Arrêt de travail et service des indemnités journalières : rappel des conditions strictes de durée d’affiliation et de montant de cotisations ; doute sur la constitutionnalité de la loi

Il n’est pas suffisant pour un assuré social d’être affilié ; il faut encore qu’il atteste avoir « chargé » suffisamment de droits à indemnités journalières.

 

En l’espèce, un assuré en arrêt de travail conteste la décision de la caisse qui lui refuse le versement d’indemnités journalières. Considérant, en substance, que l’assuré n’a pas assez cotisé (CSS, art. L. 313-1, I), l’organisme de sécurité sociale n’accorde aucune prestation durant les six premiers mois d’interruption du travail. Cette première séquence terminée, très probablement convaincu que son droit à des revenus de remplacement est désormais suffisamment chargé, l’assuré renouvelle sa demande sur le fondement de l’article L. 313-1, II, du code de la sécurité sociale, qui ouvre aux assurés un droit aux revenus de remplacement au-delà des six premiers mois. La caisse lui notifie une réponse identique, mais pas pour la même raison : qu’il faille au préalable avoir suffisamment cotisé est une chose, mais, dans le cas particulier, il importait « en outre de justifier d’une durée minimale d’affiliation », à savoir au moins douze mois à la date du premier jour de l’arrêt initial (CSS, art. R. 313-3).

De prime abord, la saisine de la Cour de cassation (plus généralement des tribunaux) interroge tant la règle ne souffre pas la discussion ni la jurisprudence l’interprétation. À la réflexion, il y avait pourtant bien matière à contester le sort réservé par le législateur à l’assuré social, simplement il n’appartenait pas au pouvoir judiciaire de lotir ce dernier.

Un rappel : les conditions cumulatives de l’article L. 313-1 du code de la sécurité sociale

L’assurance maladie, dont on fêtera dans quelques jours les 80 ans, doit se prémunir, comme n’importe quel opérateur d’assurance du reste, contre tout mésusage de la garantie du risque. Les conditions posées par le code de la sécurité sociale ont précisément pour objet de prévenir la tentation d’une souscription feinte, l’assuré réclamant la couverture du sinistre tandis qu’il vient tout juste d’acheter une police d’assurance. Une participation durable, qui renseigne l’intégration effective de l’assuré au régime, est donc exigée. Il faut avoir à l’esprit que les indemnités journalières qui sont accordées en cas d’arrêt de travail représentent un poste de dépenses important pour les caisses, avoisinant les 20 milliards d’euros par an (DREES, Les dépenses de santé en 2023, p. 153). C’est aussi un sujet de préoccupation pour les organismes complémentaires, qui ont versé 6,7 milliards de compléments d’indemnités journalières en 2023 (Rapport, préc.). Notons encore le dynamisme des indemnités, qui est soutenu par l’évolution moyenne des salaires (qui servent de base au calcul des indemnités journalières), un effet de structure démographique lié au vieillissement de la population et l’augmentation de la sinistralité (taux de recours et durée des arrêts à âge donné ; CNAM et DREES, N. Colinot, G. Debeugny et C. Pollak, Arrêts maladie : au-delà des effets de la crise sanitaire, une accélération depuis 2019, déc. 2024).

L’intention bien comprise du législateur est à double détente : prévenir tout comportement déloyal de l’assuré (exigence de moralité) et protéger la capacité de la caisse à garantir la couverture du risque maladie (impératif de soutenabilité). Voilà l’économie générale de l’article L. 311-1 du code de la sécurité sociale, qui introduit une distinction en conséquence entre les droits à prestations à court terme (CSS, art. L. 311-1, I) et ceux à long terme (CSS, art. L. 311-1, II), ces derniers nécessitant une intégration durable dans le régime. Autrement dit, voilà caractérisée la nature fondamentalement assurantielle de la branche maladie, qui n’est pas réductible dans son économie générale à un système de protection sociale assistanciel (à la différence de la protection universelle maladie de l’art. L. 160-1 CSS, qui ouvre à tout un chacun le droit à des prestations en nature sans plus aucune condition de cotisation).

Ceci étant dit, l’exigence d’une année pleine d’affiliation peut s’avérer excessive tandis que le système se réclame de la solidarité nationale au sens de l’alinéa premier de l’article L. 111-1 du code de la sécurité sociale. Un moyen tiré de l’exception d’inconstitutionnalité de la loi aurait gagné à être excipé devant le juge du contentieux de la sécurité sociale.

Une hypothèse : l’exception d’inconstitutionnalité de l’article L. 313-1 du code de la sécurité sociale

L’assurance maladie n’a pas complètement fait sa mue, qui ne répond plus de façon satisfaisante aux problématiques rencontrées par les assurés sociaux. Au total, ces derniers doivent pendant les six premiers mois avoir effectué au moins 150 heures de travail salarié ou assimilé au cours des trois mois civils ou des quatre-vingt-dix jours précédents l’interruption de travail ou bien attester que le montant des cotisations assises sur les rémunérations qui ont été perçues pendant les six mois civils précédents est au moins égal au montant des mêmes cotisations dues pour un salaire égal à 1 015 fois la valeur du salaire minimum de croissance au premier jour de la période de référence (CSS, art. R. 313-3, 1°). Et lorsque l’arrêt de travail se prolonge sans interruption au-delà du sixième mois, les assurés sociaux (pour avoir droit aux indemnités journalières après le 6e mois d’incapacité de travail) doivent justifier, non seulement une affiliation précédent l’arrêt de travail de douze mois au mois, mais en outre : soit que le montant des cotisations assises sur les rémunérations perçues pendant les douze mois civils précédant l’interruption de travail est au moins égal au montant des mêmes cotisations dues pour un salaire égal à 2 030 fois la valeur du salaire minimum de croissance au 1er janvier qui précède immédiatement le début de cette période ; soit qu’ils ont effectué au moins 600 heures de travail salarié ou assimilé au cours des douze mois civils ou des 365 jours précédant l’interruption de travail (CSS, art. R. 313-3, 2°).

Où l’on constate que certains assurés particulièrement vulnérables en raison de leur précarité peuvent avoir cotisés de manière significative, avoir fourni un effort contributif, et se voir pourtant refuser l’indemnisation prolongée. À l’analyse, ne serait-ce pas une situation qui entre en tension avec premièrement, l’objectif constitutionnel de protection de la santé, avec deuxièmement, le droit subjectif à la sécurité sociale et avec troisièmement, le principe d’égalité devant la loi, le droit de la sécurité sociale consacrant une différence de traitement sévère tandis que la maladie expose identiquement chacun de nos concitoyens ? Ceci pour suggérer qu’une exception de constitutionnalité devant le juge a quo aurait très sûrement gagné à être excipée. Ce sans compter que si l’on questionne à présent les nouvelles formes du travail dépendant, la rigidité du seuil est de nature à pénaliser les trajectoires professionnelles discontinues. En comparaison avec l’assurance chômage qui supporte des jours d’affiliation fractionnés, la sécurité sociale reste attachée à une condition calendaire stricte.

Relativement aux prestations en nature, et parce que le système était d’une complexité inouïe, le législateur a opté pour un système assistanciel de type beveridgien. Il pourrait être continué bien entendu. Aussitôt que les tutelles auront doté la caisse primaire et la mutualité sociale agricole des moyens de protéger leurs revenus, l’ouvrage pourra être remis sur le métier. Ayons bien à l’esprit que le manque à gagner généré par la fraude pour la sécurité sociale avoisine (sans compter les milliards d’euros de manque à gagner détectés par le truchement du contrôle comptable d’assiette) les 13 milliards d’euros (HCFiPS, Lutte contre la fraude sociale. État des lieux et enjeux, Rapport, juill. 2024, p. 77).

 

Civ. 2e, 26 juin 2025, F-B, n° 22-24.259

par Julien Bourdoiseau, Professeur des Universités et avocat (assurance/distribution – santé – sécurité sociale)

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