Agissements sexistes : comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement

Les agissements sexistes sont de nature à caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, même en l’absence de sanction antérieure de l’employeur.

La loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail instaure une protection des salariés contre les actes de harcèlement sexuel.

De tels comportements, dès lors qu’ils sont avérés constituent une faute justifiant le licenciement de l’agresseur. Ce texte suivait la logique prétorienne (Soc. 27 févr. 1992, n° 91-41.057 ; Aix-en-Provence, 14 févr. 1991, n° 1989/3901). Cependant, il faut attendre la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, inspirée de la directive européenne 2006/54/CE du 5 juillet 2006, pour que les comportements répréhensibles soient appréciés en raison de leurs effets sur la victime et non plus de l’objectif poursuivi par l’auteur. Ainsi l’article L. 1153-1 dispose que le harcèlement sexuel est « constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », la répétition n’étant pas exigée dès lors que ces agissements ont pour but d’obtenir un acte de nature sexuelle.

S’agissant de la notion d’agissement sexiste, ce n’est qu’à compter de la promulgation de la loi n° 2015-94 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi que celle-ci a été introduite dans le code du travail aux termes de l’article L. 1142-2-1. Les agissements sexistes sont définis comme ceux liés « au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Outre le fait que ces agissements ne soient pas rattachés à la sexualité, mais au genre sexuel, le législateur n’a pas assorti ces agissements des mêmes conséquences répressives que pour le harcèlement sexuel.

À cet égard, il est opportun de rappeler que si dans une situation de harcèlement sexuel s’exerçant dans le cadre d’un abus de pouvoir, la faute grave est caractérisée (Soc. 3 mai 1990, n° 88-41.513 ; 12 mars 2002, n° 99-42.646 ; 24 sept. 2008, n° 06-46.517, Dalloz actualité, 1er oct. 2008, obs. L. Perrin ; D. 2009. 191, obs. Centre de recherche en droit social de l’Institut d’études du travail de Lyon (CERCRID, Université Jean Monnet de Saint-Etienne - Université Lumière Lyon 2/UMR CNRS 5137) ; Dr. soc. 2009. 57, note J. Savatier ; 13 mars 2024, n° 22-20.970, Dalloz actualité, 26 mars 2024, obs. Y. Pagnerre ; D. 2024. 546 ; Dr. soc. 2024. 485, obs. P. Adam ), la solution est plus nuancée lorsque cet abus de pouvoir n’est pas démontré ou qu’il existe un subtil jeu de séduction entre les protagonistes (Soc. 25 sept. 2019, n° 17-31.171, AJCT 2020. 52, obs. J.-R. Mauzy ). Ce raisonnement repose sur le constat qu’il existe des comportements de gravité variable dont les sanctions doivent être graduées selon leur niveau d’importance.

Dans la présente affaire, le salarié a été licencié pour faute grave pour avoir adopté à l’égard de plusieurs de ses collègues de sexe féminin des propos répétés à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants à leur égard. En l’espèce, une salariée relève les propos suivants : « un de mes collaborateurs qui avait été invité par [N] [S], me rapporte que celui-ci dit de moi que j’étais une partouzeuse, que j’avais une belle chatte et que j’aimais les femmes ». Il ressort également d’autres pièces produites au dossier que le salarié avait tenu des propos similaires dans le passé. L’employeur, après avoir prononcé une mise à pied à titre conservatoire et l’avoir convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, proposait devant le conseil conventionnel du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) une mise à pied d’un mois. Finalement le salarié est licencié pour faute grave le 11 septembre 2016.

De manière surprenante, la cour d’appel estime que le licenciement est disproportionné au motif que l’employeur n’avait jamais sanctionné le salarié dans le passé pour des faits similaires, alors qu’il en avait connaissance. Les juges relèvent également que l’employeur envisageait initialement une mise à pied disciplinaire d’un mois et que le licenciement avait été sollicité par un représentant syndical lors du conseil conventionnel du CEA.

Pour la première fois, la Cour de cassation est saisie afin de déterminer si les propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l’encontre des collègues de sexe féminin sont constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement alors que l’employeur en avait eu connaissance dans le passé, sans pour autant sanctionner le salarié. C’est par une décision distinguée, que les hauts magistrats y répondent à l’affirmative.

Refus du contrôle de la Cour de cassation sur l’appréciation de la cause réelle et sérieuse

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, sur la base des éléments produits. Il s’agit du rôle des juges du fond et comme le précise l’Avocate générale, la question ne revenait pas à remettre en cause ce pouvoir souverain des juges du fond ou de modifier le contrôle de la Cour de cassation.

En effet, depuis un revirement de jurisprudence en 1985, le contrôle de la cause réelle et sérieuse relève du pouvoir souverain des juges du fond (Soc. 10 déc. 1985, n° 82-43.820) et la chambre sociale de la Cour de cassation ne vérifie plus si les faits constituent ou non une cause réelle et sérieuse mais réduit son contrôle à l’existence d’une erreur manifeste de qualification qui est devenu un simple contrôle de motivation. Appliqué aux agissements sexistes, le contrôle de la Cour de cassation doit ainsi se limiter à la vérification par les juges du respect du régime probatoire et de la véracité des faits.

En l’espèce, et comme le précise l’avocate générale, la présente décision doit permettre de répondre à la finalité du texte et à la finesse de l’analyse qui doit être faite par les juges du fond à l’ère où « la variété des situations correspond au paradoxe de notre époque et des mœurs actuelles, où les jeunes femmes revendiquent tout à la fois une liberté sexuelle débridée – comme la génération soixante-huitarde – et un contrôle personnel strict et exigeant sur leur corps, comme l’a révélé l’éclatant mouvement #Metoo ». En d’autres termes, le caractère polymorphe et mouvant des agissements sexistes impose un contrôle approfondi des éléments de faits qui doit être exercé par les juges du fond au regard des pièces produites afin de ne pas systématiser la faute.

Un comportement fautif, l’indifférence de la tolérance antérieure de l’employeur

Par ailleurs, dans la présente décision, les juges ont estimé que même en l’absence de sanction antérieure de l’employeur, le licenciement est justifié.

Le salarié – auteur des propos litigieux – invoquait en effet que la tolérance dont avait fait preuve l’employeur le privait de la possibilité de le sanctionner pour des mêmes faits (v. par ex., Soc. 15 janv. 2014, n° 12-26.951). Ce qui, comme le souligne le professeur Patrice Adam, est en cohérence avec la notion de faute (qui doit rendre impossible la poursuite du contrat) et ne peut être retenu lorsque le comportement du salarié porte atteinte à la santé ou à la dignité du salarié ; l’entreprise est une communauté imposant le respect des règles de « vivre ensemble » et le fait de porter atteinte aux autres salariés notamment par « leurs mots commettent une faute constitutive d’une cause réelle et sérieuse, voire une faute grave » (Rép. trav., v° Harcèlement sexuel, par P. Adam).

Le rapport du conseiller, rappelle quant à lui utilement et dans le même sens que « la Cour de cassation se montre particulièrement stricte en ce qui concerne les atteintes à la dignité d’autres salariés et les agissements à connotation sexuelle en jugeant qu’ils constituent nécessairement une faute grave, et par extension une faute, au moins, simple que l’employeur doit sanctionner en procédant au licenciement afin de protéger la santé des salariées victimes qui ne peuvent continuer, pour leur santé mentale, à subir ces comportements ».

La réponse apportée par la Cour de cassation dans le cas présent, fait écho à la position antérieure des juges qui sans viser le texte relatif aux agissements sexistes, jugeait que des propos dégradants à caractère sexuel ou humiliants tenus par un salarié à l’encontre d’une de ses collègues, rendent impossible son maintien dans l’entreprise, même en l’absence d’antécédent disciplinaire (Soc. 8 nov. 2023, n° 22-19.049 ; 27 mai 2020, n° 18-21.877 ; 5 déc. 2018, n° 17-14.594).

Ainsi, par la présente décision, la Cour de cassation entérine sa position antérieure et, cette fois-ci en englobant l’ensemble des agissements sexistes puisqu’elle le fait au visa de l’article L. 1142-2-1 du code du travail ; ces agissements empêchant nécessairement la poursuite du contrat de travail, peu important l’existence ou non de sanctions disciplinaires pour des faits passés similaires.

Les agissements sexistes au prisme de l’obligation de sécurité

Enfin, cette décision rappelle combien les questions de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes sont intrinsèquement liées à l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur. L’obligation pour l’employeur de sanctionner le salarié de faits de harcèlement sexuel est « rattachée à son obligation de sécurité qui lui impose, aux termes tant des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 que de l’article L. 1153-5 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le renouvellement des faits » (avis Mme Grivel, avocate générale).

En d’autres termes, les juges doivent rechercher si la sanction prise permet de mettre un terme aux agissements sexistes et ainsi éviter la récidive.

Par cette décision, la Cour de cassation précise donc le rôle crucial des juges du fond dans l’analyse de la mesure prise par l’employeur face à des agissements sexistes qui portent atteinte à la dignité humaine.

En conclusion, la sanction disciplinaire, imposée par l’article L. 1153-5 en vue de mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel, s’applique à présent aux agissements sexistes dès lors que cette mesure est impérative pour faire cesser de tels faits. La Cour de cassation impose donc désormais aux juges du fond un véritable contrôle de proportionnalité qui devient indispensable au regard du principe fondamental de protection de la santé des travailleurs.

 

Soc. 12 juin 2024, FS-B, n° 23-14.292

© Lefebvre Dalloz