Adaptation de la loi sur les influenceurs au droit de l’Union : les mesures concernant le domaine de la santé

En vue de se conformer au droit de l’Union européenne, une ordonnance du 6 novembre 2024 modifie certaines dispositions de la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale par voie électronique et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, notamment dans le domaine de la santé.

Issue d’une initiative parlementaire, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 (Loi Delaporte-Vojetta) est venue encadrer l’activité d’influence commerciale par voie électronique, notamment sur les réseaux sociaux. Bien que le marketing d’influence en ligne ne soit pas, en tant que tel, harmonisé par l’Union européenne, plusieurs textes transversaux lui sont applicables, notamment le règlement (UE) 2022/2065 relatif aux services numériques (DSA), la directive 2010/13/UE sur les services de médias audiovisuels, la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales et la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique.

La Commission européenne a été conduite à émettre des griefs contre la loi française, estimant que certaines de ses dispositions allaient au-delà des exigences du DSA et que les règles de notification imposées par la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (services prestés à distance par voie électronique), n’avaient pas été pleinement respectées.

Afin de se conformer au droit de l’Union, l’article 3 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 (Loi DDADUE 4) a abrogé les dispositions interférant avec celles prévues par le DSA, à savoir l’article 10 relatif aux fournisseurs de services d’hébergement (hébergeurs, plateformes en ligne…), l’article 11 relatif aux fournisseurs de plateforme en ligne (places de marché, réseaux sociaux, plateformes de partage de contenu…), l’article 12 relatif aux fournisseurs de services intermédiaires (fournisseurs d’accès, services de cloud, navigateurs et services d’hébergement), l’article 15 concernant les protocoles d’engagements des plateformes et l’article 18 prévoyant l’entrée en vigueur de ces exigences.

La même loi a habilité le gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures visant à mettre certains articles de la loi en conformité avec les textes européens, compte tenu des observations formulées par la Commission dans son courrier adressé aux autorités françaises le 14 août 2023, en réponse à la notification qui avait été réalisée le 12 mai 2023.

Il faut savoir qu’en principe la directive (UE) 2015/1535 impose aux États membres de reporter l’adoption d’un projet de règle technique de trois mois à compter de la date de réception par la Commission de la communication du projet de texte.

Dans le cadre de l’habilitation législative, un projet d’ordonnance a été notifié par le gouvernement le 3 juillet 2024, aucune objection de la Commission ou d’autres États membres n’ayant été recueillie à l’issue de la période trimestrielle requise.

L’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 vient modifier quatre articles (art. 1er, 4, 5 et 9) de la loi du 9 juin 2023 et en ajouter deux nouveaux (art. 5-1 et 5-2).

L’adaptation des interdictions de promotion en ligne concernant le secteur de la santé

L’article 1er de la loi, qui établit une définition de l’influenceur, a été repris à l’identique par l’ordonnance, permettant ainsi d’assurer sa notification à la Commission européenne dans la mesure où la précédente notification, en date du 12 mai 2023, avait été incomplète.

On rappellera qu’est considérée comme influenceur ou influenceuse toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise sa notoriété auprès de son audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque.

Les dispositions relatives à l’activité d’agent d’influenceur (art. 7) et aux contrats d’influence commerciale (art. 8) ne subissent aucune modification.

L’article 3 reste également inchangé. C’est notamment lui qui soumet les influenceurs aux règles sur la publicité des médicaments (CSP, art. L. 5122-1 à L. 5122-16), des dispositifs médicaux (CSP, art. L. 5213-1 à L. 5213-7), des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (CSP, art. L. 5223-1 à L. 5223-5), aux règles régissant les allégations de santé visant des denrées alimentaires (Règl. [CE] n° 1924/2006 du 20 déc. 2006), ainsi qu’à celles sur la publicité pour les boissons avec sucres ou sels ajoutés, les boissons alcooliques, les produits du tabac et les produits du vapotage.

Partant du constat que le délit d’exercice illégal de la médecine n’est pas adapté aux nouvelles techniques de communication, l’article 4 avait initialement interdit aux influenceurs toute promotion d’actes, y compris chirurgicaux, à visée esthétique, ou invitant à l’abstention thérapeutique. Dans le but de répondre à l’exigence de proportionnalité imposée par la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique, deux modifications ont été introduites par l’ordonnance du 6 novembre 2024.

S’agissant de l’interdiction visant la promotion, directe ou indirecte, des actes, procédés, techniques ou méthodes à visée esthétique, il est dorénavant précisé qu’elle s’applique à ceux « pouvant présenter des risques pour la santé des personnes », la charge de démontrer l’existence d’un risque, qui ne s’avère toutefois que potentiel, incombant normalement aux autorités de contrôle.

Quant à l’interdiction relative à l’abstention thérapeutique ou aux pseudo-traitements, la modification porte sur le fait que l’interdiction vise la promotion, directe ou indirecte, de produits, actes, procédés, techniques et méthodes « non thérapeutiques », présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques. Dirigée contre les dérives délétères des « médecines » dites « non conventionnelles » (ou alternatives), cette interdiction doit être lue en combinaison avec la création, par la loi n° 2024-420 du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, du délit de provocation à l’abstention thérapeutique (C. pén., art. 223-1-2), dont la constitutionnalité a été confirmée (Cons. const. 7 mai 2024, n° 2024-865 DC, Loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, AJDA 2024. 998 ; Légipresse 2024. 333 et les obs. ; ibid. 386, obs. G. Lécuyer ).

Le régime des sanctions prévues par la loi du 9 juin 2023 a par ailleurs été clarifié. La violation des différentes interdictions promotionnelles est punie, comme une pratique commerciale trompeuse, par la peine d’amende et d’emprisonnement prévue à l’article L. 132-2 du code de la consommation (jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende), le cas échéant assortie d’une interdiction d’activité professionnelle.

Les dispositions relatives à l’affichage de l’intention commerciale ont été assouplies afin de se conformer à l’article 7 de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales. Le nouvel article 5-2 de la loi dispose que l’absence d’indication par une mention claire, lisible et compréhensible, sur tout support utilisé, de l’intention commerciale poursuivie par un influenceur constitue une omission commerciale trompeuse, « dès lors que cette intention ne ressort pas déjà du contexte ». L’intention peut être explicitement indiquée (alors qu’il s’agissait d’une obligation dans l’ancien texte) par le recours aux mentions « publicité » ou « collaboration commerciale », ou par une mention équivalente adaptée aux caractéristiques de l’activité d’influence et au format du support de communication utilisé.

Les modalités d’information des consommateurs sur les images retouchées et les images virtuelles ont également été réécrites (ss. l’art. 5). Les mentions selon lesquelles les images sont retouchées (affinement de la silhouette par ex.) ou sont produites par une intelligence artificielle doivent être claires, lisibles et compréhensibles, mais elles peuvent maintenant être remplacées par une mention équivalente, adaptée aux caractéristiques de l’activité d’influence et au format du support de communication utilisé, ce qui autorise une certaine marge d’appréciation, sous le contrôle des autorités compétentes.

L’articulation des législations étatiques applicables aux services de la société de l’information

La principale difficulté juridique à laquelle le gouvernement a été confronté concernait la conformité de la loi du 9 juin 2023 à la clause dite « du marché intérieur », prévue à l’article 3 de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique, et sans laquelle il ne peut y avoir de marché numérique unique au sein de l’Union européenne.

L’ordonnance du 6 novembre 2024 introduit dans la loi un nouvel article 5-1 en vertu duquel les interdictions de promotion visées à l’article 4 ne s’appliquent ni aux fournisseurs de services de médias audiovisuels qui relèvent de la compétence d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen (EEE), ni aux prestataires d’un service de la société de l’information établis dans un autre État membre ou partie à l’EEE.

Cet article vise à respecter le principe du pays d’origine prévu spécifiquement à l’article 2 de la directive 2010/13/UE pour les services de médias audiovisuels et, plus généralement, à l’article 3 de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique. En application de ce principe, les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

La directive sur l’e-commerce repose ainsi sur l’application des principes combinant le contrôle dans l’État membre d’origine et la reconnaissance mutuelle, de telle sorte que, dans le cadre du domaine coordonné prévu par la directive, les services prestés à distance par voie électronique sont réglementés dans le seul État membre sur le territoire duquel les prestataires de ces services sont établis.
Le domaine coordonné couvre les exigences relatives aux activités en ligne, telles que l’information en ligne, la publicité en ligne, les achats en ligne, la conclusion de contrats en ligne. En revanche, il ne concerne pas les exigences juridiques des États membres relatives aux produits, telles que les normes en matière de sécurité, les exigences relatives à la livraison ou au transport, ni les obligations en matière d’étiquetage, comme la Cour de justice l’a récemment indiqué à propos de la promotion et de la vente en ligne de produits cosmétiques (CJUE 19 sept. 2024, Parfümerie Akzente, aff. C-88/23).

Pour tout ce qui touche au domaine coordonné, et notamment aux activités de promotion en ligne, un État ne peut donc pas imposer des règles plus strictes à des plateformes numériques établies dans un autre État, celles-ci étant soumises au droit de leur pays d’établissement.

Toutefois, pour éviter les abus néfastes du dumping réglementaire, l’article 3 de la directive 2000/31/CE autorise les États à prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information relevant du domaine coordonné, des mesures dérogeant au principe du pays d’origine. Deux conditions (de forme et de fond) sont alors exigées.

D’une part, les États membres doivent respecter une procédure de notification en informant l’État d’origine et la Commission de leur intention de prendre des mesures dérogatoires. À défaut de respecter cette condition procédurale, une personne pénalement poursuivie peut s’opposer à ce que lui soient appliquées les mesures nationales restreignant la libre circulation d’un service de la société de l’information qu’elle fournit à partir d’un autre État membre (CJUE 19 déc. 2019, Airbnb Ireland, aff. C-390/18, Dalloz actualité, 21 janv. 2020, obs. M. Thioye ; D. 2020. 11 ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJDI 2020. 458 , obs. M. Thioye ; RDI 2020. 273, tribune Ninon Forster et A. Fuchs-Cessot ; Dalloz IP/IT 2020. 265, obs. A. Lecourt ; JT 2020, n° 226, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD eur. 2021. 188, obs. B. Bertrand ).

D’autre part, ces mesures doivent être nécessaires et proportionnées à l’un des quatre objectifs d’intérêt général énoncés dans la directive, parmi lesquels figure la protection de la santé publique (CJUE 1er oct. 2020, A c/ Daniel B et a., aff. C-649/18, D. 2020. 1897 ).

Il se trouve que les États membres sont souvent tentés d’utiliser cette dérogation, prévue pour adopter des mesures à l’encontre d’un service déterminé portant atteinte ou susceptible de porter atteinte à l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique ou la protection des consommateurs, afin d’imposer des mesures à caractère général et abstrait.

Postérieurement à la publication de la loi du 9 juin 2023, la Cour de justice a néanmoins rappelé que les États membres ne peuvent pas adopter des mesures à caractère général et abstrait s’appliquant indistinctement à tous les prestataires d’une catégorie de services donnés de la société de l’information, ceux établis dans l’État membre d’origine comme ceux établis dans les autres États membres (CJUE 9 nov. 2023, Google Ireland et a., aff. C-376/22, Dalloz actualité, 21 déc. 2023, obs. J. Sénéchal ; D. 2023. 2007 ; ibid. 2024. 19, point de vue T. Douville ; Dalloz IP/IT 2023. 613, obs. A.-L. Pasquet ; ibid. 2024. 237, obs. J. Charpenet ; Légipresse 2023. 653 et les obs. ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ).

Le juge de l’Union a encore réaffirmé, à propos de services d’intermédiation et de moteurs de recherche, qu’un État membre ne peut pas imposer des obligations supplémentaires à un prestataire de services en ligne établi dans un autre État membre pour ce qui relève du domaine coordonné (CJUE 30 mai 2024, Google Ireland Ltd et Eg Vacation Rentals Ireland Ltd, aff. C-664/22 et C-666/22, JT 2024, n° 277, p. 13, obs. X. Delpech ).

Sauf dérogation, le prestataire d’un service de la société de l’information souhaitant fournir ce service dans un État membre, autre que celui sur le territoire duquel il est établi, ne peut pas être soumis à des exigences relevant du domaine coordonné imposées par cet autre État membre, telle une interdiction de publicité en ligne.

Le nouvel article 5-1 créé par l’ordonnance du 6 novembre 2024 prévoit explicitement la possibilité de déroger au principe du pays d’origine, les modalités d’application étant renvoyées à un décret en Conseil d’État.

Si la procédure de notification à l’État membre dans lequel est établi le prestataire du service est respectée et si les conditions de fond prévues par la directive sont remplies (mesure fondée sur le motif de protection de la santé publique par ex.), l’autorité compétente (l’ANSM pour ce qui concerne l’influence promotionnelle dans le domaine des produits de santé) devra préciser à la personne en cause les dispositions qui lui sont applicables sous peine d’encourir les sanctions prévues par la législation française, ainsi que le service concerné.

S’agissant des influenceurs établis en dehors de l’EEE (les 27 États membres de l’UE, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège) ou de la Suisse, l’article 9 de la loi modifiée confirme que lorsqu’ils exercent en tant qu’entrepreneur individuel, ils doivent désigner, par écrit, un représentant sur le territoire de l’Union européenne, dès lors qu’ils ciblent un public en France (la désignation ne constituant pas un établissement dans l’Union). Cette représentation est censée garantir la conformité des contrats ayant pour objet ou pour effet la mise en œuvre d’une activité d’influence commerciale par voie électronique visant un public établi sur le territoire français.

Le représentant ainsi désigné est chargé de répondre aux demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes, lorsque la loi française n’est pas respectée, et il doit recevoir, de la part de l’influenceur, les pouvoirs nécessaires et les ressources suffisantes pour garantir une coopération efficace avec ces autorités. Comme cela a été imposé initialement, tout influenceur établi en dehors de l’EEE ou de la Suisse est tenu de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité civile, à partir du moment où son activité vise, même accessoirement, un public établi sur le territoire français.

Conformément à la loi DDADUE du 22 avril 2024, un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance pour que ses dispositions acquièrent une valeur législative.

 

Ord. n° 2024-978, 6 nov. 2024, JO 7 nov.

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