Ainsi naquit la contribution pour la justice économique
À compter du 1er janvier 2025, les parties prenant l’initiative d’un procès devant un tribunal des activités économiques sont susceptibles d’être redevables de la contribution pour la justice économique instaurée à titre expérimental par le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024.
Au 1er janvier 2025, douze tribunaux de commerce sont devenus des tribunaux des activités économiques (TAE) à titre expérimental en application de la loi n° 2023-1059 de programmation de la justice du 20 novembre 2023 (Arr. du 5 juill. 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques ; Arr. du 25 juill. 2024 fixant le nombre d’assesseurs exploitants agricoles par TAE ; Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques ; v. sur l’ensemble, K. Lemercier, Mise en place de l’expérimentation des tribunaux des activités économiques, Dalloz actualité, 12 sept. 2024).
L’idée est, on le rappelle, de disposer d’une juridiction d’exception à la compétence élargie en droit des entreprises en difficulté (v. not., J. Jourdan-Marques, Le tribunal des activités économiques : une chimère ?, D. 2024. 735
; G. Teboul, Chronique de droit des entreprises en difficulté : l’instauration d’un tribunal des activités économiques, Dalloz actualité, 19 sept. 2023 ; G. Teboul, Chronique de droit des entreprises en difficulté : les tribunaux des activités économiques à l’honneur, Dalloz actualité, 10 sept. 2024 ; C. Liaud et S. Roset, Les regards croisés des magistrats sur l’expérimentation du tribunal des activités économiques, Loyers et copr. 2024. 17 ; M.-B. Salgado et B. Denée, Le tribunal des activités économiques : attention, travaux en cours !, JCP E 2024. 1286).
L’avenir dira la fortune de cette expérimentation (v., outre les auteurs préc., F. Kendérian, Le transfert au tribunal des activités économiques du contentieux du bail commercial en lien avec les procédures collectives : une fausse bonne idée, D. 2024. 130
; V. Martineau-Bourgninaud, Le TAE ou l’extension de compétence d’attribution des tribunaux de commerce : la grande illusion !, Dr. sociétés 2025. Étude 1), même si l’expérience montre que les expérimentations législatives de ce type sont souvent entérinées : l’expérimentation a plutôt une vocation d’acclimatation destinée à faciliter l’insertion de l’institution expérimentée dans l’échiquier juridictionnel français ; elle n’a, peut-on croire, d’expérimentation que le nom du point de vue des autorités, déjà convaincues de leur pertinence de principe.
Quoi qu’il en soit, le fait est là : fût-ce à titre officiellement expérimental, le tribunal des activités économiques naquit à la première heure du premier jour de l’année 2025 et, à moins d’une abrogation anticipée, il vivra jusqu’à la dernière heure du premier jour de l’année 2029.
Il sera cependant question ici d’une autre expérimentation, étroitement liée, qui figurait aussi dans la loi de programmation de la justice de 2023 : celle d’une « contribution pour la justice économique » (CJE ; sur laquelle, v. déjà, les observations minutieuses et judicieuses sous l’angle de l’attractivité de la justice commerciale étatique, J. Jourdan-Marques, Attractivité et justice commerciale, à paraître).
Revenons rapidement sur la teneur de la loi à l’égard de la CJE, avant de nous pencher plus longuement sur le décret du 30 décembre 2024 pris en son application.
La loi de programmation de la justice du 20 novembre 2023
L’article 27 de la loi de programmation, validée sous cet aspect par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 16 nov. 2023, n° 2023-855 DC, spéc. §§ 101 s., Dalloz actualité, 28 nov. 2023, obs. F. Kieffer ; AJDA 2024. 397
, note M. Verpeaux
; ibid. 2023. 2144
; D. 2024. 1250, obs. E. Debaets et N. Jacquinot
; ibid. 1301, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier
; RTD com. 2023. 833, obs. E. Claudel
), constitue l’acte de naissance de la CJE. Non seulement le principe y est-il arrêté mais également les premières et principales modalités.
Tout d’abord, le principe de gratuité de la justice, figurant au frontispice du code de l’organisation judiciaire (COJ, art. L. 111-2, al. 2 ; sur ce principe, v. J. Jourdan-Marques, Attractivité et justice commerciale, préc.), est battu en brèche au profit – le terme est adapté – d’une « contribution pour la justice économique », c’est-à-dire une taxe suivant le régime des dépens – nous y reviendrons. Cette taxe n’est cependant due que par la « partie demanderesse » et, d’emblée, le terme a pu déranger : le demandeur initial est certainement assujetti mais qu’en est-il du demandeur incident ? On peut douter qu’il y soit assujetti, le texte évoquant une « instance introduite » devant un tribunal des activités économiques. Mais l’hésitation est permise.
Du reste, toujours selon la loi de programmation, certains justiciables sont exemptés : tout d’abord, le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective, pour des raisons aisément concevables ; ensuite, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, essentiellement pour éviter un jeu à somme nulle ; enfin, les personnes physiques ou morales de droit privé employant moins de 250 salariés, pour ne pas affaiblir le tissu économique modeste et intermédiaire.
Quant au montant de la contribution, la loi fixe des maxima (5 % du montant des demandes cumulées au stade de l’introduction de l’instance, sans pouvoir dépasser 100 000 €). Quant à la barémisation proprement dite, il appartient à un décret en Conseil d’État de la préciser – la loi donnant néanmoins quelques directives en invitant à tenir compte de différents facteurs (montant des demandes initiales, nature du litige, capacité contributive du justiciable contribuable, etc.).
Il est par ailleurs prévu par la loi que la contribution est remboursée dans deux hypothèses, qui posent d’ores et déjà question : d’une part, le recours à un mode amiable de règlement des différends emportant extinction de l’instance ou de l’action ; d’autre part, le désistement. Il y a assurément là un nouvel incitatif à l’amiable peu surprenant en soi (J. Jourdan-Marques, Attractivité et justice commerciale, préc.), même si on soulignera qu’il s’accompagne d’un second incitatif autrement plus inhabituel au désistement. Il est rare que la loi incite à ce point à abdiquer ce qui peut apparaître comme un droit fondamental, celui d’accéder à un juge pour qu’il se prononce sur le bien-fondé d’une prétention. Il est permis de s’en inquiéter.
Quoi qu’il en soit, la loi de programmation appelait donc un décret en Conseil d’État pour préciser les modalités de la contribution pour la justice économique. Ce décret est paru au Journal officiel le 31 décembre 2024.
Le décret relatif à la contribution pour la justice économique du 30 décembre 2024
Le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique est structuré en plusieurs chapitres d’inégale importance. Le premier précise le champ d’application et le barème de la CJE. C’est un chapitre d’importance critique. Le deuxième chapitre intéresse les modalités de versement de la CJE auprès des greffes des TAE assurés par les greffiers de tribunaux de commerce. Pour être d’un intérêt théorique moindre, il reste d’une importance pratique indéniable – et on renvoie donc les praticiens à la lecture de ce chapitre qui ne sera pas particulièrement décortiqué dans les lignes qui suivent. On soulignera uniquement qu’il s’y trouve une précision d’importance, à savoir que le produit de la CJE et les intérêts sont reversés chaque trimestre au budget général de l’État (art. 5, IV). La CJE n’abondera donc apparemment pas directement le budget de la justice comme on pouvait l’espérer ; c’est regrettable en soi mais conforme en droit à la probition de principe du fléchage des recettes.
Le troisième chapitre porte quant à lui sur la sanction, une « irrecevabilité de la demande du fait du défaut de versement de la contribution pour la justice économique » selon son titre. C’est également un chapitre d’une importance cruciale. Les chapitres IV et V portent respectivement sur la liquidation de la CJE et les modalités de pilotage et d’évaluation de l’expérimentation. Quant au dernier chapitre, il arbore les classiques dispositions finales, en particulier les dispositions transitoires (art. 12).
Concrètement, l’expérimentation des TAE démarre le 1er janvier 2025 selon l’arrêté du 5 juillet 2024 ; dès lors, l’expérimentation de la CJE démarre à la même date, seules étant concernées les instances postérieurement introduites.
Le décret apporte de premières précisions s’agissant tout d’abord des personnes assujetties à la CJE.
Demandeurs concernés : critères personnels
Il résulte tout d’abord de l’article 1er du décret du 30 décembre 2024 que seul l’auteur de la demande initiale, qui engage l’instance (C. pr. civ., art. 53), est potentiellement assujetti à la CJE : les demandes incidentes – addition, reconvention, intervention – « ne sont pas soumises à la contribution pour la justice économique ».
Cette première précision est de grande importance et ne manque pas d’interroger en première analyse. Il fait peu de doutes qu’elle donnera naissance à différentes stratégies de contournement, l’objectif d’un plaideur étant idéalement d’éviter d’acquitter la CJE. Plusieurs hypothèses problématiques devraient advenir rapidement.
Lorsque, par exemple, une instance est introduite à une hauteur modeste, en dessous des seuils prévus par le décret (v. infra), mais que le demandeur initial ajoute quelques temps après de nouvelles demandes – additionnelles donc – ou module à la hausse les demandes initiales, la CJE est-elle due ? Le doute est permis et l’hésitation est entre la lettre du texte et son esprit. Il est habituel de voir des parties « gonfler » leurs prétentions pour passer la barre du dernier ressort et se ménager un droit d’appel. Désormais, on peut aussi s’attendre à les voir « rentrer le ventre » pour éviter la CJE à l’entrée de l’instance.
Voilà qui ne manquera pas de raviver les débats quant à la liberté des parties de fixer la hauteur de leurs prétentions (sur quoi, v. L. Lauvergnat, Neutraliser les demandes exagérées [ou comment chasser la fraude de l’action en justice], D. 2024. 830
; M. Barba, Le principe dispositif au bûcher ?, D. 2024. 924
). En tout cas, les praticiens tentés par de telles stratégies devront être vigilants, car une première demande initiale formulée de façon volontairement modeste afin d’éviter la CJE pourrait donner lieu à un acquiescement pressé de l’autre partie, qui gagnera alors la différence avec la « valeur réelle » de la prétention (ou, plus exactement, la valeur que lui aurait donnée la partie demanderesse si la CJE n’avait pas existé). La prudence s’impose donc, pour éviter de tomber de Charybde en Scylla.
Le décret indique par ailleurs que la CJE n’est pas due lorsque la demande est formée par le ministère public, par l’État, une collectivité territoriale ou un organisme public de coopération mentionné à l’article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales ou encore par une personne physique ou morale de droit privé employant moins de 250 salariés (art. 2, I). Pour l’essentiel, cela ne pose pas difficulté. Deux précisions s’imposent néanmoins : tout d’abord, il n’existe sans doute aucune personne physique employant plus de 250 salariés, de sorte que le dispositif tournera à vide à cet égard ; ensuite, une personne morale de droit privé employant plus de 250 salariés est assujettie à la CJE, mais seulement potentiellement, car encore faut-il que d’autres critères matériels soient remplis, qui ont trait aux demandes.
Demandes concernées : critères matériels
On le disait, seule la demande initiale est concernée : les demandes incidentes ne sont pas soumises à la contribution pour la justice économique (art. 1, I). Cela étant dit, toutes les demandes initiales ne sont pas concernées par la CJE.
Tout d’abord, la CJE n’est due que lorsque la « valeur totale des prétentions qui y sont contenues est supérieure à un montant de 50 000 € », étant précisé que les sommes demandées au titre des frais de procédure non compris dans les dépens – les frais irrépétibles dit-on – ne sont pas prises en considération pour déterminer l’assujettissement à la CJE ou pour le calcul de cette dernière lorsqu’elle est due (art. 1, I).
De plus, lorsque la demande initiale est formée par plusieurs demandeurs, la CJE est due par chacun d’eux, et la valeur totale des prétentions est appréciée séparément pour chacun : c’est une logique de distribution qui prévaut (art. 1, I). Du reste, ne constitue pas une demande initiale au sens du décret sur la CJE « la demande tendant à l’exercice d’une voie de recours mentionnée au titre XVI du livre Ier du code de procédure civile » (art. 1, II, 1°), i.e. l’opposition, la tierce opposition et le recours en révision, puisque les TAE ne connaîtront jamais d’appel ou de pourvoi en cassation. Dès lors, l’opposant, le tiers opposant ou le recourant en révision n’est jamais assujetti à la CJE en cette qualité.
De même, ne constitue pas une demande initiale au sens du décret la « demande tendant à la modification, la rétraction ou la contestation d’une ordonnance rendue sur requête » (art. 1, II, 2°). C’est conforme à la théorie générale du procès civil puisqu’il est constant qu’une telle « demande » n’introduit pas l’instance : elle a vocation à rétablir le contradictoire, de sorte qu’elle n’intervertit aucunement les rôles. Le requérant reste le demandeur initial et l’opposant qui sollicite la modification ou la rétractation reste le défendeur originaire. Il est donc normal que ce dernier, certes demandeur à la modification/rétractation mais en réalité défendeur à la mesure requise, ne soit pas assujetti à la CJE.
Par ailleurs, ne constitue pas davantage une demande initiale au sens du décret « la demande tendant à l’interprétation, la rectification ou le complément d’une précédente décision, en application des articles 461 à 463 du code de procédure civile » (art. 1, II, 3°). Cela semble bien normal dans la mesure où de telles requêtes sont généralement introduites pour obtenir du juge une correction de sa décision ou de son omission.
Enfin, ne constitue pas non plus une demande initiale au sens du décret l’acte de saisine du TAE en tant que juridiction de renvoi après cassation (art. 1, II, 4°). Là encore, c’est régulier sous l’angle de la théorie générale car l’acte de saisine d’une juridiction de renvoi après cassation a vocation à reprendre et poursuivre la procédure atteinte par la cassation : il ne constitue pas une demande initiale.
Dans toutes ces hypothèses, la CJE n’est pas due.
Le décret prévoit encore d’autres exclusions, qui reprennent pour partie celles qui sont actées par la loi de programmation : demande ayant pour objet l’ouverture d’une procédure amiable ou collective (art. 2, II, 1°) ; homologation d’un accord issu d’un mode amiable de règlement des différends ou d’une transaction (art. 2, II, 2°) ; demande ayant donné lieu à une précédente instance éteinte à titre principal par l’effet de la péremption ou de la caducité de la citation (art. 2, II, 3°) ; demande portant sur la contestation, devant le président de la juridiction ou son délégataire, de la vérification par le secrétariat de la juridiction des dépens dus au titre d’une instance (art. 2, II, 4°). Pour l’essentiel, cela ne devrait pas poser de difficultés (même si le 3° n’est pas d’une grande clarté).
Précisons enfin que lorsqu’un TAE est saisi à la suite d’une décision d’incompétence rendue par une autre juridiction (un tribunal de commerce ou autre), la CJE est due (art. 1, III). Cela devrait décourager les parties qui, souhaitant éviter la CJE, tenteraient de contourner le TAE ordinairement compétent. Cela étant, on peut s’attendre à ce que, de concert, les parties évitent autant qu’elles le peuvent les TAE pour éviter la CJE – ce qu’elles devraient pouvoir faire par principe soit au moyen d’une clause attributive (C. pr. civ., art. 48), soit en ne contestant pas la compétence, sans évoquer la possibilité de s’en remettre à l’arbitrage.
Bien sûr, en cas de décision d’incompétence d’un TAE au profit d’un autre, la CJE n’est due qu’une seule fois (art. 1, III). Une hypothèse demeure cependant en suspens, non explicitement traitée par le décret nous semble-t-il : qu’advient-il lorsque le TAE s’avère incompétent ? La CJE acquittée est-elle remboursée ? Dans la négative – et on ne trouve rien dans la loi ou le décret obligeant au remboursement –, cela pourrait encourager la partie demanderesse à se désister (car la loi prévoit le remboursement de la CJE en ce cas) pour aller saisir la juridiction compétente. Attention néanmoins à la prescription car, en cas de désistement, l’interruption associée à la demande en justice est non avenue (C. civ., art. 2243). Sans doute conviendrait-il, à tout le moins, de préciser que le désistement est alors réalisé en vue de saisir la juridiction compétente, ce qui pourrait peut-être permettre de conserver le bénéfice de l’effet interruptif (sur cette idée en cause d’appel, Soc. 9 juill. 2008, n° 07-60.468, Dalloz actualité, 30 juill. 2008, obs. B. Ines ; D. 2008. 2153
; RTD civ. 2008. 721, obs. R. Perrot
; Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-20.766, Dalloz actualité, 6 nov. 2020, obs. C. Lhermitte).
En somme, pour être assujetti à la CJE, il convient de remplir différents critères personnels propres au demandeur et des critères plus matériels propres à la demande – critères qui se recoupent par endroits. Il ne faut néanmoins pas s’y tromper : celui qui acquitte initialement la CJE n’est pas nécessairement celui qui en assume finalement la charge.
Le contributeur final
Le décret n’en souffle mot mais la précision figure dans la loi et elle mérite d’être redite ici : « Les dispositions du code de procédure civile relatives aux dépens sont applicables à la contribution prévue au présent article ». Très concrètement, ce sont les articles 695 et suivants du code de procédure civile qui devraient trouver à s’appliquer. Le premier définit les dépens au moyen d’une liste connue (et tout laisse à penser que la CJE intègre le 1°). Puis vient l’article 696 qui répartit la charge des dépens : « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ». Ainsi, on rappellera que, par principe, la partie qui assumera définitivement la charge de la CJE n’est pas le demandeur initial : ce sera le succombant final (v. déjà, J. Jourdan-Marques, Attractivité et justice commerciale, préc.). Ce n’est que par exception que le juge pourra par décision motivée laisser la CJE à la charge du demandeur initial.
Les praticiens devront constamment conserver ce point à l’esprit et en informer le justiciable en défense. Il faudra aussi que les pouvoirs publics se penchent, au terme de l’expérimentation, sur la répartition globale de la CJE : a-t-elle véritablement pesé sur les assujettis initiaux ? Ou a-t-elle finalement pesé sur leurs adversaires, qui n’ont généralement pas leur taille critique et relèvent plutôt du tissu économique modeste ou intermédiaire ? Ce sera un point crucial à traiter avant toute généralisation du dispositif. En tout cas, cela devrait encourager à la conclusion d’accords amiables, qui est un cas de remboursement de la CJE.
Cas de remboursement de la CJE
La CJE est en effet remboursée dans deux séries d’hypothèse : décision constatant l’extinction de l’instance par suite d’un désistement (art. 6, 1°) ; transaction conclue à la suite du recours à un mode amiable de résolution des différends, lorsqu’elle met fin au litige (art. 6, 2°).
Le premier cas n’appelle pas de nouvelles observations (v. supra) ; c’est une reprise quasiment servile de l’article 27 de la loi de programmation. Le second cas appelle davantage d’observations car la fidélité du décret à la loi n’est pas évidente.
Pour mémoire, l’article 27 de la loi de programmation dispose : « En cas de recours à un mode amiable de règlement du différend emportant extinction de l’instance et de l’action ou en cas de désistement, la contribution est remboursée. ». Ce qui a été traduit dans le décret par : « La contribution est remboursée en cas de (…) transaction conclue à la suite du recours à un mode amiable de résolution des différends, lorsqu’elle met fin au litige » (art. 6, 2°).
Les spécialistes de l’amiable analyseront la différence mieux que nous (si différence il y a bien), mais il nous semble que le décret est réducteur par rapport à la loi, non pas en ce qu’il évoque le « recours à un mode amiable de règlement du différend », mais en ce qu’il paraît exiger une transaction en bonne forme.
Du reste, il conviendra de savoir ce que recouvre très exactement l’expression de « mode amiable de règlement des différends » au sens du décret : des pourparlers informels et bilatéraux suffiront-ils ? Ou faudra-t-il nécessairement un mode structuré de règlement des différends avec intervention d’un tiers ? Une interprétation téléologique raisonnable conduit à penser que l’important est moins le processus que son aboutissement, de sorte que la CJE devrait être remboursée au cas d’une transaction conclue au terme de n’importe quel mode amiable de règlement des différends, même s’il s’agit de simples négociations bilatérales en vue de protocoler, sans intervention d’un tiers. Les professionnels de la médiation auront peut-être une autre analyse ; c’est de bonne guerre.
Montant de la CJE
Venons-en au point critique du montant de la CJE, réglé par l’article 3 du décret. Ce montant est fonction de la « capacité contributive de la partie demanderesse, de sa qualité de personne physique ou morale et du montant de la valeur totale des prétentions formées par elle dans l’acte introductif d’instance ».
Très concrètement, en s’en tenant au cas des personnes morales, le montant de la contribution sera de 3 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance dans la limite d’un maximum de 50 000 € lorsque le montant du chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années est supérieur à 50 millions d’euros et inférieur ou égal à 1 500 millions d’euros et que le montant du bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années excède 3 millions d’euros.
En revanche, il est de 5 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance dans la limite d’un maximum de 100 000 € lorsque le montant du chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années est supérieur à 1 500 millions d’euros et que le montant du bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années excède 0 €.
Cette barémisation appelle deux observations au moins.
Tout d’abord, qu’advient-il des personnes morales assujetties dont le montant du chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années est inférieur à 50 millions d’euros ? Le barème ne les couvre pas. On peine à comprendre cette « lacune négative » du barème du décret. Est-ce à dire qu’elles ne sont pas assujetties ? On peine à le penser car, d’une part, la loi assujettit clairement de telles personnes morales pour peu que les autres critères soient remplis (en particulier, le seuil de 250 salariés) et, d’autre part, l’article 3 du décret se contente de prévoir le montant de la CJE et non les conditions d’assujettissement à la CJE, réglées en amont.
Ensuite, on rappellera que parmi les prétentions à prendre en compte pour l’assujettissement à la CJE, les demandes au titre de l’article 700 ne sont pas prises en considération (art. 1er).
Sanction au défaut de versement de la CJE
Vient enfin la question de la sanction, étant précisé que le greffe avise le demandeur par tous moyens, avant la première audience, du montant dont il doit s’acquitter et de l’irrecevabilité encourue à défaut (art. 4, al. 3). Après la loi, l’article 7 du décret indique que le défaut de versement de la CJE est passible d’une irrecevabilité qui « peut être prononcée, même d’office » (art. 7, I). Qu’on ne s’y trompe pas : l’irrecevabilité est relevable d’office mais si la partie adverse excipe de la fin de non-recevoir tirée du défaut de versement de la CJE, le juge doit prononcer l’irrecevabilité. Il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir facultative dont le prononcé serait laissé à la discrétion du juge.
Quel est le juge compétent ? L’irrecevabilité peut être prononcée par la formation de jugement mais aussi par le juge chargé d’instruire l’affaire, ce qui est original au sein de la juridiction consulaire : la compétence est concurrente et partagée (art. 7, I). L’un ou l’autre statue à l’audience ou sans débat, après avoir sollicité les observations du demandeur (art. 7, I).
La décision d’irrecevabilité mentionne par ailleurs le montant de la CJE due et la notification de cette décision au demandeur précise qu’il peut en demander la rétractation selon les modalités prévues à l’article 7, II – celui-ci devant être reproduit (art. 7, I). Et effectivement, le juge, saisi par le demandeur dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision d’irrecevabilité – et non à compter de la décision elle-même – doit rétracter la décision d’irrecevabilité sur justification du versement de la CJE due d’après la décision querellée (art. 7, II). C’est là une mécanique originale, qui laisse globalement à penser que le juge ayant statué n’est pas dessaisi, en entorse apparente à la règle de principe appliquée aux jugements définitifs (C. pr. civ., art. 481).
Quoi qu’il en soit, il est statué sans débat sur la demande de rétractation, étant précisé que le refus est susceptible d’appel, là aussi dans les quinze jours suivant sa notification au demandeur (art. 7, II). Précisons pour finir que les autres parties à l’instance, en particulier le défendeur, sont avisées par le greffe des décisions initiale (sur la recevabilité de la demande initiale) et corollaire (sur la demande de rétractation ; art. 7, III). Lorsque le juge rétracte la décision d’irrecevabilité, le greffe procède à la convocation des parties à la première audience utile afin que la procédure reprenne son cours (art. 7, IV).
En conclusion, le décret du 30 décembre 2024 n’est pas de mauvaise facture pour peu qu’on adhère à l’idée initiale portée par la loi de programmation de 2023, qui est de rendre la justice commerciale payante pour une partie des justiciables. Il n’en suscitera pas moins des difficultés d’interprétation et d’application, dont la résolution devra souvent passer par une considération globale de la loi et du décret – le second devant être interprété conformément à la première et non l’inverse. Nous disions en introduction que l’avenir dira la fortune du tribunal des activités économiques. Il dira aussi et surtout la fortune de la contribution pour la justice économique. Fortune : le terme est adapté. À moins qu’il ne s’agisse in fine d’infortune.
Décr. n° 2024-1225, 30 déc. 2024, JO 31 déc.
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