Antériorité de l’entretien à l’égard de la signature d’une rupture conventionnelle : quid de la quasi-concomitance ?

L’article L. 1237-12 du code du travail n’instaure aucun délai entre, d’une part l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et d’autre part la signature de la convention de rupture prévue à l’article L. 1237-11 du code du travail.

Avant que la rupture conventionnelle ne soit – qui sait ? – définitivement supprimée de l’arsenal juridique en matière de relations individuelles de travail (E. Borne, alors Première ministre, proposait fin 2023 de mener une « réflexion » sur ce mode de rupture du contrat de travail), les employeurs demeureront toujours contraints de respecter la procédure instituée par le code du travail. Non loin d’être toujours extrêmement exigeante, elle n’impose aucun délai entre l’entretien préalable et la signature de la convention de rupture, ce que la Cour de cassation vient de rappeler dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 13 mars 2024.

En l’espèce, une salariée, engagée par contrat à durée indéterminée, décide de demander une rupture conventionnelle qui sera signée le 22 février 2016, soit le même jour que l’entretien qui s’est tenu entre elle et son employeur, puis homologuée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

Elle assigne son ex-employeur en justice en nullité de la rupture conventionnelle, estimant ne pas être remplie de ses droits. Les juges du fond la déboutent au motif que la procédure de rupture conventionnelle, prévue aux articles L. 1237-11 et suivants du code du travail, a été régulièrement suivie : si l’entretien entre les parties s’est déroulé le même jour que celui de la signature de la convention, un mail envoyé à 10h35 prouve qu’il a précédé la signature, la directrice générale sollicitant, au moyen de ce mail, un tiers en vue de la mise en place de la rupture conventionnelle.

Devant la Cour de cassation, la salariée soutient que la signature ne peut intervenir le même jour que celui de l’entretien, nonobstant l’absence d’exigence de délai entre ces deux évènements.

La chambre sociale répond aisément que l’article L. 1237-12 du code du travail n’impose aucun délai entre l’entretien et la signature d’une rupture conventionnelle. Dès lors que la cour d’appel a constaté l’antériorité du premier par rapport à la seconde, elle a légalement justifié sa décision.

Cette solution ne surprend évidemment pas, étant posée par la jurisprudence depuis au moins dix ans (v. Soc. 3 juill. 2013, n° 12-19.268 B, D. 2013. 1752  ; RDT 2013. 555, obs. G. Auzero ). On pourrait alors s’étonner, prima facie, que ce second moyen n’ait pas fait l’objet d’un rejet non spécialement motivé, comme ce fut le cas du premier moyen. En réalité, derrière le pourvoi, une question intéressante se pose : l’entretien et la signature peuvent-ils être concomitants ? En soutenant que ces deux évènements ne peuvent intervenir le même jour, l’auteur du pourvoi réfute en quelque sorte que l’entretien et la signature puissent avoir lieu en même temps.

Difficultés probatoires exclues, on ne peut répondre à cette question à l’aide du code du travail : l’article L. 1237-11 énonce, en matière de rupture conventionnelle, qu’une convention doit être signée et l’article suivant prévoit les modalités de l’entretien préalable. En dépit du silence des textes, l’arrêt de rejet de 2024 est limpide : l’entretien doit être antérieur à la signature et les juges du fond doivent le constater.

On comprend alors l’embarras dans lequel était la salariée : dès lors que l’employeur a pu prouver, en cause d’appel, l’antériorité de l’entretien par rapport à la signature de la convention de rupture, elle ne pouvait faire valoir devant la Cour de cassation une concomitance qui n’existe pas. Il ne lui restait qu’à prétendre que les deux évènements, entretien et signature, ne peuvent se produire le même jour, moyen qui est évidemment inopérant tant que l’entretien précède la signature. Qui aurait cru qu’un simple mail viendrait, sur ce point, au secours de l’employeur.

En définitive, le fait que la loi n’instaure pas de délai ne signifie en rien qu’il ne doit pas y en avoir. Son quantum est seulement libre : tout délai, fût-il excessivement court, est admis. En revanche, l’absence de délai entre l’entretien et la signature, c’est-à-dire la concomitance de ces deux évènements, pourrait, à notre sens, justifier une cassation.

 

Soc. 13 mars 2024, F-B, n° 22-10.551

© Lefebvre Dalloz