Assignation irrégulière d’un majeur sous tutelle : la régularisation n’est possible qu’avant le décès du majeur vulnérable

Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que l’irrégularité de fond qui affecte une assignation qui n’a pas été délivrée au tuteur de la personne protégée ne peut plus après le décès de celle-ci être régularisée.

Les praticiens connaissent les biens difficultés propres au droit des majeurs vulnérables. Ce pan du droit civil est, en effet, le terrain d’élection de certaines subtilités pouvant conduire à bien des tracas procéduraux. On peut se souvenir, dans ce contexte, d’un important arrêt publié au Rapport annuel et commenté dans ces colonnes il y a quelques semaines. Cette décision avait permis d’opérer quelques précisions sur le point de départ de la prescription d’une action en nullité quand le demandeur était à la fois le tuteur et l’héritier du majeur vulnérable (Civ. 1re, 13 déc. 2023, n° 18-25.557, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2238 ). Aujourd’hui, c’est un arrêt rendu le 18 janvier 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui nous intéresse. Il tranche une question importante autour de l’assignation du majeur sous tutelle rarement au centre d’une décision publiée au Bulletin (v. pour la curatelle et le contentieux de la sécurité sociale, Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-13.762, Dalloz actualité, 18 janv. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 10  ; ibid. 1257, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro  ; AJ fam. 2021. 132, obs. V. Montourcy ).

Les faits puisent leur origine dans une suspicion de fraude paulienne. Par acte notarié du 30 janvier 2015, deux personnes font donation à leurs enfants de plusieurs biens immobiliers et ce en avancement de part successorale. L’un des donateurs, le père des enfants, est placé sous tutelle par jugement du 3 juillet 2017, l’un des enfants étant son tuteur. Le 12 janvier 2018, les donateurs sont condamnés à régler en leur qualité de caution d’un prêt le montant de celui-ci. L’établissement bancaire créancier de ce lien de droit décide d’assigner le 8 mars 2018 les donateurs et les donataires en inopposabilité de l’acte de donation. La donation est jugée inopposable à la banque en première instance et les parties défenderesses décident donc d’interjeter appel de cette première décision. Les appelants invoquent, à hauteur d’appel, que l’acte introductif d’instance est nul dans la mesure où l’établissement bancaire n’a pas délivré celle-ci au tuteur du père donateur en cette qualité précise. Le 15 juin 2019, le donateur placé sous tutelle décède. La cour d’appel considère que la cause de nullité de l’assignation a disparu avant qu’elle ne statue dans la mesure où toutes les autres parties comparaissaient tant en leur nom personnel qu’en qualité d’héritiers du père décédé et avaient toutes la capacité d’ester en justice.

Les parties à l’acte de donation se pourvoient en cassation en arguant qu’un tel raisonnement viole l’article 475 du code civil. Cette argumentation est bien accueillie puisque l’arrêt d’appel est cassé pour violation de la loi. Nous allons examiner pourquoi.

Une régularisation possible antérieurement au décès du majeur vulnérable

La portée pratique essentielle de l’arrêt du 18 janvier 2024 se situe dans un paragraphe précis de celui-ci qui énonce qu’il résulte de la combinaison des articles 475 du code civil et 121 du code de procédure civile que « l’irrégularité de fond affectant une assignation qui n’a pas été délivrée au tuteur de la personne protégée ne peut plus, postérieurement au décès de cette dernière, être couverte ». La question pouvait, en effet, se poser eu égard au raisonnement déployé par les juges du fond dans la mesure où il semble que la nullité de l’assignation a été sollicitée pour la première fois en cause d’appel à s’en tenir à la décision. Les juges du fond avaient décidé de considérer qu’en l’état du décès du majeur, la cause de nullité « avait disparu ». 

Ce raisonnement est un raccourci qui n’a pas droit de cité selon la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Le décès du majeur ne vient pas couvrir la nullité. Au contraire, après un tel décès l’irrégularité de fond « ne peut plus (…) être couverte » (pt n° 9 de l’arrêt). La solution peut paraître bien sévère mais elle s’explique par l’importance d’une telle irrégularité de fond. En précisant que « la personne en tutelle est représentée en justice par le tuteur », l’article 475 du code civil implique nécessairement que l’assignation adressée au majeur sous tutelle soit également délivrée au tuteur. Sur ce point, rien à signaler particulièrement. La précision selon laquelle la régularisation n’est plus possible après le décès du majeur reste empreinte d’une certaine logique. Une fois ce décès arrivé, la mesure de tutelle s’évanouit puisqu’elle n’a plus d’objet. Une régularisation n’aurait alors plus vraiment d’intérêt ou de fondement, que se soit sous l’angle du droit civil ou sous celui du droit judiciaire privé.

En d’autres termes, les praticiens sauront utilement se saisir de cette décision. L’assignation devant être à la fois délivrée au tuteur et au majeur vulnérable, l’oubli du tuteur ne peut être régularisé que pendant la durée de la mesure ! Au décès du majeur, ceci n’est plus possible faute de tuteur à pouvoir toucher par voie de signification, la mesure disparaissant. À compter de ce moment, l’irrégularité de fond devient définitive, elle ne peut plus être couverte et elle emporte alors les effets qu’elle doit emporter selon les demandes respectives des parties au procès. Le couperet peut donc tomber et la nullité de l’assignation être prononcée.

La situation de l’espèce peut expliquer l’hésitation.

Une espèce où les qualités se cumulaient

Dans le cas d’espèce, le tuteur était l’un des donataires de la libéralité litigieuse qui était attaquée pour inopposabilité dans le contentieux en fraude paulienne de l’article 1341-2 du code civil bien que l’arrêt n’explicite pas précisément le fondement de la banque (mais il s’agit sans nul doute de celui-ci). Or, ce donataire avait bien été touché par voie d’assignation dans l’acte introductif de la banque. Certes, pas en qualité de tuteur. Certains objecteront ainsi que la solution implique l’exigence d’une double signification dudit donataire : à la fois en tant que partie à l’acte de donation attaqué mais également en tant que tuteur du donateur. Il n’y a, selon nous, aucune difficulté à ce titre et ce en raison des règles de procédure civile gouvernant l’assignation. À dire vrai, le tuteur aurait même dû être touché une troisième fois avec l’assignation en reprise d’instance à la suite du décès du majeur vulnérable en cause d’appel. Il n’en reste pas moins que l’ensemble aboutit à une signification plurielle de la même personne dans une même instance puisqu’elle cumule les casquettes juridiques (partie à l’acte / tuteur du donateur / héritier du donateur). La question aurait été sans doute plus simple si la donation avait été réalisée au profit de tiers qui ne cumulaient pas leur qualité de donataire avec celle d’héritier légal. Une contre-argumentation aurait sans doute pu être objectée en partant de ces qualités procédurales multiples. La lecture de la décision ne permet pas de savoir si tel a été le cas mais la violation de la loi prononcée semble condamner une telle objection.

Alors certes, la solution du 18 janvier 2024 pourra être perçue comme très formaliste. Mais il s’agit sans nul doute de l’une des manières de préserver le droit procédural des majeurs placés sous tutelle. Si l’assignation n’est pas délivrée au tuteur, la mesure de tutelle ne peut, en effet, pas déployer correctement ses effets. La pratique doit donc nécessairement être très attentive à ce point. Toutefois, le formalisme n’est pas nécessairement exacerbé dans la mesure où à en lire l’arrêt, la régularisation peut très bien intervenir en cause d’appel, ce qui n’était pas certain à la seule lecture des textes réglementaires régissant la question. La solution aurait pu, par ailleurs, être encore plus explicite à ce sujet. En outre, la banque pouvait valablement ignorer la mesure de tutelle mais c’est peu probable puisqu’au jour de la condamnation des deux donateurs en leur qualité de caution en 2018, la tutelle était déjà en place depuis 2017. Tout ceci permettrait presque de relancer le débat sans fin sur le niveau idéal de publicité des mesures de protection des majeurs vulnérables.

Procéduralement, la question peut encore poser davantage de difficultés si le tuteur ne comparaît pas en première instance et si aucune des parties ne soulève la nullité de l’acte introductif à ce moment-là. Dans cette situation, le problème présenté seulement en appel peut conduire à laisser peu de temps pour se retourner pour régulariser la situation si le majeur décède en cours d’instance d’appel. De l’importance de l’art de bien assigner dès le départ, en somme !

 

Civ. 2e, 18 janv. 2024, F-B, n° 21-22.482

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