Application du principe de non-cumul entre les deux ordres de responsabilité
La responsabilité de l’exploitant d’un parking peut être engagée, à l’égard de la victime d’une chute survenue dans ce parking, sur le fondement de la responsabilité contractuelle si la victime a contracté avec cet exploitant et sur celui de la responsabilité extracontractuelle si la victime est tiers au contrat de stationnement.
 
                            Il est de jurisprudence constante que la victime ne peut pas choisir le fondement sur lequel elle agit en réparation de ses préjudices contre l’auteur du dommage : « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité extracontractuelle » (Civ. 1re, 11 janv. 1989, n° 86-17.323). Autrement dit, la responsabilité extracontractuelle présente un caractère subsidiaire, n’ayant vocation à jouer que lorsque la situation n’entre pas dans le champ d’application de la responsabilité contractuelle.
Seule une réforme prônée par certains, tendant à l’assimilation des responsabilité contractuelle et délictuelle (G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, in Le contrat au début du XXIe siècle, Études offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 921 ; G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les effets de la responsabilité, 4e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit civil », 2017), mettrait fin à la règle de non-option. Néanmoins, d’aucuns soutiennent que cette convergence serait critiquable (M. Fabre-Magnan, Critique de la convergence des responsabilités contractuelle et délictuelle. L’exemple du devoir de vigilance, in Mélange en l’honneur du professeur Loïc Cadiet, LexisNexis, 2023, p. 547 s.), voire impossible, compte tenu du fait que le droit à des dommages et intérêts serait un effet de l’obligation issue du contrat. Autrement dit, la mal nommée « responsabilité contractuelle » ne serait qu’une « exécution par équivalent » du contrat (P. le Tourneau et L. Cadiet [dir.], Droit de la responsabilité, 1re éd., Dalloz Action, 1996, et les éd. suivantes ; P. Rémy, La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept, RTD civ. 1997. 323  ; P. le Tourneau et M. Poumarède, Sens et non-sens de la responsabilité civile en cas d’inexécution du contrat, in Sens et non-sens de la responsabilité civile, coord. J. Le Bourg et C. Quézel-Ambrunaz, CDPPOC, Université de Savoie, 2018, p. 233). L’ordonnance du 10 février 2016 a cependant retenu la notion de responsabilité contractuelle, la sous-section qui en traite étant intitulée « La réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ». Le rapport remis au président de la République souligne que les responsabilités contractuelle et extracontractuelle « sont des mécanismes de même nature, qui reposent sur l’existence d’un fait générateur, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre les deux » (v. sur cette question, A. Cayol, Le droit des contrats en tableaux, 2e éd., préf. P. Delebecque, Ellipses, 2021, p. 236).
 ; P. le Tourneau et M. Poumarède, Sens et non-sens de la responsabilité civile en cas d’inexécution du contrat, in Sens et non-sens de la responsabilité civile, coord. J. Le Bourg et C. Quézel-Ambrunaz, CDPPOC, Université de Savoie, 2018, p. 233). L’ordonnance du 10 février 2016 a cependant retenu la notion de responsabilité contractuelle, la sous-section qui en traite étant intitulée « La réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ». Le rapport remis au président de la République souligne que les responsabilités contractuelle et extracontractuelle « sont des mécanismes de même nature, qui reposent sur l’existence d’un fait générateur, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre les deux » (v. sur cette question, A. Cayol, Le droit des contrats en tableaux, 2e éd., préf. P. Delebecque, Ellipses, 2021, p. 236).
En pratique, en l’état actuel du droit positif, le respect du principe de non-cumul suppose de commencer par vérifier si les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies afin de déterminer le régime de responsabilité applicable.
La réponse à cette question n’est pas toujours évidente, comme l’illustre une décision rendue le 21 décembre 2023 par la deuxième chambre civile.
L’espèce
En l’espèce, la victime a fait une chute alors qu’elle marchait dans un parc de stationnement souterrain. Elle a alors assigné en responsabilité et indemnisation de son dommage corporel la société exploitant ledit parking, ainsi que son assureur. La cour d’appel la déboute de l’intégralité de ses demandes, aux motifs que « la société qui met à disposition un espace de stationnement, et par conséquent organise et réserve des voies de circulation pour les piétons qui sortent des véhicules ou qui viennent les reprendre, qu’ils soient conducteurs ou non, conclut avec eux un contrat qui la rend débitrice d’une obligation de sécurité excluant l’application du régime de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle » (pt 6).
Dans son pourvoi, la victime invoque, d’une part, une violation de l’ancien article 1108, devenu 1128, du code civil, ainsi que de l’ancien article 1147, devenu 1231-1, du code civil par fausse application et, d’autre part, une violation de l’ancien article 1384, devenu 1242, du code civil par refus d’application. Elle soutient « qu’il n’y a de contrat qu’entre le conducteur du véhicule qui le gare dans un parc de stationnement, pour autant qu’il prenne un ticket ou extériorise son consentement par tout autre procédé, et l’exploitant de ce parc de stationnement, non entre ce dernier et le passager du véhicule » (pt 4).
La Cour de cassation casse en effet la décision des juges du fond pour violation des articles 1147, devenu 1231-1, et 1382, 1383 et 1384, devenus 1240, 1241 et 1242 du code civil. Elle affirme qu’il résulte de ces textes que « la responsabilité de l’exploitant d’un parking peut être engagée, à l’égard de la victime d’une chute survenue dans ce parking, sur le fondement de la responsabilité contractuelle si la victime a contracté avec cet exploitant et sur celui de la responsabilité extracontractuelle si la victime est tiers au contrat de stationnement » (pt 5). Or la cour d’appel n’a pas caractérisé en l’espèce l’existence d’un contrat liant la victime à la société exploitant le parc de stationnement (pt 7).
Le champ d’application de la responsabilité contractuelle
Si le principe de non-cumul entre les deux ordres de responsabilité avait bien été mobilisé par les juges du fond en l’espèce, leur décision est cependant cassée du fait d’une mauvaise application pratique de ce principe.
La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle suppose que trois conditions soient cumulativement réunies : l’existence d’un contrat conclu par le défendeur, l’inexécution d’une obligation prévue dans ce contrat, un préjudice causé au cocontractant (R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, p. 50 s.).
Selon la cour d’appel, ces conditions étaient bien remplies en l’espèce. D’abord, un contrat serait nécessairement conclu entre l’exploitant d’un parking et les différents utilisateurs des véhicules qui y sont garés, le fait que ces derniers soient passagers ou conducteurs n’étant pas dirimant.
Ensuite, ledit contrat ferait peser sur l’exploitant du parking une obligation de sécurité. Rappelons, en effet, que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » (C. civ., art. 1194 ; déjà, art. 1135 anc.). La jurisprudence se fonde sur ce texte pour « découvrir » certaines obligations en « forçant » les contrats. Tel est particulièrement le cas de l’obligation de sécurité, ajoutée dans un premier temps dans les contrats de transport (Civ. 21 nov. 1911, Compagnie générale Transatlantique) avant d’être étendue à de nombreux contrats (sports, loisirs, etc.).
Enfin, le préjudice a bien été subi par le cocontractant, la victime étant réputée avoir contracté avec l’exploitant du parking selon la cour d’appel.
Suivant l’argumentation du pourvoi, la Cour de cassation retient, au contraire, l’absence de contrat en l’espèce, invitant clairement à distinguer selon la qualité de la victime : seuls les conducteurs des véhicules contractent avec l’exploitant du parking, et non leurs passagers, tiers au contrat de stationnement. Dès lors, l’application du principe de non-cumul conduit à appliquer exclusivement, les concernant, les règles de la responsabilité civile extracontractuelle.
Civ. 2e, 21 déc. 2023, FS-B, n° 21-22.239
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