Arrestation, enlèvement et séquestration : caractérisation d’un trio d’infractions distinctes

Le fait de détenir illégalement et de séquestrer illégalement une personne constitue une seule infraction continue, consistant à retenir une personne, sans lui rendre la liberté, dans un local clos ou dans un lieu ouvert. L’infraction d’arrestation illégale est une infraction instantanée consistant à s’emparer d’une personne, de sorte qu’elle est privée de sa liberté de mouvement. L’enlèvement est une infraction instantanée caractérisée par un déplacement contraint d’une personne privée de sa liberté au cours de son transport.

Par son arrêt du 17 septembre 2025, la Cour de cassation est venue définir clairement les éléments matériels des infractions d’arrestation, d’enlèvement et de détention ou séquestration, mettant ainsi fin à des hésitations tant jurisprudentielles que doctrinales.

Dans cette affaire, un groupe d’individus avait fait monter la victime dans un véhicule, l’avait immobilisée, attachée et conduite sous la contrainte dans une grange où elle était restée attachée et avait été frappée à coups de pied et de parpaings.

Le conducteur, qui avait également assisté aux faits s’étant déroulés dans la grange, avait été poursuivi, avec d’autres membres du groupe, des chefs d’arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, et violences aggravées, devant le tribunal correctionnel. Il avait été déclaré coupable en première instance et condamné à quatre ans d’emprisonnement, dix ans d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, trois ans d’interdiction d’entrer en contact avec la victime ainsi que de paraître à son domicile.

Après seul appel du prévenu, la cour d’appel avait confirmé la déclaration de culpabilité ainsi que les peines prononcées et l’avait condamné en sus à trois ans d’inéligibilité, après avoir énoncé que cette peine complémentaire était obligatoire.

Le conducteur s’était alors pourvu en cassation selon deux moyens. D’une part, il reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir caractérisé les délits distincts d’arrestation et d’enlèvement arbitraires visés à la prévention. D’autre part, il reprochait à la cour d’avoir aggravé son sort sur son seul appel. Si la Cour de cassation a cassé l’arrêt en ses seules dispositions concernant la peine d’inéligibilité, rappelant au visant du deuxième alinéa de l’article 515 du code de procédure pénale que la cour d’appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de l’appelant, elle a écarté le premier moyen en apportant des précisions utiles tant sur l’articulation des infractions de l’article 224-1 du code pénal que sur leur caractérisation.

L’affirmation d’un trio d’infractions distinctes

Selon l’article 224-1 du code pénal, « [l]e fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ». Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation affirme clairement que le texte consacre ainsi trois incriminations distinctes : l’arrestation, l’enlèvement et la détention ou séquestration. Elle va également plus loin en définissant clairement la matérialité de chaque incrimination. Si elle avait déjà pu affirmer, comme elle le rappelle, que l’article 224-1 consacre des infractions distinctes (Crim. 30 oct. 1996, n° 95-85.744), la définition de leurs éléments constitutifs restait sujette à interprétation. La Cour ne se montrait pas exigeante sur les qualifications retenues par les juges du fond qui pouvaient paraître parfois aléatoires ou incomplètes (Crim. 29 mai 2001, n° 00-85.052 ; 16 févr. 2016, n° 15-86.885). La doctrine faisait également preuve d’une certaine disharmonie. Certains auteurs estimaient que le texte distinguait trois infractions : l’arrestation (acte instantané d’appréhension au corps), la séquestration (retenue d’une personne déjà arrêtée) et l’enlèvement (lorsque les deux actes précédents avaient été accomplis par un même individu ; V. Malabat, Droit pénal spécial, 10e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2022, § 450). D’autres estimaient que le texte visait quatre comportements, mais n’en adoptaient pas nécessairement les mêmes définitions. Certains distinguaient l’enlèvement de l’arrestation en fonction de l’âge de la victime, l’enlèvement était l’appréhension de mineurs là où l’arrestation consistait à appréhender des majeurs (M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, § 436). D’autres estimaient que l’arrestation consistait à appréhender un individu, là où l’enlèvement impliquait une idée de déplacement (C. André, Droit pénal spécial, 7e éd., Dalloz, 2024, § 144). La doctrine était en revanche plutôt unanime sur la distinction entre la détention et la séquestration en fonction de la qualité de la rétention, la séquestration étant présentée comme une détention inconfortable.

L’arrêt du 17 septembre 2025 a ainsi le mérite de clarifier la matérialité des incriminations de l’article 224-1 du code pénal. La Cour ne retient donc que trois comportements :

  • la détention et la séquestration : la Haute juridiction rappelle que, selon son interprétation, le fait de détenir illégalement et de séquestrer illégalement une personne ne constitue qu’une seule infraction continue qui consiste à retenir une personne, sans lui rendre la liberté, dans un local clos ou dans un lieu ouvert ; elle ne retient donc pas la distinction doctrinalement proposée selon laquelle la séquestration impliquerait de mauvaises conditions de retenue là où la détention en impliquerait de bonnes ; en outre, en qualifiant cette infraction de continue, elle induit que la prescription court à compter du jour où la détention a pris fin ;
  • l’arrestation : la Cour la définit comme le fait de s’emparer d’une personne, de sorte qu’elle soit privée de sa liberté de mouvement, et précise que cette infraction est instantanée ; ainsi, elle retient la conception selon laquelle l’arrestation est un acte d’appréhension au corps qui se trouvera réalisé dès lors que la victime sera privée de liberté de mouvement ; cet acte est suffisant pour caractériser l’infraction ; l’infraction étant instantanée, la seule appréhension de la victime suffit à la caractériser, même si cette dernière est relâchée immédiatement ;
  • l’enlèvement : la Cour le définit comme un déplacement contraint d’une personne privée de sa liberté au cours de son transport ; le déplacement étant un acte qui suppose un certain écoulement de temps, on aurait pu penser que cette infraction serait vue comme une infraction continue, s’achevant à la fin du déplacement ; toutefois, la haute juridiction renouvelle la qualification d’infraction instantanée ; dès lors, l’infraction devrait être datée au début de la réalisation du déplacement, même si ce dernier s’étale sur plusieurs jours.

Si la Cour définit de manière explicite l’élément matériel de chaque infraction, elle reste muette s’agissant de leur élément moral. Ce silence peut laisser supposer que chaque infraction requiert, pour être constituée, un dol général consistant en la volonté de réaliser l’élément matériel de l’infraction. Ainsi, l’arrestation sera moralement caractérisée par la volonté de s’emparer d’une personne en ayant conscience de la priver de sa liberté de mouvement. L’enlèvement supposera la volonté de déplacer de force une personne en ayant conscience de la priver de sa liberté au cours du transport. Enfin, la détention ou la séquestration sera moralement caractérisée par la volonté de retenir une personne dans un local clos ou dans un lieu ouvert en ayant conscience de la priver de sa liberté d’aller et venir.

Une fois ces distinctions établies, la Cour de cassation s’est employée à contrôler la motivation des juges du fond sur la caractérisation de chaque infraction.

La caractérisation fractionnée des infractions

Afin de valider la position des juges du fond, la Cour de cassation constate que ces derniers ont retenu que la victime était montée dans le véhicule conduit par le prévenu et dans lequel elle avait été immobilisée et attachée par plusieurs personnes. Elle constate ensuite que les juges ont retenu que la victime avait été conduite sous contrainte jusque dans une grange où elle était restée attachée et avait été frappée en présence du demandeur.

La haute juridiction approuve ainsi une analyse fractionnée de l’action effectuée par le demandeur. Elle divise l’action globale en plusieurs faits distincts caractérisant chacun l’élément matériel des différentes infractions. Le fait d’avoir fait monter la victime dans un véhicule et de l’y avoir immobilisée en l’attachant constitue le fait de s’emparer d’une personne de sorte à la priver de sa liberté de mouvement. Il s’agit d’une arrestation. Le fait de conduire la victime sous contrainte dans une grange constitue un déplacement contraint d’une personne privée de sa liberté au cours du transport et donc un enlèvement. Enfin, le fait d’avoir maintenu la victime attachée dans la grange caractérise le fait de retenir une personne, sans lui rendre la liberté, dans un local clos ou dans un lieu ouvert, c’est-à-dire une détention ou séquestration.

Cette approche fractionnée de la matérialité de l’action globale a déjà été retenue en matière d’infractions sexuelles où la Cour a pu approuver la dissociation des actes réalisés au cours d’une même scène afin de retenir un viol et une agression sexuelle (Crim. 14 nov. 2018, n° 18-80.832). Elle a encore adopté cette approche en matière de faux et d’escroquerie afin de distinguer le fait matériel de fabrication du faux et le fait matériel d’usage du faux constitutif des manœuvres frauduleuses de l’escroquerie (Crim. 9 sept. 2020, n° 19-84.301, Dalloz actualité, 28 oct. 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 1725 ; AJ pénal 2020. 524, obs. M. Lassalle ; Dr. soc. 2021. 41, chron. R. Salomon ; RSC 2020. 922, obs. X. Pin ; ibid. 2021. 434, obs. P. Mistretta ; JCP 2020. 1287, note S. Detraz ; Dr. pénal 2020, n° 183, obs. P. Conte ; 14 nov. 2013, n° 12-87.991, Dalloz actualité, 11 déc. 2013, obs. D. Le Drevo ; AJ pénal 2014. 296, obs. J. Lasserre Capdeville ; 25 oct. 2017, n° 16-84.133).

La conséquence de cette approche est que, caractérisées par des faits distincts, ces infractions devront être regardées comme entrant en concours réel.

Une difficulté aurait pu naître du cumul de l’arrestation avec les autres qualifications. Nous savons désormais que le principe est au cumul des qualifications, sauf exception (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864, Dalloz actualité, 6 janv. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 154 , note G. Beaussonie ; AJ pénal 2022. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément ; RSC 2022. 311, obs. X. Pin ; ibid. 323, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2022. 188, obs. B. Bouloc ; JCP 2022. 132, note N. Catelan ; Gaz. Pal. 2022. 145, note R. Parizot ; ibid. 303, obs. S. Detraz ; ibid. 778, obs. L. Saenko et N. Catelan ; Dr. pénal 2022. Comm. 23, obs. P. Conte ; Lexbase pénal 23 déc. 2021, § 32, p. 27, obs. M. Bouchet et B. Auroy ; Lexbase pénal 27 janv. 2022, note J.-C. Saint-Pau). Parmi ces exceptions se trouve l’incompatibilité par intégration (Y. Mayaud, Droit pénal général, 7e éd., PUF, coll. « Thémis », 2021, nos 151 s. ; Lexbase pénal 27 janv. 2022, note J.-C. Saint-Pau). Les qualifications sont incompatibles par intégration lorsqu’une infraction est la suite logique et naturelle d’une première infraction. Tel est le cas, par exemple, du voleur qui devient automatiquement receleur du bien volé. Dans cette hypothèse, les qualifications ne peuvent se cumuler et la première infraction doit être privilégiée. L’enlèvement ou la détention ou séquestration auraient pu être vus comme la suite logique et naturelle de l’arrestation, rendant le cumul impossible. En effet, l’arrestation est souvent le préalable à l’enlèvement, à la détention ou la séquestration. Toutefois, en acceptant le cumul des déclarations de culpabilité, la Cour rejette implicitement cette lecture. En réalité, l’enlèvement ou la séquestration ne sont pas la suite naturelle d’une arrestation. Comme la Cour le rappelle, ce n’est pas le même acte qui caractérise les différentes infractions. Il faut réaliser des actes supplémentaires à l’arrestation pour réaliser un enlèvement ou une détention ou séquestration. Ces infractions supposent ainsi une nouvelle initiative matérielle et morale. Il y a donc bien des faits distincts permettant de procéder à la caractérisation autonome des infractions qui entrent ainsi en concours réel.

 

Crim. 17 sept. 2025, FS-B, n° 24-84.690

par Alice Roques, Maître de conférences, Université Paris-Est Créteil, Laboratoire de Droit privé

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