Annulation de vol : précisions sur l’accord du passager sur les modalités du remboursement du billet
En cas d’annulation d’un vol par le transporteur aérien, le passager n’est pas réputé avoir donné son accord signé pour le remboursement du billet sous la forme de bons de voyage lorsqu’il a créé, sur le site internet de ce transporteur, un compte de fidélité sur lequel ces bons devaient être transférés.
En cas d’annulation d’un vol relevant du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, le passager concerné a, on le sait, sauf exception (information de l’annulation au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, en particulier), droit à une indemnisation forfaitaire dont le montant dépend de la distance du vol et de son caractère intra ou extra-communautaire (Règl., art. 7). Il a surtout droit au remboursement de son billet. Les modalités de ce remboursement sont parfois source de litige entre les compagnies, souvent réticentes à l’idée de devoir sortir du cash afin de ne pas mettre à mal leur trésorerie, et leurs passagers. Elles s’efforcent donc d’élaborer des stratagèmes pour leur éviter de rembourser le passager du vol annulé. En présence d’un contentieux de ce type, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de prendre nettement parti en faveur du passager, posant, en substance, dans un important arrêt Cobult, le principe d’un droit inconditionnel en sa faveur au remboursement plutôt qu’à tout autre modalité alternative, dès lors, bien évidemment qu’il est éligible à celui-ci (CJUE 21 mars 2024, Cobult, aff. C-76/23, Dalloz actualité, 25 avr. 2024, obs. X. Delpech ; D. 2024. 597
; Gaz. Pal. 28 mai 2024, p. 21, note P. Dupont et G. Poissonnier). L’arrêt commenté se situe dans la même veine.
Le contexte
Le litige dont il est ici question met aux prises, non pas le passager lui-même, mais Flightright, société allemande spécialisée dans la récupération d’indemnités de dédommagement aériennes à qui le passager dont le vol a été annulé a cédé ses droits (sur l’admission explicite de la cessibilité de ces droits, v. CJUE 29 févr. 2024, Eventmedia Soluciones SL c/ Air Europa Líneas Aéreas SAU, aff. C-11/23, Dalloz actualité, 7 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1215
, note P. Dupont et G. Poissonnier
; ibid. 1924, obs. H. Kenfack
), et la compagnie aérienne émiratie Etihad Airways. Le passager disposait d’une réservation confirmée pour un vol que devait assurer Etihad Airways, le 7 septembre 2020, au départ de Düsseldorf (Allemagne) et à destination de Brisbane (Australie), avec une correspondance à Abou Dhabi (Émirats arabes unis). La réservation portait sur un billet retour dit « ouvert », c’est-à-dire que la date du vol retour n’était pas fixée. Le prix total payé pour ce vol aller et retour s’élevait à 1 189 € par passager. Le passager avait versé cette somme à un organisateur de voyage. Le vol reliant Düsseldorf à Abou Dhabi a toutefois été annulé. L’organisateur de voyage ayant fait faillite au mois de juillet 2020 sans avoir remboursé le billet, le père du passager s’est adressé, au nom de ce dernier, à Etihad Airways. Cette compagnie aérienne a proposé de procéder à une modification formelle de la réservation, ce que le père du passager a accepté. Lors d’un nouvel entretien téléphonique avec un agent du service d’assistance d’Etihad Airways, le père du passager a obtenu la confirmation que le passager serait crédité, premièrement, de « miles » à faire valoir sur un vol assuré par Etihad Airways, d’une valeur correspondant à celle du paiement effectué pour l’achat du billet et dont la durée de validité serait de deux ans, deuxièmement, de « miles » supplémentaires d’une valeur de 400 dollars américains (environ 380 €) et, troisièmement, de 5 000 « miles Etihad Guest » supplémentaires. À cette fin, le passager devait créer un compte de fidélité sur le site internet d’Etihad Airways, ce qui a été fait. Malheureusement pour lui, si le passager qui aurait dû l’accompagner a bel et bien été crédité des « miles » promis, il n’a pas pour sa part été crédité. Ce passager a, entre-temps, cédé ses droits à Flightright, qui a alors réclamé à Etihad Airways le remboursement intégral du billet, dans un délai de sept jours, pour l’ensemble des parties du voyage non effectuées. Ce que la compagnie aérienne a refusé. Flightright a alors saisi une juridiction allemande, qui a rejeté sa demande.
Il convient, à ce stade, d’évoquer les textes applicables à la demande de remboursement du vol annulé, ce qui n’est pas si simple. Le remboursement du billet au prix auquel il a été acheté, dans un délai de sept jours, pour la partie du vol non effectuée (ou la partie du vol déjà effectuée mais devenue inutile), c’est une option offerte au passager dont le vol a été annulé (l’autre option étant le réacheminement vers la destination finale, par hypothèse à une date ultérieure) par l’article 8, § 1er, sous a), du règlement (CE) 261/2004. Cet article précise que le remboursement du billet intervient selon les modalités prévues par l’article 7, § 3, du même règlement, texte qui vise l’indemnisation forfaitaire. C’est dire que le remboursement du billet et le paiement de l’indemnité obéissent aux mêmes modalités (à ceci près, qu’il n’est prévu, contrairement au remboursement du billet, aucune condition de délai pour le paiement de l’indemnité). Selon l’article 7, § 3, l’indemnisation « est payée en espèces, par virement bancaire électronique, par virement bancaire ou par chèque, ou, avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services ». Ces différentes modalités de paiement concernent donc également le remboursement du billet. C’est la dernière modalité, à savoir le paiement, « avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage » qui pose certaines difficultés d’interprétation.
Flighrighit a fait appel du jugement qui l’a déboutée devant le Tribunal régional de Düsseldorf, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes :
1) L’article 8, paragraphe 1, sous a), [du règl. (CE) n° 261/2004], lu en combinaison avec l’article 7, § 3, [de ce règlement], doit-il être interprété en ce sens qu’il y a un accord signé efficace du passager pour le remboursement du billet sous la forme de bons de voyage et de crédits, lorsque ledit passager a lui-même créé, sur le site internet de la compagnie aérienne, un compte client électronique sur lequel ces bons de voyage et crédits doivent être transférés, sans avoir toutefois confirmé son accord pour ce type de remboursement par une signature manuscrite ?
2) Si la première question préjudicielle reçoit une réponse affirmative : le passager peut-il révoquer l’accord qu’il avait initialement délivré de manière efficace pour le remboursement du billet sous forme de bons de voyage et de crédits, et de nouveau demander que celui-ci soit effectué par voie de paiement en numéraire, lorsque, par la suite, la compagnie aérienne ne crédite pas le compte client des bons de voyage et des crédits promis ? »
Confirmation de l’interprétation de la notion d’« accord signé » pour le remboursement du billet sous la forme de bons de voyage
Il est donc question de savoir si, en cas d’annulation d’un vol par le transporteur aérien effectif, le passager est réputé avoir donné son « accord signé » pour le remboursement du billet sous la forme de bons de voyage lorsqu’il a créé, sur le site internet de ce transporteur aérien, un compte de fidélité sur lequel ces bons devaient être transférés, sans avoir confirmé son accord pour cette forme de remboursement par une signature manuscrite.
La Cour de justice rappelle, à cet égard, la solution qu’elle avait déjà dégagée dans son arrêt Cobult (pt 20) : le remboursement du billet s’effectue, principalement, sous la forme d’une somme d’argent. En revanche, le remboursement sous la forme de bons de voyage se présente comme une modalité subsidiaire de remboursement, dès lors qu’il est subordonné à la condition supplémentaire d’un « accord signé du passager ».
Elle réitère l’interprétation selon laquelle l’exigence d’un accord signé ne doit pas s’interpréter de manière excessivement formaliste. Ce qui est important, avait-elle déjà affirmé dans l’arrêt Cobult, est que le passager « ait été en mesure d’effectuer un choix efficace et informé et, partant, de consentir de manière libre et éclairée au remboursement de son billet sous la forme d’un bon de voyage plutôt que sous la forme d’une somme d’argent » (pt 29). L’exigence d’une signature manuscrite pour formaliser cet accord signé n’était donc pas requise par l’arrêt Cobult, dès lors que le consentement du passager est parfaitement éclairé. Dans l’arrêt Cobult, le remboursement du billet du vol annulé prenait la forme d’un bon de voyage dont l’attribution au passager supposait qu’il ait rempli un formulaire en ligne sur le site internet du transporteur aérien, par lequel il a opté pour un tel mode de remboursement à l’exclusion d’un remboursement sous la forme d’une somme d’argent. La Cour de justice n’a pas condamné ce mode opératoire, dès lors que le consentement du passager est libre et éclairé.
La solution posée par l’arrêt Cobult est ici réitérée : « la notion d’"accord signé du passager", au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement [CE] n° 261/2004, ne saurait être interprétée de manière restrictive comme posant une condition formelle telle que la signature manuscrite du passager, pour qu’un passager puisse valablement exprimer son acceptation explicite, définitive et univoque au remboursement de son billet sous la forme d’un bon de voyage » (pt 25). Pour résumer, la Cour de justice réécrit l’article 7, § 3, du règlement, substituant à la formule « accord signé du passager » celle d’« acceptation explicite, définitive et univoque ».
La souscription d’un compte de fidélité par le passager ne révèle pas un accord signé
Cette première difficulté étant levée – sans surprise dans les mêmes termes que dans l’arrêt Cobult – en surgit une seconde : « la création par le passager d’un compte de fidélité sur le site internet d’Etihad Airways en vue de voir ce compte crédité des "miles" que celle-ci s’était engagée à lui octroyer, suffit[-t-il] pour caractériser une telle acceptation explicite, définitive et univoque de ce passager pour un remboursement de son billet sous cette forme » (pt 26) ?
Non, répond catégoriquement la Cour de justice : la création d’un tel compte de fidélité sur le site internet du transporteur aérien « ne saurait être considérée comme étant suffisante pour considérer qu’un passager a émis une acceptation explicite, définitive et univoque » du remboursement du billet sous forme de bons de voyage. Cette création, ajoute-t-elle, « peut être simplement indicative de la volonté d’un consommateur de participer, de manière générale, au programme de fidélité d’un transporteur aérien » (pt 27). En d’autres termes, elle n’implique aucun consentement à un mode alternatif au remboursement du billet sous forme monétaire. La solution se comprend : l’inscription à un programme de fidélité des passagers ne postule aucunement la volonté d’y prendre part.
Et la Cour de justice d’en conclure que « le passager n’est pas réputé avoir donné son "accord signé" pour le remboursement du billet sous la forme de bons de voyage lorsqu’il a créé, sur le site internet de ce transporteur, un compte de fidélité sur lequel ces bons devaient être transférés, sans avoir confirmé, par son acceptation explicite, définitive et univoque, son accord pour ce mode de remboursement » (pt 28).
Dès lors, la seconde question préjudicielle, qui postulait, pour mériter d’être posée, une réponse positive à la première question, est sans objet.
CJUE 16 janv. 2025, Flightright GmbH c/ Etihad Airways P.J.S.C, aff. C‑642/23
© Lefebvre Dalloz