Affaire Fillon : l’épilogue d’une saga judiciaire… ou presque

Par arrêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation a, sans surprise, approuvé l’ensemble des déclarations de culpabilité prononcées par la cour d’appel à l’encontre de François Fillon, de son épouse et de son suppléant à la députation. Elle a toutefois cassé sa décision sur la motivation de la peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre de l’ancien candidat à l’élection présidentielle et sur le préjudice subi par l’Assemblée nationale.

Le dénouement de l’affaire Fillon, ou appelée Penelopegate, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation était attendu (A. Bloch, Le « Penelopegate » devant la chambre criminelle, Dalloz actualité, 29 févr. 2024).

Les faits

Un rapide rappel des faits s’impose. Début 2017, une enquête préliminaire des chefs de détournement de fonds publics, d’abus de biens sociaux et de recel de ces délits, est ouverte à l’encontre du candidat à la présidentielle de 2017, François Fillon, à la suite de la publication, par l’hebdomadaire Le Canard enchaîné, d’un article remettant en cause la réalité des tâches d’assistante parlementaire accomplies par son épouse auprès de lui, lorsqu’il était député de 1998 à 2002, et auprès de son suppléant, de 2002 à 2007. L’épouse du candidat a également vu la teneur de son travail remis en cause par le journal satirique, lorsqu’elle occupait un emploi de conseillère littéraire de la publication la Revue des deux mondes, entre mai 2012 et décembre 2013, pour une rémunération mensuelle de 5 000 € bruts. Le directeur de la revue, proche de l’ancien élu, élevé en 2011 à la dignité de grand-croix dans l’ordre de la Légion d’honneur par le président de la République, Nicolas Sarkozy, sur sa proposition en sa qualité de Premier ministre, a été quant à lui condamné de manière définitive du chef d’abus de biens sociaux, dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, après avoir reconnu avoir rémunéré de manière excessive puis fictive sa nouvelle conseillère (Affaire Pénélope Fillon : Marc Ladreit de Lacharrière condamné à huit mois de prison avec sursis, Le Monde, 11 déc. 2018).

Saisi du dossier, le procureur national financier décide d’ouvrir une information judiciaire, au cours de laquelle le couple Fillon est mis en examen notamment pour détournements de fonds publics par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits.

Par jugement rendu le 29 juin 2020 (T. corr. Paris, 29 juin 2020, n° 17025000146, Dalloz actualité, 29 juin 2020, obs. M. Babonneau ; ibid. 16 juill. 2020, obs. M. Recotillet), le prévenu est notamment condamné pour détournements de fonds publics réalisés entre 1998 et 2002 puis entre 2012 et 2013, complicité et recel du détournement de fonds publics commis par son suppléant ainsi que complicité et recel de l’abus de biens sociaux imputé au directeur de la Revue des deux mondes. Son suppléant est condamné pour détournement de fonds publics.

Quant à son épouse, elle est condamnée pour complicité et recel des détournements de fonds publics commis par son mari et le suppléant de celui-ci, ainsi que pour complicité et recel de l’abus de biens sociaux reconnu par son ancien employeur pour ses fonctions de conseillère littéraire.

Sur appel des trois condamnés, la Cour d’appel de Paris a, par arrêt du 9 mai 2022, confirmé la déclaration de culpabilité des trois prévenus.

Sur la forme

L’exception de nullités soulevée postérieurement à la clôture de l’information judiciaire

Tout d’abord, la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur la possibilité de soulever des nullités postérieurement à l’instruction. Il s’agit là du point le plus saignant de l’affaire Fillon, en ce qu’il a conduit à la réécriture de l’article 385 du code de procédure pénale.

Pour rappel, lors de l’appel formé contre le jugement de condamnation, l’ancien Premier ministre a soulevé l’annulation de certains actes de procédure au motif que des moyens de nullité furent, selon lui, révélés postérieurement à l’audience du tribunal correctionnel. En effet, après le renvoi de l’affaire devant le Tribunal correctionnel de Paris par le juge d’instruction, une commission d’enquête parlementaire consacrée aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, avait auditionné l’ancienne procureure en charge du dossier au parquet national financier. Cette dernière avait alors évoqué une forme de « pression » de la part de sa hiérarchie dans le suivi de la procédure Fillon (v. not., Affaire Houlette ou l’hypocrite débat sur l’indépendance du parquet relancé, Dalloz actualité, 22 juin 2020, obs. M. Babonneau). Ces propos avaient immédiatement été suivis d’une vive polémique, avant d’être tempérés par l’intéressée puis formellement démentis par la procureure générale de Paris (Propos d’Éliane Houlette : la mousse de la pression retombe, Dalloz actualité, 3 juill. 2020, obs. P.-A. Souchard). Le Conseil supérieur de la magistrature avait même émis un avis selon lequel le pouvoir exécutif n’avait aucunement fait pression sur les services du parquet (v. not., Pas de pression de l’exécutif sur le PNF, dit le Conseil supérieur de la magistrature, Dalloz actualité, 17 sept. 2020, obs. J. Mucchielli).

L’ancien Premier ministre a vu dans tout cela un grief à soulever, connu postérieurement à la clôture de l’information judiciaire, celui selon lequel la procédure ne présentait pas de garanties suffisantes en termes d’indépendance et d’impartialité.

La Cour d’appel de Paris a cependant jugé irrecevable l’exception de nullités de la procédure au motif que ces nullités, faute d’avoir été soulevées en phase d’instruction, conformément aux règles posées par les articles 173-1, 174 et 175 du code de procédure pénale, se trouvaient purgées en application de l’article 385 du même code. Jugé forclos avant d’être déclaré coupable des chefs de poursuite, l’ancien Premier ministre a alors, à l’occasion de son pourvoi, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle a été transmise au Conseil constitutionnel (Crim. 28 juin 2023, n° 22-83.466).

Ce dernier a, par décision du 28 septembre 2023, déclaré l’article 385 précité contraire à la Constitution, et plus précisément au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense (Cons. const. 28 sept. 2023, n° 2023-1062 QPC, Dalloz actualité, 13 oct. 2023, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2023. 561 et les obs. ).

Si la chambre criminelle tire les conséquences de cette décision pour laquelle les sages ont considéré, « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, [qu’]il y a[vait] lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction », de sorte qu’il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité, elle rejette cependant le pourvoi au motif que la cour d’appel avait examiné les nullités soulevées par l’ancien Premier ministre et dont les motifs n’avaient pas été contestés devant la Cour de cassation (§ 12).

L’exception de prescription de l’action publique des délits de détournements de fonds publics, d’abus de biens sociaux, et de complicité et de recel de ces infractions

Le candidat malheureux a par ailleurs soulevé devant la chambre criminelle la prescription des infractions qui lui étaient reprochées. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir considéré que le point de départ du délai de prescription de l’action publique est fixé, non au jour de commission des infractions, mais au jour de la publication de l’article de presse faisant apparaître les faits incriminés, soutenant la nécessité du respect du terme fixé notamment à l’action publique.

Selon lui en effet, « les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit à un tribunal, sont essentiels pour garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, pour mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et pour empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé » (§ 15).

Le moyen était ici fondamental pour les prévenus dans la mesure où les faits de la prévention avaient été commis entre 1998 et 2013, de sorte que la prescription était acquise en 2016 – le délai de prescription des délits était en effet à l’époque triennal –, soit bien avant l’ouverture de l’enquête préliminaire, et jour de publication de l’article de presse – le 25 janvier 2017 – et de l’ouverture de l’information judiciaire – le 24 février 2017.

Sans surprise, la Cour de cassation rejette cette argumentation. Pour asseoir sa solution, elle s’appuie sur sa jurisprudence rendue dans le cadre d’une autre affaire politique retentissante, celle des emplois fictifs reprochés à l’ancien président de la République, Jacques Chirac, poursuivi notamment du chef d’abus de biens sociaux (Cass., ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.032 P, Dalloz actualité, 24 mai 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 1426, point de vue D. Chagnollaud ; ibid. 1775, chron. N. Maziau ; ibid. 2231, obs. J. Pradel ; Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 611, obs. H. Matsopoulou ; ibid. 656, obs. J. Danet ; ibid. 2012. 221, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2011. 654, obs. B. Bouloc ). Elle y précisait notamment que « les règles relatives au point de départ de la prescription de l’action publique et à l’incidence que la connexité des infractions peut exercer sur elle, sont anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs ».

Cette décision a, en outre, posé les jalons de ce qui deviendra l’article 9-1 du code de procédure pénale par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 faisant démarrer le délai de prescription de l’action publique à compter du jour où l’infraction, occulte ou dissimulée, est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique (§§ 17 et 18).

À ce principe rappelé, la Cour de cassation ajoute, s’agissant de la déperdition des preuves que, d’une part, « le ministère public, pour la recherche des éléments de preuve, et les prévenus, s’agissant de leurs moyens de défense, se trouvent dans une situation équivalente au regard de l’écoulement du temps » (§ 19) et que, d’autre part, « l’appréciation de la valeur des éléments de preuve, soumis au débat contradictoire, assure le respect du droit à un procès équitable, du droit à la présomption d’innocence ainsi que des droits de la défense » (§ 20).

En tout état de cause, il importe de rappeler qu’en matière d’abus de biens sociaux, en cas de dissimulation de la dépense litigieuse, la prescription ne court pas à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société (Crim. 27 juin 2001, n° 00-87.414 P, Rev. sociétés 2001. 873, note B. Bouloc ; RSC 2002. 339, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2002. 180, obs. B. Bouloc ; ibid. 694, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard ), mais bien au jour d’apparition et de constatation de l’infraction dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, soit au jour de la dénonciation au parquet (Crim. 27 juill. 1993, n° 92-85.146).

De même, en matière de détournement de fonds publics, les juges répressifs considèrent que le point de départ du délai de prescription de ce délit doit être fixé non au jour de la commission des faits, mais à celui où le détournement est apparu et a pu être constaté dans les conditions permettant l’exercice de l’action publique. Considérant l’infraction occulte, la jurisprudence applique à cette dernière le régime dérogatoire qu’elle a mis en place, antérieurement à la réforme de 2017, pour les infractions occultes (Crim. 2 déc. 2009, n° 09-81.967, 2e moyen, P ; AJ pénal 2010. 78 ; RSC 2010. 863, obs. C. Mascala ; RTD com. 2010. 441, obs. B. Bouloc ) et n’hésite pas à le rappeler (v. not. s’agissant de l’affaire Claude Guéant, Paris, pôle 5 - ch. 12, 23 janv. 2017, n° 16/01399, Dalloz actualité, 30 janv. 2017, obs. J. Gallois).

Sur le fond

Les faits de détournement de fonds publics

Aux fins de faire échec à toute poursuite du chef de détournement de fonds publics, l’ancien Premier ministre soutenait l’exclusion du contrôle juridictionnel de l’effectivité des tâches d’un collaborateur de circonscription. Selon lui en effet, les principes de séparation des pouvoirs et de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat s’opposent à ce que le juge judiciaire porte une appréciation sur l’utilité et la valeur du travail d’un collaborateur de député, de sorte qu’il n’appartenait pas à ce juge d’apprécier, encore moins de considérer les rémunérations consenties à son épouse, au titre du contrat de collaborateur parlementaire, manifestement surévaluées au regard des tâches accomplies.

Sans succès, la chambre criminelle jugeant que « le principe de séparation des pouvoirs n’interdit pas au juge judiciaire, saisi de poursuites engagées du chef du délit de détournement de fonds publics, infraction contre la probité, qui n’entre pas dans le champ de l’irresponsabilité de l’article 26 de la Constitution [selon lequel “Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions”], d’apprécier la réalité de l’exécution du contrat de droit privé conclu entre un membre du Parlement et un de ses collaborateurs » (§ 29). 

Les faits de complicité d’abus de biens sociaux

Le couple est par ailleurs poursuivi pour complicité d’abus de biens sociaux, en raison de la rémunération perçue par Mme Fillon en vertu de son contrat de conseillère littéraire.

D’abord, l’ancien député se voit reprocher d’avoir demandé auprès du directeur de la Revue des deux mondes, ami proche, un emploi pour son épouse. Aux fins de contester la caractérisation de la complicité du délit sociétaire, il reprochait aux juges d’appel de n’avoir pas précisé l’un des modes de complicité prévus par la loi. Par-delà, il avançait le fait de n’avoir jamais donné d’instruction à la direction en vue d’obtenir, pour son épouse, un emploi fictif, ni de n’avoir apporté sciemment son aide à la commission de l’infraction.

Ensuite, son épouse se voit reprocher son aide à la commission du délit sociétaire pour avoir signé le contrat de conseiller littéraire prévoyant une rémunération surévaluée au regard des tâches qu’elle effectuerait en contrepartie. Selon elle, cette « aide » ne saurait être caractérisée par la signature de ce contrat, « dès lors que la conclusion du contrat n’a pu en elle-même faciliter la préparation ou la consommation du délit d’abus de biens sociaux qui résulte non pas du versement des rémunérations, mais de l’inexistence ou de l’insuffisance des prestations exécutées en contrepartie ». Sachant qu’il n’est pas établi par la cour d’appel, toujours selon la prévenue, qu’au moment de la signature, elle avait connaissance de cette inexistence ou insuffisance.

Ces moyens faisant état d’une motivation insuffisante de l’arrêt rendu par la cour d’appel sont cependant rejetés par la Cour de cassation, laquelle se retranche derrière l’appréciation souveraine des éléments matériels et intentionnels des délits de complicité d’abus de biens sociaux.

S’agissant de l’ancien candidat, il ressort en effet des motifs qu’il s’était rendu complice par instigation d’abus de biens sociaux en ce qu’il avait spécialement sollicité le directeur de la revue dont il est un proche, aux fins de « trouver à son épouse une activité moins dépendante de lui et de la politique » (§ 34), avait « directement provoqué aux rencontres d[u directeur] et de son épouse et a[vait] formulé la demande d’un emploi ». Il avait par ailleurs conscience, lors de l’embauche, que le contrat de travail était « de façade » en ce qu’il avait « mentionn[é], comme durée de l’emploi de son épouse à la [revue], sur la fiche d’information établie par tout député pour l’embauche d’un assistant parlementaire, le chiffre de quatorze heures » (§ 40).

S’agissant de son épouse, sa responsabilité pénale est également caractérisée, les éléments factuels rendant compte que la prévenue avait l’intention de ne fournir aucun travail ou, tout du moins, un travail ne correspondant pas à sa rémunération. Cette intention ne se manifeste cependant pas, à la lecture des motifs, au moment de son embauche, les juges d’appel se contentant de relever l’absence d’expérience de la prévenue – « avant cette embauche, Mme [N] n’avait jamais occupé d’emploi dans une société commerciale d’édition, n’était pas connue pour ses travaux littéraires et […] personne n’a attesté de son expérience dans le redressement comptable ou éditorial d’une revue traitant de littérature et de sciences politiques » (§ 35) – mais lors de l’exécution du contrat du travail. Les juges du fond ont en effet souligné le désintérêt manifeste de la prévenue pour ce travail – « Mme [N] n’a jamais estimé devoir se rendre dans les locaux de la revue, […] le personnel de la revue, qu’elle n’a jamais rencontré, a été tenu dans l’ignorance de son statut de conseillère littéraire et [elle] n’a jamais cherché à connaître le fonctionnement de cette revue alors qu’elle était censée conseiller le dirigeant du groupe [2] sur la manière de redresser cette publication » (§ 38) et « Mme [N] a fait le choix d’ignorer le fonctionnement de cette publication déficitaire, de son management, de ses choix éditoriaux ou rédactionnels » (§ 39) – pour lequel elle n’a fait parvenir qu’une dizaine de notes de lecture (§ 37).

Aussi, la complicité par aide, laquelle est ici apportée concomitamment à la réalisation de l’abus de biens sociaux, consommé à chaque rémunération perçue indument par la prévenue, est caractérisée.

Le principe ne bis in idem

L’épouse de l’ancien candidat, condamnée des chefs de complicité de détournement de fonds publics et de complicité d’abus de biens sociaux pour avoir apporté son aide, à son mari s’agissant de la première infraction, et à son employeur s’agissant de la seconde, en signant un contrat de travail qui ne donnera pas lieu à l’accomplissement d’une contrepartie, soulevait l’impossibilité de retenir à son endroit le recel de ces infractions sous peine de violer les articles 121-7 et 321-1 du code pénal, ensemble le principe ne bis in idem garanti par les articles 4 du Protocole 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Selon la prévenue en effet, « l’infraction de recel ne peut être retenue à l’égard du complice de l’auteur principal du délit d’origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l’acte de complicité pour en être la conséquence directe ».

À nouveau, l’argumentation est vaine. À la différence de l’auteur principal, qui ne peut être poursuivi du chef de recel de cette même infraction principale (v. réc., Crim. 13 avr. 2022, n° 19-84.831, Dalloz actualité, 30 mai 2022, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1504 , note B. Auroy ; ibid. 1637, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2022. 371, obs. O. Décima ; ibid. 269 et les obs. ; Rev. sociétés 2022. 622, note B. Bouloc ; RSC 2022. 311, obs. X. Pin ; ibid. 845, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2022. 391, obs. B. Bouloc ; ibid. 662, obs. L. Saenko ), le complice peut, lui, être receleur de tout ou partie du produit de l’infraction principale à laquelle il a participé (v. par ex., en mat. de vol, Crim. 9 févr. 1967 P ; 6 janv. 2009, n° 08-81.912).

Certes, pendant plus d’un siècle, avant d’être considéré comme un délit distinct, le recel de choses est resté un cas de complicité de l’infraction d’origine, le code pénal de 1810 assimilant le receleur au complice. Aujourd’hui, tel n’est plus le cas de sorte que la répression des deux infractions, se rapportant à deux faits distincts, commis à deux moments différents, est possible.

Pour rejeter le moyen, la chambre criminelle inscrit sa solution dans cette lignée, rappelant la finalité des chefs de poursuite et leur temporalité. En effet, d’abord la complicité par aide tend à faciliter sciemment la commission d’une infraction par son auteur, alors que le recel consiste à bénéficier, en connaissance de cause, du produit d’un crime ou d’un délit réalisé (§ 51). Ensuite, ces deux délits, conditionnés par l’existence de la même infraction principale et par nature réalisés en des temps différents, reposent nécessairement sur des faits distincts (§ 52). Et d’en conclure qu’« en l’absence d’identité de faits matériels entre les deux infractions, le cumul de qualification lors de la déclaration de culpabilité ne méconnaît pas le principe ne bis in idem (v. égal., Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864, Dalloz actualité, 6 janv. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 154 , note G. Beaussonie ; AJ pénal 2022. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément ; RSC 2022. 311, obs. X. Pin ; ibid. 323, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2022. 188, obs. B. Bouloc ).

La motivation de la peine d’emprisonnement ferme

L’ancien député, condamné à quatre ans d’emprisonnement dont un an ferme, soulevait encore le défaut de motivation suffisante de sa peine d’emprisonnement sans sursis. Selon lui en effet, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de sa situation matérielle, familiale et sociale, ni du caractère manifestement inadéquat de toute autre peine que l’emprisonnement ferme, en se contentant de préciser que « cette peine est justifiée par l’atteinte à l’ordre public dans les proportions et l’ampleur rappelées ainsi que par la commune et constante préoccupation des époux [Fillon] de financer leur train de vie, pourtant substantiel, par des moyens illégaux ».

L’approche stricte adoptée par la Cour de cassation, au travers de son contrôle de la motivation des conditions posées par l’article 132-19 du code pénal, selon lequel « Toute peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate », est classique (v. not., en ce sens, Crim. 17 avr. 2013, n° 12-86.054, D. 2013. 1350 ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 473 ; 30 mars 2016, n° 15-81.550, Dalloz actualité, 2 mai 2016, obs. D. Goetz ; D. 2016. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; 4 mai 2016, n° 15-80.770, Dalloz actualité, 26 mai 2016, obs. J. Gallois ; 18 oct. 2017, n° 16-83.108, Dalloz actualité, 8 nov. 2017, obs. J. Gallois) et régulièrement rappelée (v. réc., Crim. 15 mai 2024, n° 23-82.822, Dalloz actualité, 24 mai 2024, obs. M. Dominati ; D. 2024. 918 ). En effet, lorsque la durée totale de l’emprisonnement ferme prononcé est inférieure ou égale à un an, les juges du fond doivent utiliser ces critères pour justifier, d’une part, la nécessité de prononcer une peine d’emprisonnement ferme et, d’autre part, le cas échéant, le refus d’un aménagement ab initio. Ce raisonnement en deux temps est fondamental, la Cour de cassation refusant de déduire de la nécessité de prononcer une peine d’emprisonnement ferme l’impossibilité de mettre en place un aménagement de peine (v. not., Crim. 29 nov. 2016, n° 15-86.712, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2465 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 96 ).

Au vrai, la Cour régulatrice ne fait qu’une application littérale de l’alinéa 3 de l’article 132-19, réécrit par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ayant substitué à la motivation spéciale des peines d’emprisonnement prononcées « sans sursis ou ne faisant pas l’objet d’une […] mesure d’aménagement […] » la motivation spéciale des peines prononcées « sans sursis et ne faisant pas l’objet d’une […] mesure d’aménagement […] ».

Dans ces circonstances, la cassation de l’arrêt n’ayant pas constaté à l’encontre de l’ancien candidat que toute autre sanction que l’emprisonnement ferme comme manifestement inadéquate était inévitable (§ 64).

La réparation du préjudice subi par l’Assemblée nationale

Condamnés solidairement à payer à l’Assemblée nationale la somme de 126 167,10 € en réparation du préjudice causé par les faits de détournement de fonds publics, le couple Fillon conteste le fait de devoir restituer l’intégralité des sommes versées à titre de rémunération par l’ancien candidat et perçues par son épouse.

Pour fonder sa décision, outre la nature publique des fonds détournés, la cour d’appel a considéré que « le préjudice, résultant de la volonté du député et de sa collaboratrice, a été subi par une émanation de l’État dont la personnalité juridique ne se confond pas avec celle de M. [Fillon] en tant qu’employeur et trouve son origine, non dans l’exercice abusif d’une fonction sociale, mais dans le détournement de fonds qui avaient vocation légale à être restitués en l’absence d’utilisation ».  

En raison du constat par les juges du fond de prestations réalisées par l’épouse, si faibles soient-elles – « seules quelques remises de courriers par Mme [N] à des collaboratrices de son mari en sus du traitement occasionnel d’informations en provenance de la circonscription ont été trouvées, soulignent que la disproportion manifeste entre les rémunérations versées et les activités réellement exercées a été caractérisée » (§ 71) –, de sorte que les salaires perçus n’étaient pas tous dénués de contrepartie, la chambre criminelle, à qui il n’appartient pas d’évaluer le préjudice subi et pour qui la nature des fonds est inopérante, ne pouvait que prononcer, au visa des articles 2, 3 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil, la cassation de l’arrêt, et ce en application du principe de réparation intégrale selon lequel le préjudice découlant d’une infraction doit être réparé en son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

Ainsi, à l’exception de la peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre de l’ancien candidat et de la somme à verser à l’Assemblée nationale sur les intérêts civils par le couple pour lesquelles la Cour d’appel de Paris autrement composée est appelée à statuer sur renvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par son arrêt du 24 avril 2024, signe l’épilogue de l’affaire Fillon.

 

Crim. 24 avr. 2024, FS-B, n° 22-83.466

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