Application à la Polynésie française de l’article 112-2, 4°, du code pénal, dans sa version issue de la loi Perben II

L’article 711-1 du code pénal doit être interprété comme rendant applicables en Polynésie française, collectivité d’outre-mer soumise au principe de spécialité législative, sauf mention expresse contraire, à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 3 juin 2016 qui a, pour la première fois depuis la loi du 9 mars 2004, rendu applicables dans cette collectivité les livres Ier à V du code pénal, dans leur rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, toutes les modifications apportées auxdits livres antérieurement à la loi précitée, incluant la nouvelle version de l’article 112-2, 4°, du code pénal issue de la loi Perben II, peu important que ces modifications de textes déjà applicables en Polynésie française n’aient pas fait l’objet d’une mention expresse d’applicabilité dans cette collectivité.

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, entrée en vigueur le 1er mars de la même année, est venue doubler les délais de prescription en matière délictuelle et criminelle, alignant ainsi ces délais sur ceux de la prescription des peines. En matière délictuelle, le délai est en effet passé de trois à six ans et, en matière criminelle, de dix à vingt ans. Seule la matière contraventionnelle a vu son délai d’une année maintenu.

Depuis lors, la personne poursuivie se trouve donc dans une situation moins favorable. Reste que, s’agissant de l’application des lois de prescription, le code pénal ne tient plus compte du caractère aggravant ou non de la loi nouvelle pour déterminer son application à l’auteur.

La modification de l’article 112-2, 4°, du code pénal sans mention expresse d’applicabilité à la Polynésie française

Depuis le nouveau code pénal et jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II », l’article 112-2, 4°, du code pénal disposait : « Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, sauf quand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé ». Autrement dit, dès lors que la loi nouvelle relative à la prescription est plus sévère à l’endroit de l’auteur, elle n’est pas applicable à ce dernier.

La nouvelle version de l’article 112-2, 4°, ayant supprimé l’incise « sauf quand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé », ce texte pose désormais le principe d’application immédiate des lois relatives à la prescription de l’action publique et des peines, peu important leur caractère plus doux ou plus sévère pour l’auteur.

Dans la présente espèce, la Cour d’appel de Papeete, par un arrêt du 16 mars 2023, considère que cette nouvelle version de l’article 112-2, 4°, n’est pas applicable en Polynésie française, cette collectivité d’outre-mer étant soumise au principe de spécialité législative.

L’article 711-1 du code pénal a rendu applicable l’article 112-2 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur à l’époque, en Polynésie française à compter du 1er mai 1996 par l’article 1er de l’ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal dans les territoires d’outre-mer. 

Deux nouvelles versions de cet article 711-1 sont intervenues avant 2004, l’une en 1999 avec la loi n° 99-209 du 19 mars 1999, et l’autre en 2001 avec la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001. Par la suite, ce n’est que depuis le 5 juin 2016, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, que l’article 711-1 du code pénal est actualisé : « Sous réserve des adaptations prévues au présent titre, les livres Ier à V du présent code sont applicables, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, en Nouvelle-Calédonie et, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna ».

Il n’était donc fait aucunement mention expresse de l’application de la modification de l’article 112-2, 4°, du code pénal à la Polynésie française.

Or, comme le rappellent les juges papeetiens, « les articles 7 et 14, 2°, de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, dans les matières qui relèvent de la compétence de l’État, comme le droit pénal et la procédure pénale, sont applicables dans cette collectivité les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin » (§ 15). Aussi, la loi Perben II, qui a modifié, par son article 72, l’article 112-2, 4°, aurait dû, pour rendre applicable à la Polynésie française cette nouvelle version, expressément viser cet article 72 à l’article 217, II, lequel étend certaines dispositions législatives à la Polynésie française. En l’absence d’un tel renvoi, la cour d’appel en déduit que « l’article 112-2, 4°, est toujours applicable en Polynésie française dans sa rédaction issue de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992, entrée en vigueur le 1er mars 1994 » (§ 16).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’action publique se trouve éteinte pour cause de prescription. Parce que plus sévère, le délai sexennal n’était en effet pas applicable aux prévenus poursuivis respectivement des chefs de travail clandestin et d’importation de marchandises pour le premier, et d’importation de marchandises pour le second. Ces délits ayant été commis en mars 2015 et le dernier acte interruptif datant du 4 décembre 2015, la prescription était donc atteinte le 4 décembre 2018 à minuit, soit bien avant la citation par acte huissier délivré à parquet le 2 juin 2021.

L’application de l’article 112-2, 4°, du code pénal sans mention expresse d’applicabilité à la Polynésie française

Saisie sur pourvoi du procureur général, la Cour de cassation est amenée à s’interroger quant à la version en vigueur de l’application de l’article 112-2, 4°, du code pénal, en l’absence de mention expresse par la loi Perben II de l’application de la modification de ce texte à la Polynésie française.

La chambre criminelle de la Cour de cassation casse, au visa des articles 112-2, 4°, et 711-1 du code pénal, l’arrêt d’appel, considérant la nouvelle version applicable à la collectivité d’outre-mer.

Les juges répressifs ont en effet estimé que les dispositions de l’article 711-1, dans leur version issue de la loi du 3 juin 2016, rendaient applicable immédiatement la modification issue de la loi Perben II, et ce, peu importance l’absence de mention expresse d’applicabilité. Plus précisément, cet article « doit être interprété comme rendant applicables en Polynésie française, collectivité d’outre-mer soumise au principe de spécialité législative, sauf mention expresse contraire, à compter du 5 juin 2016, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui a, pour la première fois depuis la loi du 9 mars 2004, rendu applicables dans cette collectivité les livres Ier à V du code pénal, dans leur rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, toutes les modifications apportées auxdits livres antérieurement à la loi précitée, peu important que ces modifications de textes déjà applicables en Polynésie française n’aient pas fait l’objet d’une mention expresse d’applicabilité dans cette collectivité » (§ 12). 

Ils précisent que « […] même si l’article 72 de la loi du 9 mars 2004, qui a retranché les mots “sauf lorsqu’elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé” à l’article 112-2 du code pénal, n’a pas été inséré à l’article 217 de celle-ci qui énumère celles de ses dispositions applicables en Polynésie française, l’article 112-2 ainsi modifié est applicable en Polynésie française depuis le 5 juin 2016 conformément à l’article 711-1 du code pénal » (§ 14).

Ils ajoutent, pour terminer, qu’« il ne peut être déduit de l’article 711-1 du code pénal que chaque modification ultérieure de l’article 112-2, 4°, figurant dans le Ier livre dudit code soit rendue applicable en Polynésie française par ce texte général, en contrariété avec la loi organique sur le statut d’autonomie qui prévoit spécifiquement la nécessité d’une mention expresse d’applicabilité pour chaque loi modifiant le code pénal pour qu’elle trouve à s’y appliquer » (§ 17).

D’autant plus que l’article 5 de la loi du 27 février 2017 précitée renvoie expressément son application à la Polynésie française.

De l’ensemble de ces éléments résulte l’application du délai sexennal aux prévenus et l’absence de prescription de l’action publique, la prescription intervenant désormais le 4 décembre 2021 à minuit, soit bien après la date de la citation.

 

Crim. 22 oct. 2024, F-B, n° 23-81.902

© Lefebvre Dalloz