Affaire Cumcum : la CJIP signée entre le Crédit Agricole CIB et le PNF validée par le Tribunal judiciaire de Paris

Le Crédit Agricole CIB a accepté de payer 88,2 millions d’euros d’amende au Trésor public dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée avec le parquet national financier (PNF). Un accord validé lundi 8 septembre par le président du Tribunal judiciaire de Paris, évitant ainsi à la banque un procès. Accusée de blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée, celle-ci est la première à reconnaître la pratique du « Cumcum ».

Une rare reconnaissance des faits

Lundi 8 septembre, une audience inédite s’est tenue au Tribunal judiciaire de Paris dans le cadre de l’affaire de fraude fiscale dite « Cumcum ». Révélée par le Monde en octobre 2018 et un consortium de médias européens, cette pratique bancaire, aussi appelée « arbitrage de dividendes », a permis à des actionnaires étrangers non-résidents fiscaux en France d’échapper à l’impôt sur les dividendes par l’intermédiaire de leurs banques, celles-ci touchant au passage un pourcentage desdits dividendes. Le journal avait alors évalué à 55 milliards d’euros le montant de recettes fiscales non perçues par le Trésor public entre 2001 et 2017. Le Crédit Agricole CIB, accusé de « blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée », était le premier des six banques suspectées dans ce dossier à obtenir une décision de justice. Pendant une heure, tous les protagonistes de l’audience ont loué la coopération de la banque avec le PNF et l’administration fiscale, et tous ont reconnu le bien-fondé de la mesure d’alternative aux poursuites pénales proposée, laquelle a été validée par le président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, à l’issue du délibéré.

Trois jours plus tôt, le Crédit Agricole CIB ou Crédit Agricole corporate and investment bank (Cacib) signait une CJIP avec le PNF, la 27e depuis l’instauration de cette mesure par la loi du 24 décembre 2020. L’établissement bancaire acceptait ainsi de payer 88,2 millions d’euros au Trésor public au titre de l’amende d’intérêt public, somme qui s’ajoute aux 46,2 millions d’euros de droits, intérêts et pénalités versés au titre des procédures fiscales, pour un total de 134,4 millions d’euros. De plus, la banque reconnaissait les faits, ce qui n’était ni un pré-requis pour la signature de la CJIP ni une conséquence explicite, contrairement à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). « Une banque, pour la première fois, assume sa part de responsabilité dans une pratique dont elle n’est pas l’acteur majeur », s’est félicitée Claire Le Maner, substitut financier du PNF qui a copiloté l’enquête avec le vice-procureur Jérôme Simon. « Ce qui distingue Cacib des autres banques, c’est sa coopération avec le PNF et l’administration fiscale », a-t-elle ajouté, louant « une attitude constructive ». D’après les calculs des deux parquetiers, « de 2013 à 2021, 2 500 opérations d’arbitrage de dividendes » ont été lancées par Cacib, générant un profit d’environ « 50 millions d’euros ». Pour comprendre la complexité de ces transactions, il a fallu « plonger dans la salle des marchés » ce qui est inhabituel pour le PNF », d’où le fait que ces opérations étaient « passées sous les radars ».

La mise en conformité des pratiques

« Au cours de la procédure, Cacib a reconnu les faits. Est-ce toujours le cas ? », lance au début de l’audience le président à l’adresse de Bruno Fontaine, le directeur général de la société « Oui Monsieur le président », répond l’intéressé, entouré d’une armée d’avocats. « Quand le PNF nous a sollicité, nous avons tout de suite décidé d’entrer dans la procédure », poursuit ce dernier. « Nous avons réalisé des travaux assez lourds pour déterminer le volume, la durée de ces comportements et leur dimension économique sur une période de deux ans ». Cacib a, en effet, réalisé une enquête interne, coordonnée avec un conseil externe, l’assistance de l’Inspection générale de la banque, et selon la méthodologie d’analyse déterminée par le PNF, dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le parquet avec l’expertise de l’Office national antifraude (Onaf). Dans les points soulevés dans la CJIP, le procureur de la République financier relève que le Crédit Agricole CIB a rompu avec ses pratiques à partir de 2019, lorsque l’administration fiscale a commencé ses investigations, a modifié ses pratiques et qu’il a mis en place de nouvelles règles « afin d’encadrer strictement les opérations autour du détachement du dividende ».

Par ailleurs, Peimane Ghaleh-Marzban s’enquiert de la réalité de cette mise en conformité adoptée par l’établissement bancaire. « Quelle est votre démarche maintenant si un acteur français non-résident fiscal demande à ne pas payer l’impôt sur les dividendes dans ce marché qui est très concurrentiel ? – On ne le fait pas. – Quitte à perdre un client ? – Quitte à perdre un client. » Puis il se tourne vers les victimes de cette fraude, constatant qu’elles n’ont pas présenté de demandes. L’administrateur d’État de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) précise que l’infraction n’a pas entraîné de « chance perdue pour l’administration fiscale ni de surcoût matériel » et que Cacib s’est déjà acquittée d’une partie des sommes dues. Les autres victimes sont le député des Landes Boris Vallaud et les membres du Collectif des citoyens en bande organisée, représentés par Me Caroline Boyer qui a déposé la plainte contre X à l’origine de la saisine du PNF, en octobre 2018, quelques jours après la parution de l’enquête du journal Le Monde. « C’est une victoire qui tombe à pic car l’argent manque partout et les banques vont devoir se conformer », lance l’avocate, quelques heures avant la chute du gouvernement Bayrou, à la veille de voter son plan d’austérité visant à compenser les dettes de l’État. « Nous ne demandons pas de réparation de notre préjudice parce que notre objectif est atteint », lance-t-elle.

Une mesure « équilibrée et juste »

À la tête du PNF, le procureur Jean-François Bohnert a lui rappelé « la détermination du PNF dans la lutte contre la délinquance en cols blancs, même et surtout la plus complexe » après avoir dénoncé « un phénomène de fraude majeur » dans le dossier « Cumcum » (soit gagnant-gagnant). Dans ce combat, « l’engagement du PNF est quotidien depuis plus de six ans ». Il rappelle sa confiance dans la mesure de CJIP, un « instrument pragmatique et efficace ». Le vice-procureur Simon Vincent présentait le calcul du montant de l’amende punitive au regard des facteurs majorants comme « le trouble grave à l’ordre public » et des facteurs minorants tels que « la pertinence des investigations internes ». Il a salué « le rôle de vigie démocratique du Monde, un travail journalistique d’intérêt public ». L’avocat de la Cacib a clôt les échanges par « un propos court », la CJIP ayant été acceptée et signée. Une mesure qu’il estime « équilibrée et juste », rappelant que cette opération était « délicate et sensible pour la réputation de Cacib ».

Le Crédit Agricole CIB a désormais dix jours pour se rétracter ce qu’il ne fera probablement pas. Il lui appartiendra ensuite de payer son amende en trois versements, le premier de 28 millions d’euros sous trente jours, le suivant d’ici fin 2025 et le solde « au plus tard le 8 juillet 2026 ». Rappelons que la CJIP n’entraîne pas un abandon de l’enquête mais des poursuites à l’égard de la personne morale. Elle n’éteint pas l’action pénale éventuellement menée contre des personnes physiques. À cet égard, Bruno Fontaine a signifié au cours de l’échange avec le président, que la fraude était « une histoire d’institutions et pas de personnes ». Dans l’affaire Cumcum, six enquêtes ont été lancées en décembre 2021 par le PNF à la suite de l’investigation menée par la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) de l’administration fiscale. Après Cacib, il s’agirait, selon Le Monde, de BNP Paribas et sa filiale Exane, la Société générale, Natixis et HSBC France. « Il sera sans doute plus compliqué pour les autres banques de nier la réalité de ces pratiques », ont estimé, à l’issue de l’audience, les deux procureurs en charge de l’enquête. Quant à savoir si Cacib et consorts trouveront d’autres stratégies de détournement des taxes françaises, Claire Le Maner et Jérôme Simon considèrent que le risque pénal est beaucoup plus élevé aujourd’hui « car nous savons maintenant comment fonctionnent ces systèmes. » Une réalité qui s’étend à l’international, en partie grâce à la coopération étroite menée entre les homologues des divers pays, notamment entre la France et l’Allemagne, le deuxième pays le plus touché par cette affaire après la France.

 

par Anaïs Coignac, Journaliste

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