sa société, à titre personnel. Il lui était reproché d’avoir, après cette extension, transféré à un avocat fiduciaire un bien immobilier lui appartenant. Il s’agissait donc d’un détournement d’actif en connaissance de cause et les juges du fond l’avaient déclaré coupable de banqueroute, en application de l’article L. 654-2, 2°, du code de commerce. En l’espèce, l’actif n’avait pas disparu mais il avait été caché, de façon à le soustraire au liquidateur. Ce détournement n’avait pas été achevé, dès lors que le contrat de fiducie n’avait pas été publié, ce qui l’entache de nullité (C. civ., art. 2019). Cependant, le dossier avait été remis au notaire pour publication. En outre, le bien était sorti du patrimoine, dès lors que l’annulation n’avait pas été prononcée. Cependant, la cassation est intervenue sur un autre point, le prévenu ayant été condamné en tant que dirigeant de la société sans qu’il ait été établi qu’il avait bien cette qualité.
© Lefebvre Dalloz