Assignation en contrefaçon de droit d’auteur : précisions ou nullité
L’originalité est la pierre angulaire du droit d’auteur. Pour le praticien, elle nécessite un soin et une considération particuliers. Si elle n’est pas clairement appréhendée, conformément aux exigences actuelles posées par les magistrats, la sanction peut être lourde : nullité de l’acte de saisine, entraînant éventuellement celle de la saisie-contrefaçon initiale, irrecevabilité ou rejet de la demande en contrefaçon.
À la différence du brevet, de la marque ou du dessin et modèle, il n’y a pas de registre au sein d’une administration, qui recenserait toutes les créations portant un droit d’auteur. Celui qui estime être victime de contrefaçon doit systématiquement démontrer et convaincre le tribunal de ce que son produit, nettement identifié, est protégé par droit d’auteur.
L’auteur a un droit de propriété lorsqu’il y a originalité, est venue préciser la jurisprudence.
Exposé de l’originalité par l’auteur
L’originalité est une notion difficile à cerner. Elle existe si l’empreinte de la personnalité de l’auteur est révélée, si des choix créatifs ont été effectués et lorsque des éléments personnels de l’auteur se reflètent dans son œuvre, de manière à l’éloigner de créations préexistantes.
L’originalité doit être appréciée à l’aune de réalisations déjà connues, afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création.
Toute personne qui prétend détenir un droit d’auteur doit impérativement expliciter elle-même l’originalité de son œuvre. Seul le véritable auteur dudit produit peut l’exposer. Il est le seul à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité, et son processus créatif.
La simple description des formes et matériaux employés est insuffisante. Une énumération des caractéristiques objectives d’un produit, revendiqué comme original, ne peut pas suffire à établir cette originalité. Celle-ci ne peut pas découler de la seule constatation de choix, sans que ne soit spécifié, en quoi ils révèlent la personnalité de leur auteur, la touche propre au créateur.
En pratique, l’auteur expose son cheminement intellectuel, ses choix créatifs qui lui sont propres au sein d’une attestation en bonne et due forme. Cependant, en l’absence de divulgation publique de l’œuvre sous son nom, une telle attestation pourrait être écartée des débats, en application de l’article 1363 du code civil, selon lequel « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » (Bordeaux, 11 janv. 2024, n° 23/02805, Dalloz actualité, 6 févr. 2024, obs. A. Yvon).
Analyse de l’originalité par les juges
C’est alors une analyse au cas par cas, au sein de chaque litige présenté, qui est effectuée par les magistrats, pour admettre ou non l’originalité, en fonction des éléments fournis par les parties. L’originalité d’une œuvre doit s’apprécier de manière globale.
Sommes-nous en présence d’un apport créatif et personnel du demandeur ? Peu importe le mérite de l’auteur, le secteur d’activité, le caractère utilitaire ou purement esthétique du produit, ou ce qui a pu être retenu, en ce qui concerne l’originalité, dans le cadre d’une autre procédure.
Ce n’est qu’une fois la condition d’originalité admise par le tribunal, que le droit d’auteur constitue un droit de propriété intellectuelle, un monopole efficient. Son atteinte peut, dès lors, être évaluée.
Contestation de l’originalité par les défendeurs à l’action
Pour les praticiens, en demande, la caractérisation de l’originalité est capitale. En défense, beaucoup tentent de la contester, de soutenir, entre autres, que le produit est en réalité banal, de sorte qu’aucun choix créatif propre au prétendu auteur n’a été effectué.
Parmi les débats relatifs à l’originalité, se pose régulièrement celui de l’imprécision quant à l’apport créatif de l’auteur. De nombreuses assignations font simplement état de mentions à l’emporte-pièce selon lesquelles la création du demandeur serait unique, ou incontestablement originale, ou reflèterait parfaitement la personnalité de l’auteur et son empreinte personnelle, ou son parti pris esthétique.
Trois voies procédurales alternatives
Comment appréhender une telle carence du demandeur ? Trois pistes distinctes sont à envisager :
- ce défaut de caractérisation de l’originalité devrait être analysé comme un moyen de défense au fond. Aussi, seul le juge du fond pourrait alors rejeter la demande en contrefaçon, parce qu’elle serait mal fondée en fait, après plus d’un an d’échanges de conclusions et de pièces ;
- l’insuffisance d’explications quant à l’originalité serait à examiner sous le prisme de la recevabilité de l’action, en ce qu’elle ferait rejaillir l’absence de qualité d’auteur du demandeur à l’action. Elle serait alors tranchée au stade de la mise en état, pour désencombrer le rôle des affaires ;
- l’absence de démonstration de l’originalité devrait être considérée comme étant une exception de procédure, et plus précisément une irrégularité de forme, subordonnée à la justification d’un grief. Dès lors, elle pourrait mener à la nullité de l’assignation, au visa de l’article 56, 2°, du code de procédure civile.
Tergiversations des juges
La Cour d’appel de Paris, en octobre 2023, avait emprunté la première voie et tranché : « La validité de l’assignation n’est nullement subordonnée à la démonstration de l’originalité de ou des œuvres revendiquées, l’appréciation d’une telle originalité étant une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur, qui relève du juge du fond. » (Paris, 13 oct. 2023, n° 22/15516 ; 6 oct. 2023, n° 22/15239, Dalloz actualité, 19 déc. 2023, obs. B. Kerjean).
Mais depuis ces arrêts, le chemin pris est plutôt la troisième piste. Par ordonnance du 3 juin 2024, le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Lyon a ainsi éteint une instance en contrefaçon de droit d’auteur, en annulant une assignation et condamnant le demandeur au paiement de 3 000 € au titre de l’article 700, et aux dépens.
Au visa de l’article 56 du code de procédure civile, pour le juge, sans caractérisation des efforts créatifs et personnels de l’auteur, l’assignation n’est pas suffisamment motivée, de sorte que le défendeur ne peut pas présenter une défense utile sur cette originalité, et sur les atteintes qui lui sont imputées.
Il précise que si les contours de l’originalité avaient été nettement énoncés, mais qu’à l’analyse, l’originalité était superficiellement exposée en ce qu’en réalité, le demandeur n’avait fait que puiser ses éléments dans un fonds commun, sans apport personnel et créatif, alors la demande en contrefaçon aurait été rejetée par les juges du fond.
En l’espèce, le demandeur à l’action était une jeune société, spécialisée dans la conception et le développement de cartographies d’épreuves cyclistes internationales. Il ressortait de l’acte de saisine annulé que neuf de ses cartes géographiques avaient été reproduites par une personne physique (déjà en ce sens, TJ Marseille, 19 mars 2024, n° 23/00207 ; Aix-en-Provence, 18 avr. 2024, n° 2022/12696 ; Paris, 17 mai 2023, n° 22/07174).
Pour cette juridiction, l’article 56 du code de procédure civile impose, en propriété littéraire et artistique, que l’œuvre revendiquée et celle contestée soient nettement identifiées, et que les éléments permettant d’accéder à la protection par droit d’auteur soient explicités dès l’assignation.
La nullité résultant du défaut de motivation, au visa de cette disposition, est cependant couverte si elle n’est pas invoquée par le défendeur, avant toute défense au fond ; des développements au sein de conclusions au fond ultérieures du demandeur complèteraient utilement le premier acte, de sorte qu’aucun grief ne subsisterait.
Stratégie
Si l’action en contrefaçon de droit d’auteur est précédée d’une saisie-contrefaçon, cette sanction de la nullité de l’assignation est très lourde de conséquences. La nullité de l’assignation prononcée par un juge de la mise en état entraîne alors la nullité de la saisie-contrefaçon, au visa de l’article L. 332-3 du code de la propriété intellectuelle.
En revanche, et si l’on considère que la sanction consiste à rejeter la demande en contrefaçon, alors mal fondée, le procès-verbal de saisie conserve une force probante et peut être examiné pour juger d’éventuelles autres demandes, concurrentes ou subsidiaires, en concurrence déloyale ou parasitaire.
Solliciter la nullité de l’assignation retarde l’issue du litige de six à douze mois. La contrefaçon perdure durant l’instance, en certains cas. Une harmonisation des décisions est attendue.
TJ Lyon, 3 juin 2024, n° 23/00986
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