Assurance automobile : l’inopposabilité de la nullité du contrat s’étend à la victime par ricochet
La nullité prévue par l’article L. 113-8 du code des assurances est inopposable au souscripteur du contrat d’assurance et auteur de la fausse déclaration intentionnelle, s’il est également victime par ricochet, sous réserve de l’abus de droit tel que défini par la Cour de justice de l’Union européenne.
Seulement quelques mois après l’arrêt Matmut de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 septembre 2024 relatif à l’opposabilité de la nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration intentionnelle en assurance de responsabilité automobile obligatoire (CJUE 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Dalloz actualité, 18 oct. 2024, obs. V. Roulet), la Cour de cassation donne une nouvelle illustration de la portée de l’article L. 113-8 du code des assurances en la matière.
Dans cette affaire, un accident de la circulation s’est produit le 1er août 2013, impliquant uniquement la conductrice, qui a causé de graves blessures à ses enfants mineurs, passagers du véhicule, étant précisé que le véhicule concerné avait été assuré par son époux. L’assureur a dénié sa garantie en soulevant la nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du code des assurances, au motif que le souscripteur n’avait pas déclaré son épouse comme conductrice principale secondaire et qu’il avait transmis un relevé d’information sans sinistre qui s’est avéré falsifié. Par arrêt du 22 février 2023, la Cour d’appel d’Agen a retenu la nullité du contrat d’assurance et l’a jugée inopposable aux passagers victimes. Elle a en revanche estimé que la nullité était opposable au souscripteur du contrat ainsi qu’à la CPAM et au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Le preneur d’assurance, père des enfants mineurs et victime par ricochet, ainsi que le Fonds de garantie et la CPAM forment un pourvoi en cassation.
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du code des assurances est opposable au preneur d’assurance auteur de la fausse déclaration intentionnelle dès lors qu’il est également victime par ricochet, et si elle est opposable à la CPAM et au FGAO. À noter que l’assureur n’a pas formé de pourvoi en cassation. Avant d’aborder la solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt publié au Bulletin, il importe de revenir sur l’évolution du droit interne sous l’influence de celui de l’Union européenne.
Évolution jurisprudentielle
En assurance automobile obligatoire, la nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration intentionnelle était considérée comme opposable aux victimes jusqu’à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 juillet 2017 (CJUE 20 juill. 2017, Fidelidade-Companhia de Seguros, aff. C-287/16). En application de cette décision, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et a considéré que la nullité prévue par l’article L. 113-8 du code des assurances est inopposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot ; D. 2019. 1652
; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre
), solution reprise depuis (Civ. 2e, 16 janv. 2020, n° 18-23.381, Dalloz actualité, 29 janv. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 79
; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre
).
Dans le même temps, et pour se conformer à la solution de la CJUE, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite loi « PACTE », a créé l’article L. 211-7-1 du code des assurances disposant en son premier alinéa que « La nullité d’un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 n’est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques ».
Restait à savoir si la nullité du contrat d’assurance est inopposable au preneur d’assurance, à l’origine de la fausse déclaration intentionnelle, lorsque celui-ci a également la qualité de passager victime. La réponse a été donnée récemment par la Cour de justice de l’Union européenne, aux termes de l’arrêt précité du 19 septembre 2024, sur question préjudicielle de la Cour de cassation (Civ. 2e, 30 mars 2023, n° 22-70.015) qui a retenu que l’assureur automobile ne peut pas opposer à la victime d’un accident de la circulation la fausse déclaration intentionnelle qu’elle a faite lors de la souscription du contrat d’assurance. Autrement dit, le preneur d’assurance de mauvaise foi, également victime de l’accident, demeure protégé, étant relevé que la Cour de justice de l’Union européenne réserve le cas de « l’abus de droit ». Dans le cas présent, il s’agit de savoir si la victime par ricochet bénéficie du même statut protecteur que le passager victime. La notion d’abus de droit n’avait logiquement pas été débattue devant la Cour d’appel d’Agen, dont la décision est antérieure à celle de la Cour de justice.
La difficile caractérisation de l’abus de droit
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vise expressément la notion d’abus de droit. Il appartiendra ainsi à la cour d’appel de renvoi de déterminer celui-ci est caractérisé, mais les conditions sont strictes : il s’agit en effet pour le preneur d’assurance d’effectuer une fausse déclaration « dans le but essentiel de se prévaloir lui-même des articles 3 et 13 de la directive 2009/103/CE pour contourner une disposition nationale relative aux conditions légales de nullité d’un contrat ».
L’on peine à imaginer des cas d’abus de droit, dès lors qu’en effectuant une fausse déclaration au moment de la souscription, l’objectif du preneur d’assurance est généralement de réduire le montant des primes. Le fait de vouloir tromper l’assureur n’est pas constitutif, en soi, d’un abus de droit au sens de la Cour de justice de l’Union européenne.
L’extension de la protection du preneur d’assurance de mauvaise foi, passager victime, au preneur d’assurance de mauvaise foi, victime par ricochet
Dans l’arrêt du 23 janvier 2025, le preneur d’assurance n’est pas une victime directe de l’accident. En revanche, ses enfants mineurs ayant subi des dommages corporels, il a la qualité de victime par ricochet. En se référant à la définition de la « personne lésée » telle qu’elle résulte de l’article 1 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, à savoir « toute personne ayant droit à la réparation du dommage causé par des véhicules », la Cour de cassation assimile la victime par ricochet à la victime directe.
Il n’allait pourtant pas de soi de faire bénéficier du statut protecteur du passager victime la victime par ricochet. En effet, pour prononcer l’opposabilité du contrat d’assurance au souscripteur fautif, la cour d’appel avait estimé que sa situation de victime par ricochet ne tenait pas en échec sa qualité de partie au contrat d’assurance. Le raisonnement est censuré par la Cour de cassation qui considère que la victime par ricochet (de mauvaise foi à la souscription du contrat) doit bénéficier de la même protection que la victime directe, sauf cas particulier de l’abus de droit, auquel il faut ajouter l’exception prévue par l’article 13 de la directive, lors que les victimes ont « de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l’assureur peut prouver qu’elles savaient que le véhicule était volé ».
La directive prévoit donc une sanction à l’égard des victimes ayant connaissance de la commission d’une infraction (vol du véhicule concerné) mais la Cour de cassation n’a pas souhaité étendre cette exception au preneur d’assurance effectuant une fausse déclaration intentionnelle qui se trouverait être une victime indirecte – il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une infraction pénale mais l’absence de sanction de la mauvaise foi d’un cocontractant, et finalement l’atteinte à l’article 1104 du code civil, peuvent étonner.
L’inopposabilité de la nullité au tiers payeur subrogé dans les droits des victimes et la mise hors de cause du FGAO
Le FGAO et la CPAM ont également formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen, qui a considéré que la nullité du contrat leur était opposable, aux motifs, en substance, que la solution de la Cour de justice de l’Union européenne dégagée dans son arrêt Fidelidade du 20 juillet 2017 ne s’imposait qu’à l’égard de la Cour suprême du Portugal et que le nouvel article L. 211-7-1 du code des assurances, introduit par la loi du 22 mai 2019, ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce.
La Cour de cassation censure cette solution, considérant que la nullité du contrat est inopposable aux victimes mais aussi à la CPAM subrogée dans leurs droits, ce qui doit entraîner la mise hors de cause du FGAO. Pour contourner le fait que la transposition de directive « assurance automobile » par la loi du 22 mai 2019 était postérieure aux faits de l’espèce, la Cour de cassation estime que les articles L. 113-8 et R. 113-13 du code des assurances doivent être interprétés « à la lumière » de la directive précitée. Ainsi, dès lors que la nullité du contrat est inopposable aux victimes, elle est également inopposable à la CPAM. L’assureur étant tenu à garantie, le FGAO doit être mis hors de cause.
L’on sait que pour invoquer la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du code des assurances, l’assureur doit rapporter, d’une part, la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, avec des exigences élevées en matière de rédaction du questionnaire notamment, et, d’autre part, la preuve du changement du risque ou de la diminution de l’opinion qu’il s’en fait. Cependant, en assurance automobile obligatoire, même en rapportant ces preuves, l’assureur sera tenu à garantie dès lors que le preneur d’assurance pourra se prévaloir de la qualité de victime, fût-elle par ricochet… Il s’agit d’une véritable boîte de Pandore pour les assureurs, qui entraînera probablement une augmentation des primes, pesant in fine sur l’ensemble de la communauté des assurés.
Civ. 2e, 23 janv. 2025, B+R, n° 23-15.983
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