Appel du jugement de sursis à statuer et délais de distance

Les dispositions de l’article 643 du code de procédure civile, auxquelles il n’est pas expressément dérogé par l’article 380 du même code, s’appliquent à l’appel du jugement de sursis à statuer. Dès lors, les augmentations de délai prévues par ces dispositions s’appliquent au délai dans lequel doit être délivrée l’assignation à fin d’autorisation par le premier président, qui constitue la première initiative procédurale, nécessaire à l’introduction de l’appel.

L’appel du jugement de sursis à statuer est particulier en ce qu’il doit faire l’objet d’une autorisation du premier président pour motif grave et légitime (v. égal., pour l’appel d’une décision ordonnant expertise, c. pr. civ., art. 272). Cette procédure d’autorisation préalable, qui doit être introduite dans le mois du jugement de sursis à statuer, pose régulièrement difficulté. En l’occurrence, c’est la question des délais de distance qui a posé un problème : s’appliquent-ils au délai d’assignation devant le premier président à fin d’être autorisé à relever appel du jugement de sursis à statuer ?

Le 23 février 2021, un jugement de sursis à statuer est rendu dans l’attente de l’arrêt d’une cour d’appel. Par acte délivré les 22 et 30 avril 2021, une partie – en l’occurrence une société de droit allemand – saisit en référé le premier président d’une cour d’appel à fin d’être autorisé à relever appel de ce jugement.

Le premier président la déclare irrecevable comme tardive. Selon lui, c’est en vain que la société de droit allemand invoque le délai de distance de l’article 643 du code de procédure civile, alors que ce délai ne présente pas un caractère général s’appliquant à toutes procédures, que l’article 643 précise qu’il s’applique uniquement aux délais de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation et non à tout délai résultant de l’application du code de procédure civile, particulièrement à un délai pour introduire une instance tel que celui prévu par l’article 380 du même code. Sur ce motif, le premier président refuse d’accorder à la partie allemande le bénéfice des délais de distance.

Pourvoi est formé contre l’ordonnance. Le moyen de cassation est frontal : l’article 643 du code de procédure civile s’applique à l’appel du jugement de sursis à statuer en général et à la procédure d’autorisation prévue par l’article 380 du même code en particulier, dès le stade de l’assignation devant le premier président.

Au visa des articles 380, 643 et 645 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile opine. Le conclusif est net :

« Il résulte de la combinaison de ces textes que les dispositions de l’article 643 du code de procédure civile, auxquelles il n’est pas expressément dérogé par l’article 380 du même code, s’appliquent à l’appel du jugement de sursis à statuer. Dès lors, les augmentations de délai prévues par ces dispositions s’appliquent au délai dans lequel doit être délivrée l’assignation à fin d’autorisation, qui constitue la première initiative procédurale, nécessaire à l’introduction de l’appel » (arrêt, nos 9 et 10).

La cassation est prononcée sur ce motif.

La solution, qui procède d’une compréhension généreuse des articles 643 et 645 du code de procédure civile, est digne d’approbation. Elle pourrait entraîner divers mouvements jurisprudentiels dans son sillage.

Avant d’entrer dans le détail de la question principale, une observation liminaire doit être formulée : aujourd’hui, l’article 380 du code de procédure civile prévoit que le premier président statue selon la procédure accélérée au fond sur la demande d’autorisation de relever appel du jugement de sursis à statuer. L’ancienne version prévoyait qu’il était saisi en la forme des référés, disparue à l’occasion de la réforme de la procédure civile de 2019. Or en l’espèce, la Cour de cassation souligne que la société de droit allemand a saisi le premier président « en référé » (arrêt, n° 2). Si tel est bien le cas, et que la société de droit allemand a saisi le premier président en référé et non en la forme des référés ou selon la procédure accélérée au fond, cela devrait poser difficulté car la saisine est incorrecte : là où le législateur prévoit une saisine selon la procédure accélérée au fond, il n’est pas loisible au plaideur de procéder en référé.

Sous le bénéfice de cette observation liminaire, revenons à la question des délais de distance.

Une solution digne d’approbation

Selon l’article 380 du code de procédure civile, la partie qui veut frapper d’appel un jugement de sursis à statuer saisit le premier président en vue d’y être autorisée, et ce « dans le mois de la décision ». Selon l’article 643 du même code, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine (ce qui était le cas ici), les délais de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce opposition dans l’hypothèse prévue à l’article 583, alinéa 3, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger. L’article 645 du même code ajoute, en son premier alinéa, que l’augmentation de délai ainsi prévue s’applique dans tous les cas où il n’y est pas expressément dérogé.

Contrairement aux apparences entretenues par la motivation de la Cour de cassation (arrêt, nos 7 à 10), la combinaison des trois textes ne livre pas directement la solution pour la procédure d’autorisation à relever appel d’un jugement de sursis à statuer, car tout dépend de la compréhension de l’article 643, en particulier de la notion d’appel. Dans cette affaire, le premier président avait eu une compréhension restrictive de cette notion, consistant essentiellement à penser que la procédure d’autorisation n’est pas la procédure d’appel à proprement parler. Et il est loisible de penser que l’article 645 du code de procédure civile, pris à la lettre, ne change rien à l’affaire : il indique simplement que l’article 643 s’applique sous réserve de dispositions contraires ; mais il n’en module ni n’en détermine le champ d’application, lequel procède du seul libellé de l’article 643.

Toute la question est donc de savoir si la procédure d’autorisation à relever appel d’un jugement de sursis à statuer intègre la notion d’appel telle que visée par l’article 643 du code de procédure civile.

Dit autrement, toute la question est de savoir si la procédure d’autorisation constitue un préalable distinct de l’appel ou un préalable intégré à l’appel. Dans le premier cas, le bénéfice des délais de distance est exclu ; dans le second, il est acquis.

La Cour de cassation opte pour cette dernière interprétation, dans l’esprit d’une conception généreuse de l’article 643. Elle souligne, à juste titre nous semble-t-il, que l’assignation à fin d’autorisation « constitue la première initiative procédurale, nécessaire à l’introduction de l’appel. » (arrêt, n° 10). De fait, une partie ne saurait relever appel avant d’y avoir été autorisée par le premier président (Civ. 1re, 18 janv. 1983, n° 81-16.240 ; Civ. 3e, 15 janv. 1985, n° 83-16.164 ; Civ. 2e, 19 nov. 2008, n° 07-17.358, D. 2008. 3092  ; ibid. 2009. 757, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ). L’appel introduit sans le sésame présidentiel est irrecevable, l’irrecevabilité étant d’ordre public et devant être relevée d’office (C. pr. civ., art. 125 ; Civ. 3e, 15 janv. 1985, n° 83-16.164, préc. ; Soc. 2 mai 1989, n° 88-42.048 ; 17 févr. 1993, n° 89-45.744). Une telle irrecevabilité n’est en outre pas régularisable en cours d’instance : la partie ne saurait obtenir l’autorisation présidentielle postérieurement à sa déclaration d’appel (Civ. 2e, 19 nov. 2008, n° 07-17.538, préc.).

Dès lors, il est constant que l’assignation à fin d’être autorisé à relever appel d’un jugement de sursis à statuer constitue bien la première initiative procédurale nécessaire à l’introduction de l’appel. En cela, on peut estimer que la procédure d’autorisation est bien intégrée à l’appel quoique n’étant pas la procédure d’appel à proprement parler ; ce qui ouvre le bénéfice des délais de distance (lesquels devraient également s’appliquer au délai pour relever appel à proprement parler, délai d’un mois à compter de l’autorisation, Civ. 2e, 13 févr. 2003, n° 01-02.423).

Sans doute une autre interprétation était-elle possible, plus rigoureuse, plus stricte. Néanmoins, pour emporter la conviction, la Cour de cassation s’appuie moins sur la lettre de l’article 645 que sur son esprit : l’absence de dispositions contraires au sein de l’article 380 du code de procédure civile invite, face à l’hésitation, à intégrer la procédure d’autorisation à la notion d’appel telle que mobilisée par l’article 643 du code de procédure civile. La solution peut être approuvée en opportunité. Elle pourrait entraîner d’autres mouvements jurisprudentiels dans la foulée.

Des mouvements jurisprudentiels possibles

Indépendamment des rares cas où il est exclu par une disposition expresse (C. pr. civ., art. 645, al. 2, pour les recours en matière électorale ; C. com., art. R. 464-31, pour les recours en lien avec les décisions de l’Autorité de la concurrence ; C. élect., art. R. 211 ; CPI, art. R. 331-75 et R. 331-44), le bénéfice des délais de distance est à géométrie variable sous la plume jurisprudentielle.

Dans le domaine des procédures collectives, l’application de l’article 643 du code de procédure civile a régulièrement été écartée (Com. 7 févr. 2006, n° 04-19.342, D. 2006. 1547, obs. A. Lienhard , note J. Marotte  ; RTD com. 2006. 668, obs. J.-L. Vallens  ; ibid. 907, obs. B. Bouloc  ; 28 sept. 2004, n° 03-11.876, D. 2005. 301, et les obs.  ; ibid. 292, obs. P. M. Le Corre et F. X. Lucas ). Il en va de même en matière d’expropriation (Civ. 3e, 16 mai 2001, n° 00-70.046, D. 2001. 1998  ; AJDI 2001. 815 , obs. A. Lévy ). Plus généralement, lorsque la loi ne fixe pas de délai, l’article 643 n’est pas applicable (Civ. 2e, 18 oct. 2012, n° 11-24.807, Dalloz actualité, 14 nov. 2012, obs. M. Kebir), cette solution étant orthodoxe.

Classiquement, la chambre commerciale de la Cour de cassation juge que le délai de distance prévu à l’article 643 ne s’applique pas au réclamant domicilié hors de France, tenu d’élire domicile en France en application de l’article R*197-5 du livre des procédures fiscales, de sorte que le délai d’assignation de deux mois à compter de la notification de la décision de rejet de la réclamation contentieuse, prévu à l’article R*199-1 du même livre, ne peut être prorogé (Com. 18 janv. 1994, n° 92-12.715 ; 27 févr. 1996, n° 92-18.146 ; 4 juin 1996, n° 93-17.693). Aux termes d’un arrêt à motivation remarquablement enrichie, la chambre commerciale a cependant reviré, de sorte que ledit délai d’assignation est désormais augmenté de deux mois si le contribuable est domicilié hors de France, bien qu’il ait l’obligation de faire élection de domicile en France (Com. 1er juin 2023, n° 21-18.694, D. 2023. 1121  ; RTD civ. 2023. 727, obs. N. Cayrol ).

Plus généralement, le délai de saisine de la cour d’appel de renvoi n’est pas augmenté à raison de la distance (Civ. 2e, 27 mai 2004, n° 02-17.897 ; 4 févr. 2021, n° 19-23.638, Dalloz actualité, 15 févr. 2021, obs. C. Lhermitte ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. D. Cholet, O. Cousin, E. Jullien et R. Laher  ; RTD civ. 2021. 468, obs. P. Théry ) et le déféré n’est pas non plus concerné (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-23.992, Dalloz actualité, 22 janv. 2018, obs. A. Danet ; D. 2018. 121  ; ibid. 692, obs. N. Fricero  ; RTD civ. 2018. 479, obs. P. Théry  ; 4 juin 2020, n° 18-23.248 et n° 18-23.249, D. 2021. 543, obs. N. Fricero  ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol ). Ces deux dernières solutions – tout à fait générales – pourraient être remises en cause ensuite du présent arrêt.

Il est vrai que l’un et l’autre ne rentrent pas parfaitement dans les cases dessinées par l’article 643 du code de procédure civile. Mais la procédure d’autorisation à relever appel n’y rentre pas non plus. En son temps, le contredit n’y entrait d’ailleurs pas non plus… ce qui n’a pas empêché la Cour de cassation d’ouvrir le bénéfice des délais de distance (Civ. 2e, 10 févr. 1988, n° 86-16.491 ; aujourd’hui, la solution est identique, le contredit étant devenu l’appel-compétence).

La conception généreuse retenue à l’endroit de la procédure d’autorisation à relever appel d’un jugement de sursis à statuer ne pourrait-elle pas s’avérer contagieuse ? Pour le déféré, dont il faudra un jour clarifier la nature, on peut y voir une sorte d’appel dans l’appel – une voie de recours intégrée –, de sorte qu’on peine à voir en quoi le bénéfice des délais de distance devrait être aussi fermement refusé. Ce d’autant que, comme l’article 380 du code de procédure civile, les dispositions pertinentes en matière de référé n’excluent pas le bénéfice de l’article 643 du code de procédure civile. Pour la saisine de la cour d’appel de renvoi, elle n’a certes pas les allures d’une voie de recours. Il reste qu’elle constitue la continuation procédurale d’un précédent appel. Si la procédure d’autorisation à relever appel du jugement de sursis à statuer constitue la première initiative procédurale nécessaire à l’introduction de l’appel, la saisine de la cour d’appel de renvoi constitue pour sa part le complément de la procédure d’appel précédemment introduite et atteinte par la cassation.

Évidemment, il serait cavalier d’affirmer que le présent arrêt entraînera des revirements à l’endroit du déféré et de la saisine de la cour d’appel de renvoi. En revanche, les solutions rigoureuses retenues à leur égard pourraient être avantageusement reconsidérées à l’aune d’une conception large de l’article 643 du code de procédure civile à laquelle invite présentement la Cour de cassation. L’affaire est donc à suivre. 

 

Civ. 2e, 8 févr. 2024, F-B, n° 21-23.686

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