Affaire des écoutes : retour sur la caractérisation des infractions (2/2)

Par un arrêt du 18 décembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et Gilbert Azibert dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Ces derniers sont donc tous les trois déclarés définitivement coupables notamment des chefs de corruption et trafic d’influence et condamnés à trois ans d’emprisonnement dont une année ferme aménagée sous surveillance électronique, outre les peines complémentaires d’inéligibilité prononcée à l’encontre du premier et d’interdiction d’exercice à l’encontre du deuxième.

Nous ne reviendrons pas ici sur les faits de cette affaire singulière, lesquels ont été détaillés dans le premier volet consacré à la décision rendue le 18 décembre 2024 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Affaire des écoutes : retour sur les éléments de procédure, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. J. Gallois).

Sur les délits de violation du secret professionnel et recel de ce délit

En l’espèce, l’avocat de l’ancien président de la République et le magistrat du parquet sont, en premier lieu, poursuivis des chefs respectivement de violation du secret professionnel et recel de violation du secret professionnel. En effet, lors d’une perquisition au domicile du magistrat, un arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux, lequel arrêt lui avait été remis par l’avocat, a été retrouvé. La cour d’appel a considéré que cet arrêt avait dès lors été révélé en méconnaissance des dispositions de l’article 226-13 du code pénal.

Pour rappel, cet article réprime « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire […] d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Autrement dit, la personne qui, en raison de son état, sa profession, fonction ou mission temporaire, a eu connaissance directement ou indirectement d’une information à caractère confidentiel se doit de garder, à ce sujet, le silence.

Pour être matériellement caractérisé, le délit requiert d’abord une personne dépositaire d’un secret. En imposant à certaines personnes, sous une sanction pénale, l’obligation du secret comme un devoir de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions (Crim. 15 déc. 1885, DP 1886. 1. 347 ; 9 nov. 1901, DP 1902. 1. 235 ; 9 mai 1913, DP 1914. 1. 206). Comme le rappelle en effet la jurisprudence, le délit ne vise que les faits parvenus à la connaissance d’une personne dans l’exercice d’une profession ou d’une fonction aux actes de laquelle la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel, ou dans le cas où les mêmes faits lui ont été confiés sous le sceau du secret en raison d’une semblable profession ou fonction (Crim. 5 févr. 1970, n° 69-90.040 ; 9 oct. 1978, n° 76-92.075). Sont évidemment inclus les avocats (v. not., Civ. 1re, 7 juin 1983, n° 82-14.469 ; Crim. 2 mars 2010, n° 09-88.453, Dalloz actualité, 28 avr. 2010, obs. M. Léna), profession pour laquelle le secret « apparaît comme consubstantiel » (C. Porteron, Le secret professionnel de l’avocat, AJ pénal 2009. 158 ), même « une condition de l’effectivité de son exercice » (C. Porteron, préc.).

Ensuite, la révélation doit porter sur un secret lié à l’exercice professionnel de celui qui l’a reçu en confidence (Crim. 19 nov. 1985, n° 83-92.813 P). Sur ce point, la jurisprudence adopte une conception large.

En effet, le secret professionnel de l’avocat couvre d’abord toutes les confidences que ce dernier a pu recevoir à raison de son état ou de sa profession de la part de son client, que ces confidences lui soient faites dans son cabinet ou à l’extérieur. Très récemment d’ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de réaffirmer la confidentialité de tous les échanges entre un avocat et son client, en matière de conseil comme de défense, quel qu’en soit le support (CJUE 26 sept. 2024, aff. C-432/23, § 49).

Pour rappel, les règles de la profession d’avocat l’obligent à ne « commet[tre], en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi ». Il n’est d’ailleurs autorisé à communiquer à son client des extraits du dossier que pour les besoins de sa défense ou à des tiers, sur autorisation. Toute autre divulgation constitue une violation punissable du secret professionnel (Crim. 16 mai 2000, n° 99-85.304, D. 2002. 858 , obs. B. Blanchard ).

Dans ces circonstances, le secret couvre les renseignements reçus du client, ceux reçus à leur profit ou les concernant, même en relation avec des tiers (Civ. 1re, 7 juin 1983, n° 82-14.469, préc.). Sont ainsi visées les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle". De manière plus générale, le secret professionnel de l’avocat couvre aussi toutes les pièces du dossier et leur contenu. Dans un arrêt rendu le 18 mars 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet considéré que le fait de « produi[re], dans une instance civile, des pièces d’une procédure pénale d’instruction distincte en cours, sans y avoir été autorisé, ni même avoir sollicité une telle autorisation », constitue un indice grave ou concordant rendant vraisemblable la participation d’une avocate aux faits de violation du secret professionnel et du secret de l’instruction (Crim. 18 mars 2015, n° 14-86.680, Dalloz actualité, 9 avr. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 557, obs. G. Royer ). Tel est le cas, par exemple, de la communication du contenu de procès-verbaux (Crim. 18 sept. 2001, n° 00-86.518, D. 2001. 3171 ).

La solution rendue par la Cour de cassation s’inscrit dans cette approche extensive, en incluant un arrêt de chambre de l’instruction comme pièce du dossier alors que son dépositaire était l’avocat de la personne mise en examen dans cette procédure d’instruction non encore clôturée à la date du prononcé de l’arrêt et, à ce titre, tenu au secret professionnel (§ 61). La Cour régulatrice approuve en effet la cour d’appel en ce qu’elle a fait l’exacte application notamment de l’article 226-13 du code pénal, pour avoir considéré que « cet arrêt est un acte de la procédure d’instruction dans laquelle il a été rendu et qu’il est donc couvert par le secret » (§ 60) au motif que « les mentions de cet arrêt montrent que les débats se sont déroulés et que l’arrêt a été rendu en chambre du conseil », asseyant ainsi le caractère secret de ces derniers » (§ 59). Pour la Haute Cour, « dès lors qu’un arrêt débattu et rendu en chambre du conseil par une chambre de l’instruction dans le cadre d’une procédure d’instruction est notifié à l’avocat d’une partie en application de l’article 217 du code de procédure pénale, il constitue une information à caractère secret dont l’avocat a eu communication en raison de sa profession et dont la révélation est interdite en application de l’article 226-13 du code pénal, la circonstance que ce document soit ou non couvert par le secret de l’instruction étant indifférente ».

Enfin, pour être répréhensible, la révélation d’une information doit être faite à un tiers qui n’a pas qualité pour la recevoir, dans l’exercice de sa profession, ce qui est le cas ici du magistrat. Celui-ci n’était, en effet, pas partie à la procédure d’instruction de sorte qu’il se trouvait en possession de cet arrêt pour des raisons étrangères à ses fonctions. Peu important qu’il fasse partie du parquet, lequel est unique et indivisible de par son statut (§ 70), ou encore qu’il aurait pu y avoir accès via les outils informatiques propres à la Cour de cassation (§ 64), l’éventuelle connaissance par le tiers de l’information n’ôtant pas à la révélation son caractère pénal.

Sur les délits de trafic d’influence actif et trafic d’influence passif

Le refus de requalifier des faits de trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’une autorité ou administration publique en trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’un agent de justice

En deuxième lieu, l’avocat de l’ancien chef d’État soutenait, dans son pourvoi, la requalification des faits de trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’une autorité ou administration publique, prévu aux articles 432-11, 2°, et 433-1, 2°, du code pénal, en trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’un agent de justice, prévu aux articles 434-9 et 434-9-1 du même code. 

L’enjeu n’était ici pas neutre dans la mesure où les peines principales encourues sont deux fois moins élevées : cinq ans d’emprisonnement et une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction pour trafic d’influence en vue d’obtenir une décision favorable d’un agent de justice, contre dix ans d’emprisonnement, et une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction pour trafic d’influence en vue d’obtenir une décision favorable d’une autorité ou administration publique.

Mais cette différence s’explique par le fait que le trafic d’influence visé par l’article 434-9-1 peut être commis par quiconque, alors que le trafic d’influence, visé par l’article 432-11, 2°, ne peut être commis que par une personne revêtue d’une qualité particulière – personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public –, tenue à un devoir de probité.

Reste que le premier texte permet naturellement, par sa largesse, d’y inclure les auteurs visés par le second, et le second les magistrats.

Cette problématique s’est déjà posée à la Cour de cassation. Mais si cette dernière avait poursuivi les faits en application de l’article 432-11, ce choix s’expliquait en raison de faits commis antérieurement à la création de l’article 434-9-1 par la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption (Crim. 28 janv. 1897, DP 1897. 1. 240 ; 13 janv. 1916, DP 1921. 1. 63 ; plus réc., Crim. 4 avr. 2012, n° 11-82.052 et n° 04-84.255).

Cette problématique a, par ailleurs, été discutée par la doctrine. Comme le relève le doyen Jeandidier, « L’auteur du délit [prévu à l’art. 434-9-1] peut être "quiconque", il apparaît donc que la présente infraction est ouverte à n’importe qui : particulier, agent public, agent de justice. Mais une analyse aussi large se heurte à des objections sérieuses. Si un agent public, par exemple un préfet, peut être considéré comme auteur du présent délit, il encourt des peines de moitié inférieures à celles auxquelles il serait exposé comme auteur du délit porté par l’article 432-11, 2°, du code pénal » (Rép. pén., v° Corruption et trafic d’influence, par W. Jeandidier, spéc. n° 916). Il poursuit : « Disparité absurde, les cibles du présent délit pouvant parfaitement être considérées comme ou bien des personnes dépositaires de l’autorité publique, ou bien des personnes chargées d’une mission de service public. Trafiquer de son influence sur un juge serait donc moins grave pour un préfet que de trafiquer de son influence sur un commissaire de police… Quant aux agents de justice, s’ils pouvaient commettre le présent délit, ils seraient ici encore exposés à une répression inférieure à celle prévue à leur encontre pour le délit de corruption passive qui leur est propre (C. pén., art. 434-9) » (W. Jeandidier, loc. cit.). D’autant que le magistrat est aussi un dépositaire de l’autorité publique.

Dans ces circonstances, la Cour de cassation s’est naturellement engouffrée dans la brèche pour approuver la cour d’appel d’avoir refusé la requalification des faits en une infraction doublement moins sévèrement. Ainsi, après avoir rappelé la qualité du magistrat de « personne dépositaire de l’autorité publique exerçant une fonction publique » (§ 73), les juges d’appel relèvent que « la qualification de trafic d’influence passif prévue à l’article 432-11, 2°, retenue à son égard, permet de prendre en compte sa qualité de magistrat auteur de l’infraction comme élément d’aggravation de ce délit alors que le délit de trafic d’influence prévu par l’article 434-9-1, qui s’applique à toute personne auteur d’un trafic d’influence sur agent de justice, ne tient pas compte de l’éventuelle qualité particulière de l’auteur » (§ 74). Ils ajoutent, pour parfaire leur motivation, qu’« il n’existe pas d’infraction permettant, comme l’article 434-9 du code pénal s’agissant de la corruption, de punir un magistrat auteur de faits de trafic d’influence à l’égard d’un autre magistrat » (§ 75).

La Cour de cassation fait ainsi application du principe selon lequel les faits doivent être appréciés sous leur plus haute acception pénale (§ 80 ; v. déjà en ce sens, not., Crim. 13 mars 1984, n° 84-90.218 ; 23 mai 2023, n° 22-82.185, Légipresse 2023. 325 et les obs. ; ibid. 2024. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier ; RSC 2023. 570, obs. E. Dreyer ).

Acception qui correspond au demeurant à l’esprit de la loi. Comme il ressort du rapport du député Hunault, l’article 434-9-1 du code pénal a été créé aux fins de ne pas restreindre l’incrimination aux seules personnes exerçant une fonction juridictionnelle mais de l’étendre aux arbitres, experts, personnes chargées d’une mission de conciliation ou de médiation (Rapp. AN n° 243, M. Hunault, p. 33). Car jusque-là, les termes d’autorité publique visés par l’article 433-2 du code pénal « désignent aussi bien les officiers publics et ministériels, les maires, préfets, fonctionnaires ou agents publics d’autorité que les magistrats » (Rapp. AN n° 243, préc.). Le rapport sénatorial s’inscrit dans cette lignée, tout en ajoutant que « [l]e délit [prévu à l’art. 434-9-1] est calqué sur celui défini à l’article 433-2 du code pénal avec pour seule différence la qualité des personnes mêlées au trafic d’influence qui serait définie par renvoi à l’article 434-9 » (Rapp. Sénat n° 51, H. Portelli, p. 45). Or, il semble peu admissible pour un agent de justice de faire abstraction de sa qualité. En tous les cas, la Cour de cassation considère que non.

Plus spécifiquement, la Cour de cassation balaie le grief tiré du caractère général des articles 432-11, 2°, et 433-1, 2°, du code pénal, en sorte qu’ils devraient céder face à l’article 439-4-1, qui serait spécial. Selon elle en effet, « si le délit prévu par l’article 432-11, 2°, prévoit que l’influence exercée par l’auteur des faits doit l’être à l’égard d’une autorité ou d’une administration publique alors que le délit prévu par l’article 434-9-1 réprime spécifiquement le fait d’user de son influence à l’égard d’un magistrat, le premier ne constitue pas pour autant une infraction générale par rapport au second dès lors qu’il ne peut être réalisé que par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif, alors que le second peut être réalisé par quiconque. De la même manière, si le délit prévu par l’article 433-1, 2°, réprime le fait de proposer à une personne une contrepartie pour qu’elle abuse de son influence auprès d’une autorité ou d’une administration publique alors que le délit prévu par l’article 434-9-1 réprime le fait de proposer à une personne d’abuser de son influence auprès, spécifiquement, d’un magistrat, le premier ne constitue pas pour autant une infraction générale par rapport au second dès lors qu’il n’est constitué que si la proposition de contrepartie est faite à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public alors que, s’agissant du second, la proposition peut être faite à toute personne » (§§ 78-79).

La caractérisation du trafic d’influence

Quant à la caractérisation du trafic d’influence à proprement parler (C. pén., art. 432-11, 2°, et 433-1, 2°), la Cour de cassation profite de cette décision pour opérer quelques rappels.

D’une part, la chambre criminelle rappelle l’indifférence quant au moment de la conclusion du pacte de corruption. En l’espèce, il avait été constaté que l’ancien chef d’État, avec son avocat, avaient proposé, lors d’une conversation en date du 3 mars 2014, au magistrat du parquet qui avait déjà accompli la démarche en faveur du premier, son soutien ou son intervention en vue d’obtenir un poste au Conseil d’État de Monaco. La défense arguait donc du fait que la proposition de contrepartie intervenait postérieurement à l’usage de l’influence.

Sans surprise, la Cour de cassation écarte ce moyen au motif qu’« il est indifférent que la proposition d’une contrepartie aux agissements effectués par [le prévenu] soit intervenue après ceux-ci dès lors que le pacte peut être postérieur aux actes accomplis par la personne se livrant à un trafic d’influence » (§ 111).

Souhaitant mettre fin à la pratique impunie des rémunérations intervenant a posteriori, le législateur, par une loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, entrée en vigueur le 19 mai, a abandonné la condition d’antériorité du pacte d’influence à l’acte de la fonction. Par la formule générale « à tout moment », il importe en effet désormais peu que l’avantage ait été promis, voire accordé, avant ou après l’accomplissement de l’acte de fonction qu’il rémunère.

Il suffit donc que le pacte d’influence soit caractérisé, ce qui est le cas en l’espèce. Selon les juges criminels, « la cour d’appel a souverainement retenu que les éléments du dossier permettaient d’établir l’existence d’un lien de causalité entre les agissements d[u] magistrat qui lui étaient reprochés au titre du trafic d’influence et la contrepartie que lui offrait [l’ancien chef d’État] » (§ 110). En effet, après avoir constaté l’influence exercée par le magistrat du parquet (§§ 102 à 104 ; v. infra), la cour d’appel a considéré que « ces démarches [avaie]nt été faites par [ce dernier] dans le but de démontrer qu’il méritait une contrepartie » (§ 105), et ce après avoir constaté « qu’un accord [était] intervenu entre les prévenus au terme duquel, en récompense des actes accomplis par [le magistrat], [l’ancien président de la République] devait engager des démarches afin d’aider celui-ci à obtenir un poste au Conseil d’État de Monaco » (§ 106). Étant précisé que « les prévenus avaient pleinement conscience de l’illégalité de leurs actes » (§ 107).

D’autre part, la Cour de cassation rappelle l’essence du délit : user de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique, notamment, une décision favorable.

Sur ce point, la défense soutenait que le magistrat du parquet ne pouvait exercer son influence sur la décision de la Cour de cassation, puisqu’ici le magistrat aurait exercé son influence auprès de l’avis de l’avocat général, dont le rôle, tel qu’il ressort des motifs mêmes de la cour d’appel, « s’arrête au seuil du délibéré auquel il ne participe ni n’assiste (arrêt, p. 127) ». En clair, le parquet n’aurait pas d’influence sur la décision de la Cour de cassation, lequel ne rend qu’un avis.

Peu important à nouveau pour la Cour de cassation dès lors que l’influence a été exercée, même de manière indirecte, en l’espèce par l’intermédiaire d’un autre avocat général auprès des conseillers de la formation de jugement. Selon les juges criminels, en effet, « il est indifférent que l’avis de l’avocat général près la Cour de cassation constitue une décision au sens des articles 432-11 et 433-1 du code pénal dès lors que, en l’espèce, [le magistrat] a été condamné pour avoir usé de son influence, réelle ou supposée, auprès de l’avocat général afin que celui-ci rende un avis dans un sens déterminé dans le but d’obtenir une décision de la Cour de cassation favorable à [l’ancien chef d’État] » (§ 109). Ils inscrivent ainsi leur solution dans les constatations d’appel selon lesquelles, « […] par son avis exprimé publiquement et soumis à la discussion contradictoire, l’avocat général participe à l’élaboration de la décision même si son rôle s’arrête au seuil du délibéré auquel il ne participe ni n’assiste » (§ 102). Et d’en déduire que « son avis est donc un jalon essentiel de nature à éclairer la décision » (ibid.).

Sur les délits de corruption active et de corruption passive

En troisième et dernier lieu, les trois prévenus contestaient leur condamnation respective des chefs de corruption active, pour l’ancien président de la République et son avocat, et de corruption passive pour le magistrat du parquet.

En l’espèce, il était reproché au magistrat d’avoir accompli des actes facilités par sa fonction aux fins d’obtenir des informations sur un pourvoi évoqué devant la chambre criminelle et de les transmettre à l’ancien chef d’État. Plus exactement, il aurait transmis à celui-ci des informations quant à la teneur de l’avis du conseiller rapporteur de l’affaire, pourtant couvert par le secret du délibéré, à celle de l’avis de l’avocat général avant sa diffusion aux parties et à l’opinion des conseillers devant participer à la formation de jugement.

À nouveau, la Cour de cassation opère quelques rappels.

Tout d’abord, comme pour le délit de trafic d’influence et pour les mêmes raisons, il importe peu que la proposition d’une contrepartie, a fortiori son acceptation, intervienne postérieurement aux agissements litigieux (§ 94). Ce qui importe est la conclusion du pacte de corruption, laquelle peut intervenir « à tout moment », exigeant la démonstration d’un lien de causalité entre l’acte de fonction ou facilité par sa fonction et la contrepartie accordée, laquelle a ici été agréée (§ 95).

Or, pour la Cour régulatrice, « la cour d’appel a souverainement retenu que les éléments du dossier permettaient d’établir l’existence d’un lien de causalité entre les agissements reprochés [au magistrat] au titre de la corruption et la contrepartie que lui offrait [l’ancien chef d’État] » (§ 93). En effet, après avoir constaté que le magistrat du parquet avait obtenu des informations portant sur le pourvoi formé dans l’affaire Bettencourt (§ 87), les juges d’appel ont constaté l’existence d’« un accord entre les prévenus au terme duquel, en récompense des actes accomplis par [le magistrat], [Nicolas Sarkozy] devait engager des démarches afin d’aider celui-ci à obtenir un poste au Conseil d’État de Monaco » (§ 88). Ils ajoutent que « cet accord résulte de diverses conversations téléphoniques, notamment du 5 février 2014, mais également des 23, 24 et 25 février 2014, qui évoquent les actes accomplis par [le magistrat] la contrepartie attendue par celui-ci et l’accord de [l’ancien chef de l’État] pour l’effectuer. Ils ajoutent que, une fois la démarche accomplie, [le magistrat] a accepté celle-ci » (§ 89). Étant précisé que ce dernier « avait bien postulé pour un poste à Monaco, que cette candidature était toujours d’actualité au moment des faits et que [l’ancien président de la République] en avait connaissance » (ibid.).

Ensuite, pour que le délit de corruption, active ou passive, soit caractérisé, il importe qu’il soit question de l’accomplissement ou non d’un acte relevant de la fonction ou d’un acte facilité par celle-ci. En cette matière, la jurisprudence adopte une interprétation assez large de ces éléments, allant jusqu’à considérer le délit caractérisé alors même que « le corrompu n’a […] pas accompli lui-même ledit acte dès lors qu’il entrait dans ses attributions d’en proposer ou préparer la réalisation » (Crim. 29 juin 2005, n° 05-82.265, D. 2005. 2338, et les obs. ; RTD com. 2006. 226, obs. B. Bouloc ).

Compte tenu des faits, ces derniers sont, sans surprise, considérés comme un acte facilité par la fonction du magistrat du parquet. En effet, pour la Cour de cassation, « le fait pour un magistrat d’obtenir des informations confidentielles, voire protégées par le secret du délibéré, sur une affaire en cours d’examen au sein de la juridiction où il est affecté et de les transmettre à autrui constitue un acte facilité par sa fonction au sens des articles 433-1 et 434-9 du code pénal » (§ 92).

Enfin, la Cour régulatrice rappelle le caractère formel du délit, lequel est caractérisé dès lors que le pacte de corruption est conclu par l’acceptation de la proposition du corrupteur par le corrompu. Il importe en effet peu que la personne sollicitée agrée la récompense proposée postérieurement.

En conclusion, la Cour de cassation ayant rejeté l’ensemble des critiques formulées par les prévenus, leur condamnation respective est devenue définitive et les peines prononcées exécutoires.

Certes, l’ancien président de la République a d’ores et déjà précisé qu’il entendait saisir la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant des questions de forme (v. Affaire des écoutes : retour sur les éléments de procédures (1/2), Dalloz actualité, 9 janv. 2025, obs. J. Gallois, préc.). Ce recours, parce que non suspensif, n’aura cependant aucune conséquence sur les peines prononcées.

En revanche, une éventuelle décision de condamnation par la Cour de Strasbourg pourrait avoir des conséquences sur la culpabilité des prévenus, laquelle repose exclusivement sur la retranscription des conversations téléphoniques, et ce grâce à la procédure de réexamen du pourvoi issue de la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 visant à donner une pleine effectivité en droit interne aux condamnations prononcées par ladite Cour (C. pr. pén., art. 622-1 et 622-2).

 

Crim. 18 déc. 2024, FS-B, n° 23-83.178

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