Application du principe d’indépendance des rapports caisse-assuré et caisse-employeur au délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable
La contestation de l’employeur du caractère professionnel de l’accident de sa salariée n’interrompt pas le délai de prescription de l’action exercée par la victime en reconnaissance de la faute inexcusable puisque les rapports entre la caisse et l’employeur sont indépendants des rapports entre la caisse et la victime.
 
                            En matière de contentieux d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT-MP), les décisions sont régies par le principe d’indépendance des rapports entre la caisse et la victime, et ceux entre la caisse et l’employeur, dont il revient à la Cour de cassation d’en définir la portée. Cet arrêt illustre l’application du de ce principe d’indépendance des rapports au délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
En l’espèce, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) a pris en charge l’accident dont a été victime la salariée au titre de l’assurance AT-MP le 30 mars 2012. Par la suite, la CPAM a fixé son taux d’incapacité permanente à 4 % à la date de consolidation du 12 novembre 2012 soit la date de cessation de paiement des indemnités journalières.
L’employeur a contesté devant les tribunaux la décision de prise en charge de l’accident de sa salariée. Le 21 août 2013, la victime est intervenue volontairement à l’instance initiée par l’employeur, puis a formé le 2 mars 2016 une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. La cour d’appel a déclaré que la demande de la victime, engagée plus de deux ans après la cessation du paiement des indemnités journalières, était prescrite. L’assurée forme un pourvoi en cassation et soutient que sa demande est recevable au motif que le délai de prescription a été interrompu par la contestation de l’employeur du caractère professionnel de l’accident.
L’action de l’employeur en inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident au titre de l’assurance AT-MP peut-elle interrompre la prescription de la demande en reconnaissance de la faute inexcusable ?
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l’action contentieuse de l’employeur n’a aucune incidence sur la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident à l’égard de la victime en raison de l’indépendance des rapports entre la caisse et la victime, d’une part, et la caisse et l’employeur, d’autre part.
Une décision de prise en charge de l’accident définitive à l’égard de la victime
La Haute juridiction rappelle en premier lieu les règles de prescription applicables à la demande d’indemnisation complémentaire de la victime. En cas d’accident susceptible d’entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, il résulte des dispositions issues des articles L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale que le point de départ du délai de prescription est fixé à deux ans à compter du fait le plus récent : soit à compter de la date de l’accident soit à compter de la cessation du paiement de l’indemnité journalière soit à compter de la cessation du travail soit, lorsqu’il y a été procédé, à compter de la clôture de l’enquête (Civ. 2e, 18 janv. 2005, n° 03-17.564 P).
En principe, l’assuré ayant cessé de percevoir l’indemnité journalière AT-MP le 12 novembre 2012, le délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur court à compter de cette date jusqu’au 12 novembre 2014 inclus.
Cependant, le droit commun prévoit des cas de suspension et d’interruption de la prescription applicable à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (Civ. 2e, 21 oct. 2021, n° 20-11.766). La suspension a pour effet d’arrêter temporairement le cours de la prescription sans effacer le délai déjà couru (C. civ., art. 2230) alors que l’interruption efface le délai acquis pour faire courir un nouveau délai de prescription (C. civ., art. 2231).
Au pourvoi, l’assuré évoque l’application du dernier alinéa de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale qui dispose que la prescription biennale est interrompue par l’exercice « de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ». Selon la victime, la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident étant remis en cause par l’action contentieuse de l’employeur, le délai de prescription biennale ne pouvait recommencer à courir qu’à compter de la reconnaissance définitive de l’accident du travail à l’égard de l’ensemble des parties.
Cependant, le principe d’indépendance des rapports élaboré par la jurisprudence de la Cour de cassation a vocation à régir l’ensemble du contentieux AT-MP, de sorte que la contestation de l’employeur relative à la prise en charge de l’accident n’a aucune incidence sur les droits acquis par la victime ainsi que sur la recevabilité de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable. L’organisme de sécurité sociale ayant notifié la reconnaissance de l’accident du travail aux parties, cette décision de prise en charge est devenue définitive à l’égard de la salariée.
La portée du principe d’indépendance des rapports dans le contentieux AT-MP
Tirant les conséquences de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation applique le principe d’indépendance des rapports au délai de prescription biennale de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur exercée par la victime.
La Haute juridiction a construit le principe d’indépendance des rapports caisse-assuré et caisse-employeur dans le contentieux AT-MP pour concilier les intérêts de l’employeur et la protection du travailleur victime d’un sinistre. Elle établit ainsi que les décisions définitives prises par la caisse à l’égard de la victime et de l’employeur ne lient que ceux qui ont été parties et que l’exécution des unes n’est pas incompatible avec celle des autres. Ce principe permet notamment à l’employeur de contester la décision de reconnaissance de l’accident notifiée par la caisse et d’obtenir son inopposabilité sans incidence sur l’indemnisation accordée à l’assuré par la sécurité sociale. De même, le salarié peut contester un refus de prise en charge devenu définitif à l’égard de l’employeur, et obtenir la reconnaissance de son accident sans impact sur le taux de cotisation AT de l’employeur (Soc. 26 mars 1984, n° 82-16.744 P ; 25 nov. 1987, n° 86-13.775 P).
Le principe de l’indépendance des rapports est également appliqué par la Cour de cassation pour dissocier le contentieux de la prise en charge AT-MP de celui de la faute inexcusable. Ainsi si la faute inexcusable ne peut être retenue que si le sinistre revêt un caractère professionnel, la reconnaissance de la faute inexcusable est indépendante de la décision de prise en charge de l’accident ou de la maladie au titre de la législation professionnelle. Le caractère définitif de la décision prise par l’organisme de sécurité sociale à l’issue de l’instruction du dossier AT-MP ne fait pas obstacle à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable (Soc. 28 févr. 2002, n° 99-17.201 P, D. 2002. 2696  , note X. Prétot
, note X. Prétot  ; Dr. soc. 2002. 445, point de vue A. Lyon-Caen
 ; Dr. soc. 2002. 445, point de vue A. Lyon-Caen  ; ibid. 828, étude M. Babin et N. Pichon
 ; ibid. 828, étude M. Babin et N. Pichon  ; RDSS 2002. 357, obs. P. Pédrot et G. Nicolas
 ; RDSS 2002. 357, obs. P. Pédrot et G. Nicolas  ; RTD civ. 2002. 310, obs. P. Jourdain
 ; RTD civ. 2002. 310, obs. P. Jourdain  ; Civ. 2e, 23 janv. 2020, n° 18-19.080 P, D. 2020. 221
 ; Civ. 2e, 23 janv. 2020, n° 18-19.080 P, D. 2020. 221  ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
 ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle  ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. D. Castel
 ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. D. Castel  ; JT 2020, n° 228, p. 12, obs. D. Castel
 ; JT 2020, n° 228, p. 12, obs. D. Castel  ).
).
La construction jurisprudentielle de l’indépendance des rapports caisse-employeur et caisse-salarié s’applique à l’ensemble du contentieux AT-MP de sorte que la Haute juridiction conclut logiquement que l’action de l’employeur pour obtenir l’inopposabilité de la prise en charge de l’accident à son égard ne peut pas interrompre le délai de prescription biennale de l’action exercée par la victime en reconnaissance de la faute inexcusable.
En l’espèce, le délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur n’a pas été interrompu puisque la décision de prise en charge de l’accident est définitive à l’égard de la victime. L’action engagée par la salariée le 2 mars 2016 plus de deux ans après la cessation du paiement des indemnités journalières du 12 novembre 2012 est prescrite en vertu des articles L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale.
Civ. 2e, 25 avr. 2024, FS-B, n° 22-16.197
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