Assurance automobile obligatoire : contribution à la dette de l’assureur de l’élève d’auto-école
Le fait qu’un élève conducteur soit légalement considéré comme un tiers, pour lui permettre d’être indemnisé intégralement de ses préjudices par l’assureur du véhicule auto-école, ne fait pas obstacle à ce que soit recherché, pour statuer sur le recours en contribution à la dette, s’il a commis une faute de conduite.
Les élèves d’auto-école bénéficient, en matière d’assurance automobile obligatoire, d’une protection spécifique ; plus précisément, le législateur s’assure de leur couverture effective. L’article L. 211-1 du code des assurances qui pose l’obligation d’assurance au profit des tiers prévoit expressément à son dernier alinéa que « les élèves d’un établissement d’enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteurs agréé, en cours de formation ou d’examen, sont considérés comme des tiers ». Voilà qui garantit leur couverture effective en qualité de victime, mais n’implique pas leur exonération en tant qu’auteur du dommage…
Un moniteur d’auto-école, lui-même en moto, accompagnait deux élèves, l’un en moto, l’autre en voiture, lors d’une leçon de conduite sur les trajectoires de sécurité dans les virages. Il fut victime d’un accident en deux temps qui, d’abord, impliqua un poids lourd venant en sens contraire et, ensuite, l’un de ses élèves qui roula en moto sur sa cheville. Les conséquences de l’accident furent lourdes : si le moniteur garda la vie, il dut être amputé de la jambe gauche. L’enquête pénale menée à la suite de l’accident fut classée sans suite, mais l’assureur du camion refusa sa garantie, motif pris de la faute qu’aurait commise le moniteur d’auto-école – l’article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 prévoit que « la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis », à charge pour les juges du fonds d’apprécier s’il convient de limiter ou d’exclure cette indemnisation (Cass., ch. mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078, D. 1997. 294
, note H. Groutel
; ibid. 291, obs. D. Mazeaud
; RTD civ. 1997. 681, obs. P. Jourdain
; v. dernièrement, Civ. 2e, 10 févr. 2022, n° 20-18.547, Dalloz actualité, 9 mars 2022, obs. H. Conte ; D. 2022. 279
; ibid. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
) – mais versa néanmoins deux provisions à valoir sur l’indemnisation du préjudice. La victime agissant en justice, l’assureur du poids lourd mit l’assureur de l’auto-école dans la cause afin de le garantir de toute condamnation. Outre la faute qu’il imputait au moniteur et qui, constatée, aurait eu pour effet direct d’exclure (ou à tout le moins de limiter) l’indemnisation, l’assureur du poids lourd entendait se prévaloir de la faute commise par l’élève co-auteur du dommage. Si, en présence d’un accident complexe, la victime peut agir en réparation de son préjudice à l’encontre de l’assureur de l’un quelconque des véhicules impliqués, ledit assureur dispose, à l’encontre des assureurs des autres véhicules impliqués d’un recours, quoique la portée et le fondement de celui-ci furent longtemps débattus (v. infra).
La cour d’appel (Aix-en-Provence, ch. 1, 8 déc. 2022, n° 21/18114) écarta rapidement la faute de la victime, non qu’il fût établi que le moniteur s’était strictement conformé aux dispositions du code de la route mais que les témoignages et les résultats de l’enquête de gendarmerie ne permissent pas de trancher. À défaut d’établir la faute de la victime – la charge de la preuve pèse sur l’assureur (Civ. 2e, 15 nov. 2001, n° 99-19.459, D. 2001. 3588, et les obs.
), et les juges du fonds doivent caractériser cette faute (Civ. 2e, 3 oct. 1990, n° 89-15.662), laquelle doit être en lien avec le dommage (Cass., ass. plén., 6 avr. 2007, n° 05-15.950, D. 2007. 1839
, note H. Groutel
; ibid. 1199, obs. I. Gallmeister
; RTD civ. 2007. 789, obs. P. Jourdain
) – l’assureur est tenu, à l’égard de la victime, de l’intégralité de la réparation.
Contribution à la dette de l’assureur du co-auteur de l’accident…
Plus débattu fut le second argument soulevé par l’assureur du poids lourd. Dans le silence de la loi du 5 juillet 1985, les conditions dans lesquelles l’assureur ayant indemnisé la victime peut se retourner contre les co-auteurs de l’accident furent longuement débattues (v. de façon exhaustive, Rép. civ., v° Responsabilité – Régime des accidents de la circulation, par P. Oudot, nos 275 s.). L’enjeu était à la fois théorique et pratique. Théorique, parce qu’il était question de savoir si le recours offert à l’assureur contre les tiers impliqués était exclusivement subrogatoire et reposant sur la loi du 5 juillet 1985 – l’assureur disposant rigoureusement des mêmes droits que la victime désintéressée – ou d’une nature récursoire et, en tant que tel, soumis au droit commun de la responsabilité (C. civ., art. 1240 [anc. art. 1382]). Pratique, car décider dans un sens ou dans l’autre n’était pas neutre : « Reconnaître au solvens un recours exclusivement subrogatoire dans le droit de la victime d’invoquer la loi de 1985 contre un « coauteur loi », et donc renoncer à appliquer l’article 1382 (nouv. art. 1240) dans les recours entre « coauteurs loi », conduirait, nécessairement, à partager la charge définitive de la dette d’indemnisation entre eux du seul fait de l’implication de leur VTAM dans l’accident, alors même que celui-ci serait dû à la seule faute de l’un d’eux, ce qui ne saurait se justifier. À l’inverse, admettre un recours fondé exclusivement sur l’article 1382 (nouv. art. 1240) du code civil, conduirait, comme cela a été précisé, à des résultats totalement arbitraires lorsque l’accident est dû à une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure ou à une faute inopposable de la victime : la responsabilité du « coauteur loi » appelé en garantie sur le fondement de l’article 1382 du code civil (nouv. art. 1240) ne pourrait alors être retenue, et le solvens conserverait le poids définitif de la dette, du seul fait que la victime a choisi de s’adresser à lui » (P. Oudot, préc.). Depuis 1998 (Civ. 2e, 14 janv. 1998, n° 95-18.617 P, D. 1998. 174
, note H. Groutel
; RTD civ. 1998. 393, obs. P. Jourdain
; JCP 1998. II. 10045, note P. Jourdain ; RCA 1998. Chron. 155, par H. Groutel), la Cour de cassation juge invariablement que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur ne peut exercer un recours contre un autre conducteur que sur le fondement des articles 1382 (nouv. art. 1240) et 1251 (nouv. art. 1346) du code civil. La référence à ces deux textes, ensemble, est insuffisante à saisir le choix fait par la Cour de cassation ; celui-ci s’éclaire néanmoins lorsque la Cour précise qu’entre les responsables « la contribution à la dette a lieu en proportion des fautes respectives ; qu’en l’absence de faute prouvée à la charge des conducteurs impliqués, la contribution se fait entre eux par parts égales » (Civ. 2e, 14 janv. 1998, n° 95-18.617, préc. ; jurisprudence constante). De ces fondements et de cette application, la cour d’appel ne discuta pas, et la Cour de cassation les confirma en reprenant ses très classiques visa et attendus.
Absence d’exonération de l’assureur de l’auto-école au titre du fait de l’élève
La cour d’appel prétendait en revanche que les dispositions de l’article L. 211-1 du code des assurances affairant aux personnes couvertes par l’assurance obligatoire s’opposaient à ce recours : l’élève de l’auto-école est un « tiers au contrat d’assurance », « aucune faute de conduite ne peut lui être opposée » et seule la faute du moniteur d’auto-école – en l’espèce non établie – permettrait d’accueillir le recours de l’assureur du co-auteur de l’accident. Il y aurait beaucoup à dire de la lecture faite par la cour d’appel. Elle pourrait se comprendre d’abord à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle l’élève d’une auto-école n’est pas considéré comme un « conducteur » dès lors qu’il ne dispose « des pouvoirs de commandements » (Civ. 2e, 29 juin 2000, n° 98-18.847, D. 2000. 226
). Cette solution néanmoins avait été prononcée dans une situation différente de celle des faits de l’espèce : là, le moniteur et l’élève étaient ensemble dans un même véhicule doté d’un système de double commande, ici, l’un et l’autre étaient dans des véhicules distincts. Or la Cour de cassation avait déjà, par le passé, manifesté le fait que la qualité de conducteur était liée à la maîtrise matérielle et effective du véhicule nonobstant les qualités d’élève ou d’enseignant : le mineur stagiaire qui se trouve seul aux commandes d’un tracteur quoiqu’il suive les consignes d’un encadrant situé en dehors de l’espace de conduite a bien la qualité de conducteur (Civ. 2e, 22 mai 2003, n° 01-15.311, D. 2004. 1342
, obs. P. Jourdain
). En outre, la cour d’appel se méprise sur la portée de l’article L. 211-1 du code des assurances. De toute évidence, l’intention du législateur qui y introduisit la référence aux élèves d’auto-école à l’occasion de la loi n° 99-505 du 18 juin 1999 était d’assurer leur protection : « Le but de cette disposition est de mieux protéger les élèves des auto-écoles en leur donnant la qualité de tiers, même lorsqu’ils sont au volant pendant un cours ou pendant l’épreuve du permis de conduire. Un élève en cours de formation au permis de conduire ou un candidat en cours d’examen pourrait être ainsi indemnisé des dommages subis par lui-même en cas d’accident dont il serait responsable en conduisant le véhicule de l’école ou d’examen » (Sénat, L. Lanier, Rapport n° 358, 25 mars 1998). Il n’était en revanche pas question de traiter du sort de l’élève – ou de son assureur – auteur ou co-auteur de l’accident. Et c’est pour cette violation de la loi que la Cour de cassation décide de la cassation : « le fait qu’un élève conducteur soit légalement considéré comme un tiers, pour lui permettre d’être indemnisé intégralement de ses préjudices par l’assureur du véhicule auto-école, ne fait pas obstacle à ce que soit recherché, pour statuer sur le recours en contribution à la dette, s’il a commis une faute de conduite ».
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