Affaire des écoutes : retour sur les éléments de procédure (1/2)

Par un arrêt du 18 décembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et Gilbert Azibert dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Ces derniers sont donc tous les trois déclarés définitivement coupables, notamment des chefs de corruption et trafic d’influence, et condamnés à trois ans d’emprisonnement dont une année ferme aménagée sous surveillance électronique, outre les peines complémentaires d’inéligibilité prononcée à l’encontre du premier et d’interdiction d’exercice à l’encontre du deuxième.

Tout est singulier dans cette affaire dite « des écoutes » ou encore appelée affaire Bismuth ou Azibert-Bismuth

Singulier, s’agissant des protagonistes tout d’abord. L’affaire mêle en effet un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et un magistrat du parquet près la Cour de cassation, Gilbert Azibert.

S’agissant du contexte ensuite. L’affaire repose, en effet, exclusivement sur des écoutes téléphoniques ayant eu lieu entre l’ancien président et son avocat, faisant de ces écoutes le cœur même du procès avant la caractérisation des infractions reprochées (J. Gallois, Affaires des écoutes : retour sur la caractérisation des infractions (2/2), Dalloz actualité, à paraître).

S’agissant des faits enfin. Ces derniers interviennent, en effet, au confluent de deux autres affaires impliquant l’ancien président de la République : l’affaire Bettencourt et l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, dont le procès s’est ouvert le 6 janvier 2025.

En 2014, alors qu’une information judiciaire est ouverte le 19 avril 2013, portant sur les conditions du financement de la campagne électorale du candidat à l’élection présidentielle de 2007, notamment des chefs de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment, des écoutes téléphoniques sont ordonnées sur plusieurs lignes de l’ancien chef d’État. À la suite d’un rapport dressé par l’officier de police judiciaire chargé de l’enquête, l’existence d’une autre ligne mise en service au moyen d’une carte prépayée sous le nom de Paul Bismuth, mais paraissant servir à l’ancien président, est révélée. Cette ligne est, à son tour, placée sous écoute en janvier 2014.

Sur cette ligne, des conversations sont interceptées entre Nicolas Sarkozy et son avocat, donnant lieu à des procès-verbaux de transcriptions. Un autre procès-verbal établi le 7 février 2014, contenait, quant à lui, le résumé des conversations échangées, laissant supposer, d’une part, que les intéressés étaient informés des écoutes téléphoniques réalisées sur les lignes régulières de l’ancien président et des perquisitions envisagées et, d’autre part, que l’avocat recevait des informations, pour certaines confidentielles, sur un pourvoi en cassation en cours devant la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, susceptibles de provenir de Gilbert Azibert, alors premier avocat général près la Cour de cassation.

De ces écoutes téléphoniques découlent deux procédures.

Faisant suite à une ordonnance de soit-communiqué des juges d’instruction, le parquet national financier (PNF) a, en premier lieu, ouvert, le 26 février 2014, une information contre personne non dénommée pour trafic d’influence, complicité et recel, violation du secret de l’instruction et recel. Les juges d’instruction ainsi saisis ont ordonné, le même jour, par plusieurs commissions rogatoires, la surveillance, pour une durée de deux mois, des lignes téléphoniques utilisées respectivement par l’avocat de l’ancien président et du magistrat ainsi que la transcription des écoutes opérées dans la procédure initiale. Des perquisitions au domicile de l’ancien chef d’État ont également été diligentées, ayant permis la découverte d’une copie d’un arrêt de la chambre de l’instruction se rapportant à l’affaire Bettencourt. Conséquence de ces découvertes, un réquisitoire supplétif a été pris le 1er juillet 2014 pour corruption active et passive et trafic d’influence actif et passif commis jusqu’au 11 mars 2014 ainsi que pour violation du secret de l’instruction et recel. 

En second lieu, parallèlement à cette information et à la suite des soupçons de ce que Nicolas Sarkozy et son avocat auraient été informés de l’existence d’interceptions téléphoniques le concernant, y compris s’agissant de la ligne ouverte au nom de « Paul Bismuth », une enquête préliminaire, sur les instructions du PNF, a été ouverte le 4 mars 2014 du chef de violation du secret professionnel au cours de laquelle plusieurs avocats pénalistes parisiens avaient fait l’objet de réquisitions téléphoniques. Cette enquête sera classée sans suite le 4 décembre 2019 au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée.

Par jugement du 1er mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a, s’agissant de l’ancien président, requalifié les faits de corruption active par particulier sur une personne dépositaire de l’autorité publique en corruption active par particulier sur un magistrat, l’a déclaré coupable de trafic d’influence actif et corruption active d’un magistrat, et l’a condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis. S’agissant ensuite de son avocat, les juges de première instance ont requalifié les faits de corruption active par particulier sur une personne dépositaire de l’autorité publique en corruption active par particulier sur un magistrat, l’ont déclaré coupable de violation du secret professionnel, corruption active d’un magistrat et trafic d’influence actif, et l’ont condamné à trois ans d’emprisonnement, dont deux assortis du sursis, ainsi qu’à la peine complémentaire de cinq ans d’interdiction professionnelle. S’agissant enfin du magistrat du parquet, le tribunal correctionnel a requalifié les faits de corruption passive par personne dépositaire de l’autorité publique en corruption passive par magistrat, l’a déclaré coupable de recel, corruption passive et trafic d’influence passif, et l’a également condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis. Étant précisé que la partie ferme de chacun des condamnés est aménagée sous le régime de la surveillance électronique (TJ Paris, 1er mars 2021, n° 14056000872, Dalloz actualité, 5 mars 2021, obs. E. Mercinier-Pantalacci ; AJ pénal 2021. 196, note E. Daoud et A. Msellati ).

Par arrêt rendu le 17 mai 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement ainsi entrepris sur la culpabilité et sur les peines principales (Paris, ch. 2-14, 17 mai 2023). Elle a condamné l’ancien chef d’État à une peine d’inéligibilité de trois ans et l’avocat à une peine d’interdiction professionnelle de trois ans.

Les moyens soulevés par les prévenus contre cette décision, portant sur la forme, méritent plusieurs observations.

Sur l’impossibilité de contester l’impartialité d’un juge sans procédure de récusation préalable

Tout d’abord, l’ancien chef de l’État conteste la partialité subjective de l’une des magistrats ayant composé la juridiction de jugement. Il reproche en effet à la magistrate d’avoir exprimé, à titre personnel, lors de propos publics retranscrits dans la presse, une position défavorable à l’encontre de la politique judiciaire qu’il avait voulue, lorsqu’il était président de la République, et ce à travers la réforme de la justice qu’il avait engagée le 7 janvier 2009, visant à supprimer le juge d’instruction.

Dans le cadre d’un article paru au Monde le 14 janvier 2009, la magistrate en question, alors juge d’instruction au pôle financier, avait en effet pris position contre cette suppression souhaitée par le président de la République au bénéfice du parquet (Objection, monsieur le président !, lemonde.fr, 14 janv. 2009). Dans cet article, la juge, pour qui « Museler les juges, c’est un fantasme d’homme politique », revient sur le rôle du magistrat instructeur, sans qui les affaires politico-financières, en l’absence d’un parquet volontariste qui irait défier les pouvoirs publics, n’auraient pas existé. En effet, « Avec le système préconisé par Nicolas Sarkozy, l’affaire du sang contaminé n’aurait pas existé, l’affaire Elf non plus. Il n’y aurait plus de constitution de partie civile, cette procédure qui a donné naissance à la plupart des affaires politico-financières. Il faudrait que le parquet soit masochiste et schizophrène pour lancer des poursuites qui pourraient nuire à la raison d’État […]. On ne peut demander à un procureur de se suicider professionnellement. Prenez l’Angolagate ou l’affaire Borrel, un procureur irait-il gâter des relations diplomatiques importantes pour la France ? Il ira demander l’avis de son chef, qui n’est autre que le ministre de la Justice. Mais comment voulez-vous que les procureurs se battent sur des dossiers sensibles, à moins de vouloir être exilés dans un tribunal de second ordre ? » 

Sans surprise, la Cour de cassation rejette ce moyen, non pas sur le fond mais sur la forme. Elle rappelle que « Le prévenu n’est pas recevable à mettre en cause l’impartialité, qu’elle soit subjective ou objective, d’un magistrat composant la chambre des appels correctionnels, en invoquant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, au regard d’éléments dont il avait ou pouvait avoir connaissance au moment des débats, dès lors qu’il n’a pas usé de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant ce magistrat en application de l’article 668 du code de procédure pénale » (§ 24).

D’un point de vue procédural, il est en effet constant que la contestation d’une éventuelle violation du principe d’impartialité des juges composant les juridictions du fond doit nécessairement être examinée au travers de la procédure de récusation inscrite aux articles 668 et suivants du code de procédure pénale ou en présentant une requête en suspicion légitime sur le fondement de l’article 662 du même code, selon qu’un ou plusieurs magistrats ou toute la juridiction voient sa (leur) impartialité remise en cause (Crim. 9 sept. 2009, n° 08-87.312 ; 2 mars 2011, n° 10-83.257 P, Dalloz actualité, 8 avr. 2011, obs. M. Léna ; AJ pénal 2011. 533, obs. M. Herzog-Evans ; 3 nov. 2016, n° 15-82.191 ; 5 avr. 2018, n° 17-83.166, Dalloz actualité, 30 avr. 2018, obs. W. Azoulay ; D. 2018. 851 ; RSC 2018. 457, obs. F. Cordier ; 19 avr. 2017, n° 17-80.664). Encore récemment, la Cour de cassation a confirmé sa position (Crim. 6 mars 2024, n° 23-80.543, Dalloz actualité, 25 mars 2024, obs. B. Durieu).

Or, dans la mesure où, en l’espèce, le prévenu ne soutenait pas avoir été dans l’impossibilité d’avoir connaissance, au moment des débats, des propos tenus par l’un des magistrats composant la chambre des appels correctionnels, de sorte qu’il pouvait engager une procédure de récusation, le moyen est logiquement écarté (§ 25).

Sur le refus de contester la régularité d’actes provenant d’une procédure distincte

L’irrecevabilité de l’exception de nullité résidant dans l’impossibilité de soulever la nullité des procès-verbaux de l’enquête préliminaire n° 306 au cours de l’instruction

D’abord, les trois prévenus reprochaient à la cour d’appel d’avoir déclaré irrecevable l’exception de nullité résidant dans l’impossibilité de soulever la nullité de procès-verbaux d’enquête au cours de l’instruction.

Ils soutenaient n’avoir eu connaissance du contenu de l’enquête préliminaire n° 306, au cours de laquelle les procès-verbaux litigieux ont été dressés, que postérieurement à l’ordonnance de règlement. Ce n’est, en effet, qu’en janvier 2020, juste après son classement sans suite, que la défense a pu prendre connaissance des éléments de cette enquête officieuse, ayant duré plus de six années, et ce, malgré treize demandes avortées de jonction de cette affaire à la présente espèce, dont elle procédait.

Forts d’une question prioritaire de constitutionnalité rendue dans le cadre d’une autre affaire politico-financière, l’affaire Fillon, ayant déclaré l’article 385 du code de procédure pénale contraire au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense (Cons. const. 28 sept. 2023, n° 2023-1062 QPC, Dalloz actualité, 13 oct. 2023, obs. H. Diaz ; D. 2023. 1696, et les obs. ; ibid. 2024. 1435, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2023. 839, obs. A. Botton ; RTD com. 2023. 973, obs. L. Saenko ), avec possibilité de soulever cette inconstitutionnalité dans les instances en cours lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction de sorte qu’il reviendra à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité (§§ 32 et 33), les prévenus ont en effet soulevé la nullité de l’intégralité de la procédure.

Cependant, comme dans l’affaire en question (Crim. 24 avr. 2024, n° 22-83.466, Dalloz actualité, 30 mai 2024, obs. J. Gallois ; D. 2024. 823 ; AJ pénal 2024. 327, note J. Wolikow ), le moyen n’a pas prospéré, en partie pour des raisons communes.

Certes, comme dans l’affaire Fillon, la chambre criminelle tire les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel pour laquelle les sages ont considéré, « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, [qu’]il y a[vait] lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction », de sorte qu’il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité (§§ 32 et 33).

La Cour de cassation rejette cependant les moyens au motif que les prévenus pouvaient avoir connaissance de ces nullités avant la clôture de l’instruction (§ 35).

Pour fonder sa solution, la Cour de cassation retient qu’« il ressort tant des conclusions des demandeurs devant la cour d’appel que de l’arrêt n° 4 de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris du 8 octobre 2018 et de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2019 (Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.106) que les demandeurs connaissaient, avant la clôture de l’instruction, l’existence de l’enquête préliminaire portant sur les faits de violation du secret professionnel qui auraient permis l’information de [l’ancien président de la République et de son avocat] du placement sous écoutes par les autorités judiciaires de la ligne téléphonique dite "[Paul Bismuth]" qu’ils utilisaient » (§ 36).

Et de poursuivre qu’« Il résulte de ces mêmes conclusions et arrêts ainsi que de l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction du 8 juin 2017 et de l’ordonnance n° 10567 du 22 septembre 2017 du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation que les demandeurs ont contesté infructueusement devant la chambre de l’instruction, puis devant la Cour de cassation, avant la clôture de l’instruction, le refus du juge d’instruction d’obtenir le versement de la procédure d’enquête préliminaire à l’instruction. Ils ont également soulevé, dans les mêmes conditions et avec le même résultat, la nullité du réquisitoire définitif au motif que celui-ci se référait à des éléments issus de l’enquête préliminaire précitée et qu’il en résultait une violation des droits de la défense et des principes du contradictoire et de l’égalité des armes » (§ 37).

La motivation ainsi adoptée par la Cour de cassation est assurément contestable au regard des droits de la défense. Elle revient à considérer que, parce que les prévenus connaissaient l’existence de l’enquête, ils étaient en mesure de connaître les nullités des actes qui la composaient. Par définition, en l’absence de communication du dossier, les prévenus ne peuvent connaître des actes d’enquête ainsi réalisés, si ce n’est se douter à tout le moins de la mise en place d’écoutes et de leurs retranscriptions sur procès-verbal, encore moins connaître des nullités qui les vicieraient ! Par ailleurs, le fait que les prévenus aient soulevé la nullité du réquisitoire définitif au motif que celui-ci se référait à des éléments issus de l’enquête préliminaire précitée ne sauraient valoir connaissance des actes éventuellement viciés.

La solution aurait en revanche été différente si les prévenus avaient soulevé la nullité des actes d’enquête litigieux eux-mêmes, comme dans l’affaire Fillon.

L’absence de stratagème employé par un agent de l’autorité publique ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve

Parallèlement, les prévenus ont soulevé un moyen reposant sur l’existence d’un stratagème employé par un agent de l’autorité publique pour la constatation d’une infraction ou l’identification de ses auteurs.

Pour comprendre le moyen soulevé, il faut rappeler le contexte de l’ouverture de l’enquête préliminaire n° 306, l’enquête cachée à côté de l’information judiciaire, et de son déroulé.

Lors des écoutes téléphoniques, deux d’entre elles, du 26 février 2014, font état d’une discussion dans laquelle l’ancien président de la République semble renoncer à ce qui ressemblait à un pacte de corruption. Cependant, étonné de ce renoncement, les juges d’instruction considèrent que l’ancien président et son avocat ont été avertis de leur placement sous écoute et ont volontairement tenu ces propos. Sur instruction du PNF, une enquête préliminaire est ouverte en mars 2014, laquelle sera classée sans suite six ans plus tard, en décembre 2019, faute d’infraction suffisamment caractérisée.

Ce n’est que le 23 janvier 2020 que les prévenus se sont vu communiquer le dossier de l’enquête préliminaire n° 306, que la Cour de cassation considère elle-même, et avant elle la cour d’appel, comme portant sur des faits connexes (§ 31). Les prévenus avaient cependant eu connaissance de l’existence de cette enquête en août 2016, les conduisant à demander treize fois la jonction des deux affaires. En vain, le PNF refusant d’y faire droit notamment au motif que cette enquête ne visait pas l’ancien président de la République… Dans le même temps, la défense découvre que l’enquête a été clôturée en mars 2016, avant d’être relancée en septembre 2016, même si aucun acte d’investigation n’aura lieu jusqu’à son classement (pour plus de détail, M. Babonneau, Procès des écoutes : la défense contre « le stratagème » du parquet national financier, Dalloz actualité, 1er déc. 2020).

De tout cela, la défense en a déduit une volonté des magistrats de l’empêcher d’avoir accès aux éléments du dossier de cette enquête officieuse, et plus particulièrement d’une facture détaillée des appels téléphoniques passés par l’avocat de l’ancien président, le 25 février 2014. Elle soutient d’ailleurs que l’enquête préliminaire n° 306 a sciemment été clôturée postérieurement à l’ordonnance de règlement rendue le 26 mars 2018, dans la présente affaire, afin de faire échec à toute possibilité de requête en nullité en application de l’article 385 du code de procédure pénale, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits.

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette cependant toute existence d’un stratagème visant à vicier la recherche des preuves. En effet, après avoir rappelé sa jurisprudence selon laquelle « un tel stratagème ne constitue en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve susceptible de fonder l’annulation de la procédure que lorsque, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, il a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie » (Cass., ass. plén., 9 déc. 2019, n° 18-86.767, § 41, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs. H. Diaz ; D. 2019. 2413, et les obs. ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2020. 88, obs. C. Ambroise-Castérot ; RSC 2020. 103, obs. P.-J. Delage ), elle juge qu’« il ne saurait résulter, à supposer ces circonstances établies, de ce que l’enquête a été clôturée tardivement et par un classement sans suite, et de ce que les parties n’ont pu prendre connaissance que postérieurement à l’ordonnance de renvoi et avant les débats devant la juridiction de jugement de l’existence dans cette enquête de la facture détaillée des appels téléphoniques passés par [l’avocat] le 25 février 2014, l’existence d’un stratagème susceptible d’emporter l’annulation de la procédure » (§ 42).

Et d’ajouter que « le fait allégué que l’enquête préliminaire aurait été irrégulièrement menée au motif qu’elle comportait des éléments provenant de l’information judiciaire ou qu’elle a fait l’objet d’un suivi insuffisant ou d’un manque de rigueur ne saurait en soi entraîner la nullité de l’information » (§ 43).

Le refus d’écarter des débats les transcriptions des écoutes téléphoniques entre le client et son avocat

Il s’agit ici du point le plus débattu de l’affaire des écoutes, à savoir si la transcription de ces dernières impliquant l’avocat et son client, au demeurant également avocat, pouvaient être utilisée aux fins de fonder la condamnation de ce dernier.

Il faut rappeler que la question de leur annulation a déjà été tranchée en phase d’instruction. Par trois arrêts rendus le 22 mars 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet approuvé la chambre de l’instruction d’avoir rejeté les moyens de nullité, pris de l’irrégularité de l’interception des communications tenues sur une ligne téléphonique ouverte sous le nom de Paul Bismuth (Crim. 22 mars 2016, nos 15-83.205, 15-83.206 et 15-83.207, 3 esp., Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini ; D. 2017. 74, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2016. 261 ; RSC 2016. 364, obs. F. Cordier ). Pour la Cour régulatrice, « Aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à la captation, à l’enregistrement et à la transcription des propos d’un avocat intervenant sur la ligne téléphonique d’un tiers régulièrement placée sous écoute, dès lors que, comme en l’espèce, en premier lieu, cet avocat n’assure pas la défense de la personne placée sous surveillance, qui n’est ni mise en examen ou témoin assisté ni même n’a été placée en garde à vue dans la procédure en cause, et, en second lieu, ses propos, seraient-ils échangés avec un client habituel, dont le contenu est étranger à tout exercice des droits de la défense dans ladite procédure ou dans toute autre, révèlent des indices de sa participation à des faits susceptibles de qualification pénale ».

La première partie de la solution laisse le commentateur perplexe, en ce que tant que la personne écoutée n’est pas mise en examen ou témoin assisté ni même n’a été placée en garde à vue dans la procédure en cause, les échanges avec son avocat ne relèvent pas des droits de la défense, quand bien même serait-il son avocat dans d’autres affaires pourtant couvertes, en principe, par le secret professionnel.

Cette position est assurément contestable, et ce, pour au moins deux raisons.

La première est qu’une personne est en droit d’assurer sa défense, quand bien même n’aurait-elle pas le statut de mis en examen, témoin assisté ou n’aurait-elle pas été placée en garde à vue. D’autant plus lorsque l’on sait que le placement en garde à vue n’est qu’une faculté et que la Cour de cassation se garde bien de réserver le cas de l’auditionné libre, lequel jouit pourtant des mêmes droits de la défense que la personne gardée à vue. Par ailleurs, très souvent la mise sous écoute a pour objet de recueillir des indices graves ou concordants dans le cadre d’une instruction ou des éléments à charge dans le cadre d’une enquête préliminaire, lesquels sont les préludes à l’octroi de ces statuts. 

La seconde, plus large, est que l’on ne voit pas comment la personne écoutée pourrait avoir préalablement désigné son avocat dans la procédure en cause, dans la mesure où il ne sait pas, par définition, qu’il est écouté, ni même peut-être qu’il est suspecté, si ces écoutes sont diligentées dans le cadre d’une enquête préliminaire (plus largement sur ce point, E. Piwnica, Interceptions judiciaires et secret professionnel des avocats, Griefs, 2017/1, n° 4, p. 20)…

Reste que la seconde partie de la solution rendue par la Cour de cassation permet de justifier la transcription des écoutes. Il est en effet constant que « si [l]es dispositions [des articles 100 et 100-7 du code de procédure pénale] n’excluent pas la possibilité d’une interception inopinée d’une conversation entre un avocat et son client, à l’occasion de l’écoute d’une ligne dont l’avocat n’est pas titulaire, sa transcription ne peut être réalisée qu’à titre exceptionnel s’il existe contre l’avocat des indices de participation à une infraction, l’annulation des actes de transcription devant être prononcée, en l’absence de tels indices, par la chambre de l’instruction ou la formation de jugement, saisie à cette fin » (Crim. 6 avr. 2016, n° 15-86.043, Dalloz actualité, 3 mai 2016, obs. C. Benelli-de Bénazé ; v. déjà, Crim. 1er oct. 2003, n° 03-82.909 P, D. 2004. 671 , obs. J. Pradel ; RSC 2004. 99, obs. C. Ambroise-Castérot ; 18 janv. 2006, n° 05-86.447, D. 2006. 392, obs. C. Girault ; AJ pénal 2006. 126, obs. C. Girault ; ibid. 254 , note P. Dourneau-Josette ; RSC 2006. 413, obs. J. Buisson ; 17 sept. 2008, n° 08-85.229, Dalloz actualité, 8 oct. 2008, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2008. 467, obs. S. Lavric ; RSC 2009. 897, obs. J. Buisson ).

Les transcriptions litigieuses n’ayant pas été annulées, les prévenus prétendaient, au fond, que la juridiction correctionnelle est tenue d’écarter des débats les preuves illicites sans être liée par une précédente décision refusant d’annuler leurs supports.

Dans son jugement rendu le 1er mars 2021, le tribunal correctionnel s’était en effet positionné en ce sens, considérant que, « Dans le cadre du contrôle de légalité de la preuve, le tribunal peut décider de ne pas prendre en compte des pièces et de les écarter notamment parce que les circonstances de recueil de celle[s]-ci apparaissent contrevenir aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme » (TJ Paris, 1er mars 2021, n° 14056000872, préc.). La cour d’appel avait cependant infirmé cette position, jugeant, quant à elle, que le débat sur la régularité des écoutes téléphoniques était clos en ce que leur régularité avait été examinée pendant l’instruction. Il n’y avait dès lors pas lieu d’écarter des débats les transcriptions de ces conversations téléphoniques, ni d’écarter ou de s’interdire d’utiliser les conversations échangées entre le client et son avocat.

La Cour de cassation approuve ici le raisonnement des juges d’appel (§ 51). Pour la Haute Cour en effet, « si la valeur probante de tels éléments peut être discutée devant la juridiction de jugement, celle-ci ne peut les écarter des débats ou s’interdire de les utiliser dès lors qu’ils étaient susceptibles d’annulation en application de l’article 170 du code de procédure pénale, peu important qu’ils aient été ou non contestés durant l’information » (§ 52).

Il est vrai qu’adopter une position inverse reviendrait à admettre qu’il est possible de passer outre le mécanisme de purge des nullités lorsque l’affaire a fait l’objet d’une information judiciaire (C. pr. pén., art. 385).

La position péremptoire de la Haute Cour étonne néanmoins. Il faut rappeler que la liberté de la preuve posée à l’article 427 du code de procédure pénale est celle des parties, mais aussi celle du juge. Elle innerve d’ailleurs tous les stades de la procédure pénale. Comme le rappellent en effet d’éminents spécialistes de la procédure pénale, « la liberté qui anime la phase préparatoire à la poursuite et la poursuite elle-même doit se retrouver en aval de ces deux phases, à raison de l’unité de la théorie de la preuve. Le juge ne pourra être tenu, sauf exception rarissime, par aucune preuve dans la motivation de sa décision » (S. Guinchard et J. Buisson [dir.], M. Bouchet et L. Ascensci, Procédure pénale, 17e éd., LexisNexis, coll. « Manuel », 2024, spéc. n° 562). Aussi, si la liberté du juge en matière de preuve se trouve bornée par la légalité de l’administration de la preuve, elle l’est par la légalité du procès pénal. « En effet, il appartient au juge répressif d’apprécier, au regard des règles relatives à l’administration de la preuve pénale, la valeur des éléments probatoires produits et de rejeter les preuves qui, illégalement recueillies, ne peuvent fonder sa décision » (S. Guinchard et alii, Procédure pénale, op. cit., spéc. n° 582). Antérieurement à cette décision, la Cour de cassation considérait d’ailleurs qu’« il appart[enai]t aux juridictions répressives d[’]apprécier la valeur [des pièces de nature à constituer des charges contre les personnes suspectées] au regard des règles relatives à l’administration de la preuve des infractions » (Crim. 23 juill. 1992, n° 92-82.721 P, D. 1993. 206 , obs. J. Pradel ; RTD civ. 1993. 101, obs. J. Hauser ). A ainsi été cassé l’arrêt qui, dans une procédure établie du chef d’usage d’attestation mensongère, avait admis les témoignages des enfants d’un couple sur les griefs allégués entre leurs parents en instance de divorce alors que la prohibition du témoignage des descendants sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce n’est pas limitée à la procédure civile, mais constitue l’expression d’un principe fondamental inspiré par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille (Crim. 4 févr. 1991, n° 89-86.575 P, RSC 1992. 115, obs. A. Braunschweig ; RTD civ. 1991. 505, obs. J. Hauser ).

En tout état de cause, la Cour de cassation ajoute, aux fins de clore le débat, qu’« il ne résulte pas de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme l’interdiction d’utiliser contre le client d’un avocat les propos échangés entre eux sur une ligne téléphonique placée sous écoutes dès lors que ces propos révèlent des indices de nature à faire présumer la participation de l’avocat à une infraction pénale et qu’ils sont étrangers aux droits de la défense » (§ 53).

La Haute Cour rejette ainsi la lecture opérée par les prévenus de l’arrêt, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, Versini-Campinchi (CEDH 16 juin 2016, n° 49176/11, Dalloz actualité, 17 juin 2016, obs. A. Portmann ; D. 2016. 1852 , note E. Raschel ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ).

Dans cette décision, la Cour de Strasbourg a jugé que, si des conversations entre le justiciable et son avocat, interceptées de manière incidente, peuvent être retranscrites lorsqu’elles révèlent des indices de participation du second à une infraction, celles-ci ne peuvent en aucun cas être utilisées contre le premier sans violer les droits de la défense. Sur ce point, la position de la Cour européenne est en effet claire : « par exception, le secret professionnel des avocats, qui trouve son fondement dans le respect des droits de la défense du client, ne fait pas obstacle à la transcription d’un échange entre un avocat et son client dans le cadre de l’interception régulière de la ligne du second lorsque le contenu de cet échange est de nature à faire présumer la participation de l’avocat lui-même à une infraction, et dans la mesure où cette transcription n’affecte pas les droits de la défense du client » (CEDH 16 juin 2016, Versini-Campinchi et Crasnianski c/ France, n° 49176/11, préc., § 79). Ce n’est que dans cette mesure que « cette exception au principe de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client contient une garantie adéquate et suffisante contre les abus ». Elle poursuit d’ailleurs en précisant que « […] ce qui importe avant tout dans ce contexte est que les droits de la défense du client ne soient pas altérés, c’est-à-dire que les propos ainsi transcrits ne soient pas utilisés contre lui dans la procédure dont il est l’objet » (§ 80).

Force est de constater qu’en l’espèce, la chambre criminelle ne se place que du point de vue de l’avocat et non du client, quand bien même serait-il au demeurant avocat, et considère contestablement qu’il n’est pas question de droits de la défense. D’ailleurs, dans son communiqué de presse, la Cour de cassation considère que le contenu des conversations téléphoniques ne doit pas révéler d’information pouvant nuire à la défense de son client, ce qui est, selon elle, le cas ici. Dans la mesure où les écoutes ont précisément servi à fonder la condamnation de l’ancien président de la République, reste à savoir ce qu’elle entend comme pouvant nuire à la défense du client (Communiqué de presse, p. 2)…

L’ancien président de la République a d’ores et déjà indiqué saisir la Cour européenne des droits de l’homme sur ce point. Affaire à suivre donc.

 

Crim. 18 déc. 2024, FS-B, n° 23-83.178

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