Arbitrage international : quelle place pour la RSE ?

L’arbitrage international est-il adapté à la résolution des contentieux liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), en matière commerciale ou en matière d’investissement ?

À l’heure où la proposition de directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité arrive au terme de son parcours législatif au niveau européen, un nombre croissant d’entreprises ont déjà intégré des obligations en matière de RSE dans leurs contrats avec leurs fournisseurs et leurs partenaires. Quant à la pression de la société civile sur les entreprises, elle se fait de plus en plus forte, y compris devant la justice. Les contentieux liés à la RSE augmentent et sont amenés à se multiplier. Dans ce contexte, quels avantages pourrait offrir l’arbitrage international dans la résolution de ces litiges qui, pour la plupart, ont une dimension transnationale ?

Signe des temps, ce sujet était à l’ordre du jour de plusieurs des rencontres organisées dans le cadre de la Paris arbitration week cette année. Et la question a notamment été débattue lors d’une table ronde organisée le 24 mars dernier par le cabinet d’avocats Gowling WLG et intitulée « Arbitrating ESG issues : are you ready ? ».

Arbitrage commercial : une solution alternative « qui fait sens »

En matière commerciale, « je suis convaincue que l’arbitrage est une alternative qui fait sens pour les contentieux relatifs à la RSE, et ce, pour plusieurs raisons », a déclaré Marie-Aude Ziadé, avocate associée de Gowling WLG à Paris. Tout d’abord, « les juridictions nationales ne sont pas toujours adaptées au traitement de ces contentieux internationaux, sensibles et techniques », qui posent notamment la question de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions locales. « Mieux vaut des arbitres neutres, choisis par les parties sur la base de leur expertise en matière de RSE ou dans l’industrie concernée. Ces contentieux sont souvent complexes et de dimension internationale, or les arbitres ont l’habitude de tenir compte du droit international et de faire intervenir des experts. »

Autre point favorable au recours à l’arbitrage pour ce type de contentieux, selon l’avocate : le coût. « Pour l’entreprise, l’arbitrage sera moins couteux car plus rapide. » D’autant plus que ces affaires sont souvent transnationales et multipartites, ce qui implique des actions devant plusieurs tribunaux de pays différents, quand l’arbitrage permet de traiter le litige en une seule et même procédure, avec toutes les parties intéressées – victimes, ONG, activistes, actionnaires et autres parties prenantes. Mais les victimes n’ont pas toujours les moyens de financer une procédure d’arbitrage. « La création d’un fonds international indépendant, alimenté par les plus grandes entreprises, a été évoqué », à l’instar de celui créé par les compagnies pétrolières pour l’indemnisation des marées noires.

En ce qui concerne la confidentialité de l’arbitrage, « il y a débat, car l’arbitrage n’est pas confidentiel par nature, il l’est si les parties le veulent, et elles sont toujours libres de choisir », a-t-elle rappelé. La discrétion de la procédure et la non-publicité du contenu de l’arbitrage constituent un avantage pour les entreprises et un inconvénient pour les ONG qui ont des objectifs très différents. Le règlement de la Haye sur l’arbitrage (d’investissement) relatif aux entreprises et aux droits humains prévoit que la procédure n’est pas confidentielle mais le tribunal peut accepter de garder certaines informations confidentielles à la demande des parties. « C’est un équilibre intéressant pour les entreprises comme pour les victimes et les ONG, car les victimes peuvent avoir peur de témoigner et souhaiter la confidentialité. »

Arbitrage d’investissement et RSE : où en est-on ?

Les traités d’investissement bilatéraux ou multilatéraux prévoient généralement un mécanisme de règlement des litiges, qui est le plus souvent l’arbitrage, selon les règles de la Convention de New York. Or, ces dernières années, les plaintes en matière de RSE se sont multipliées dans les arbitrages liés aux traités d’investissement, dont l’objectif était, historiquement, de protéger les droits des investisseurs. « Les temps ont changé », a relevé Tom Price, avocat associé de Gowling WLG à Londres.

Des contentieux liés à la RSE peuvent notamment survenir lorsque « les États cherchent à renforcer des dispositions législatives ou réglementaires en matière de protection de l’environnement ou d’objectifs similaires et que cela a un impact négatif sur la valeur des investissements », lorsque « des États ne respectent plus les engagements qu’ils ont pris à l’échelle nationale en matière de défense de l’environnement ou de transition écologique » et que cela affecte des entreprises qui ont massivement investi dans la production d’énergies renouvelables, par exemple, ou encore lorsque « des États s’appuient sur des dispositions RSE pour exproprier des investisseurs sur un projet ». En parallèle, les traités d’investissement intègrent de plus en plus souvent des dispositions relatives à la RSE, et en particulier « des dispositions qui permettent aux États de préserver leur autonomie en matière réglementaire ».

Selon l’avocat, une des grandes questions qui se posent aujourd’hui est « comment intégrer les parties tiers dans une procédure d’arbitrage ? Comment des ONG, qui représentent l’intérêt général, peuvent-elles être impliquées dans un litige lié à un traité d’investissement entre un État et une entreprise ? C’est assez compliqué, et il y a beaucoup d’obstacles. » Les ONG interviennent souvent en amicus curiae. « Ce n’est pas encore la norme, mais c’est très fréquent, et la question est : est-ce que l’institution d’arbitrage doit accepter ces interventions volontaires ? Parfois, ce n’est pas autorisé par le règlement du centre d’arbitrage. Parfois, ce n’est pas autorisé par le traité d’investissement. Mais les règlements d’arbitrage sont le plus souvent muets sur ce point. Est-ce que le tribunal devrait l’autoriser quand même ? De mon point de vue, cela affecte énormément la structure de l’arbitrage. »

 

© Lefebvre Dalloz