Assurance de responsabilité civile médicale : rapport annuel de l’ACPR
Le 25 mars 2024, l’ACPR a rendu public son rapport annuel alertant sur la sinistralité du marché de l’assurance de responsabilité civile médicale.
En application de l’article L. 4135-2 du code de la santé publique, les entreprises réalisant plus d’un million d’euros de primes en responsabilité civile médicale (RCM) ont une obligation de transmission à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de données de nature comptable, prudentielle ou statistique sur les risques couverts. En 2022, vingt et une entreprises, dont dix-neuf dépassants ce seuil, ont communiqué leurs données. Le 25 mars 2024, l’ACPR a publié son rapport sur la base de ces données. Pour la première fois, celui-ci est accessible à tous.
Quelles sont les informations révélées par ce rapport ?
Un nombre restreint d’acteurs
Le rapport souligne, tout d’abord, que le secteur de l’assurance de RCM se concentre sur un nombre restreint d’acteurs. Seules dix-neuf entreprises dépassent le seuil permettant de considérer qu’elles ont une activité significative en la matière. Cinq d’entre elles représentent 83 % des primes versées. Le marché est encore plus resserré concernant les activités dites « à risque », à savoir la gynécologie-obstétrique, l’anesthésie réanimation et la réanimation médicale, la chirurgie et une catégorie « autre spécialité » incluant l’ophtalmologie, la cardiologie, la stomatologie, l’oto-rhino-laryngologie, la gastro-entérologie, la pneumologie et la radiologie. Ces spécialités, représentant 26,2 % de l’activité de RCM, sont quasi exclusivement couvertes par trois à quatre acteurs du marché.
Il est notable que, contrairement aux craintes parfois exprimées quant à l’arrivée de sociétés étrangères sur le marché, celles-ci en occupent moins d’un tiers. Si onze des vingt et une entreprises d’assurance n’ont pas leur siège social en France, elles ne représentent que 31 % du marché global de l’assurance de RCM (mais plus de 35 % du marché des spécialités dites « à risque »). Seule l’assurance portant plus particulièrement sur la responsabilité civile « produits » est quasi intégralement couverte par des assureurs étrangers. L’ACPR conclut qu’un retrait de ces sociétés étrangères serait à même de déstabiliser le marché français.
Une sinistralité importante
L’ACPR note, ensuite, une sinistralité élevée, à l’exclusion de la responsabilité civile « produits » (ratio sinistres sur primes variant entre 15 et 20 % ces dernières années pour cette dernière, mais « la moindre qualité des données [de l’étude] sur ce segment » est soulignée).
Tant le nombre de sinistres que la charge sinistre est en hausse. Elle risque de l’être d’autant plus dans les années à venir au regard du contexte inflationniste. Le ratio sinistres sur primes est en moyenne de 92,8 % en 2022, malgré une augmentation des primes entre 2021 et 2022 (+ 9 %). Le rapport relève une dégradation de ce chiffre depuis 2013. Si les frais sont ajoutés aux sinistres, le « ratio combiné » sur les primes est largement supérieur à 100 %, atteignant jusqu’à 135 %. Les frais généraux des assureurs jouent donc un rôle important dans le déséquilibre constaté par l’ACPR, ce qui devra amener les entreprises d’assurance à réfléchir à la possibilité de réduire ces frais. Leur niveau semble (trop) élevé.
Selon l’ACPR, « les frais généraux sont évalués, comme les années précédentes, à un niveau élevé, de l’ordre de 31 % des primes acquises ». Elle précise qu’« au global, [ces frais généraux] contribue[nt] fortement au déséquilibre technique (avant réassurance) de la responsabilité civile médicale des praticiens et des établissements de soins ».
Au regard de ces éléments, le rapport invite à redresser la rentabilité de ce secteur assurantiel. Plusieurs atténuations peuvent être apportées à cette nécessité de redressement.
Une sinistralité à relativiser
Quatre atténuations relèvent de la lecture du rapport lui-même.
En premier lieu, l’assurance de RCM représente une faible place sur le marché de l’assurance non-vie. L’assurance de responsabilité civile générale ne correspond qu’à 3,2 % de ce marché. Quant à l’assurance de RCM, elle ne représente que 0,37 % de l’assurance de responsabilité civile générale. Or, la plupart des acteurs de l’assurance ne se consacrent pas qu’à l’assurance de RCM.
En deuxième lieu, les assureurs provisionnent largement lors de l’ouverture du sinistre, ce qui peut entraîner une surestimation du ratio sinistres sur primes à l’ouverture. Selon l’ACPR, « cet élément de prudence dans le provisionnement peut se manifester, à court, moyen ou long terme par une revue à la baisse des provisions techniques dotées à l’ouverture ». Mais le rapport indique que « cet effet semble s’amenuiser ou se présenter moins rapidement et/ou avec un impact de moins en moins significatif au cours des dernières années ».
En troisième lieu, les frais généraux représentent près d’un tiers du montant des primes. Le rapport relève que « ce niveau peut toutefois recouvrir des réalités très différentes, puisque les acteurs généralistes couvrant la RCM font généralement appel à des courtiers proposant une offre globale portant notamment sur la souscription d’autres types de risques, alors que les acteurs spécialistes souscrivent essentiellement en direct, compte tenu de leur expertise en matière de RCM ». Cette remarque peut inviter à s’interroger tant sur la possibilité générale de réduire ces frais que sur les coûts supplémentaires induits par le recours à des courtiers. L’aspect déficitaire de ce marché vient-il principalement de la nature du risque (nombre et/ou valeur conséquents des sinistres) ou est-il provoqué par des frais trop importants ?
En quatrième lieu, la réassurance n’est pas prise en compte dans l’étude alors que l’ACPR note son rôle dans l’atténuation des risques couverts par les assureurs.
Une cinquième atténuation, non évoquée dans le rapport, est liée au contexte de l’édiction des règles relatives à l’assurance de RCM. Depuis la loi dite « Kouchner » de mars 2002 (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé), l’assurance de responsabilité civile des professionnels de santé est obligatoire (CSP, art. L. 1142-2). Cette loi a suscité l’ire des assureurs, ceux-ci considérant qu’un risque trop important était mis à leur charge. Certains se sont alors retirés de ce marché, allant jusqu’à résilier les contrats souscrits en la matière. « Le retrait de plusieurs compagnies d’assurance du marché de la responsabilité civile médicale [a] priv[é] de nombreux médecins libéraux, la moitié des cliniques privées et certains hôpitaux publics de la possibilité de s’assurer. Si rien n’était entrepris, cette situation [aurait pu] – dès le 1er janvier 2003 – interdire à ces professionnels et à ces établissements de santé de poursuivre leur activité » (exposé des motifs de la proposition de loi n° 33 [2002-2003] de M. Nicolas About, déposée au Sénat le 25 oct. 2002). Ce moyen de pression fut efficace. Dès décembre 2002, une nouvelle loi dite « About » est venue restreindre leur obligation (loi n° 2002-1577 du 30 déc. 2022 relative à la responsabilité civile médicale ; v. not., L. Dubouis, Assurance privée et responsabilité médicale, RDSS 2003. 353 ; Y. Lambert-Faivre, La responsabilité médicale : la loi du 30 décembre modifiant la loi du 4 mars 2002, D. 2003. 361
) afin de stabiliser le marché de l’assurance de RCM. Une part importante de la RCM a été exclue de la couverture des assureurs. L’assurance RCM se concentre sur la responsabilité pour faute des professionnels de santé et la responsabilité encourue en raison du défaut d’un produit de santé (CSP, art. L. 1142-1). En outre, la solidarité nationale se substitue à l’assureur lorsque celui-ci est « défaillant » (CSP, art. L. 1142-15), mais aussi pour certains sinistres. Les infections nosocomiales les plus graves sont prises en charge par la solidarité nationale, sous réserve des actions subrogatoires ou récursoires ouvertes « en cas de faute établie à l’origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales » (CSP, art. L. 1142-17, al. 7, et L. 1142-21, al. 2 ; comp., rapport de la Cour de comptes 2017, p. 85 s., soulignant le caractère non systématique du recours subrogatoire en cas de substitution à un assureur défaillant). Comme a pu l’écrire la doctrine, il est loisible de penser qu’il s’agit d’un dévoiement de la solidarité nationale. Celle-ci devait à la base être « un mode subsidiaire d’indemnisation au profit des victimes qui ne peuvent pas être indemnisées en application des règles de la responsabilité civile », non une « aide aux professionnels de santé et à leurs assureurs afin de les décharger d’un poids financier qui normalement leur incombe » (S. Hocquet-Berg, La solidarité au secours de la responsabilité : les principaux apports de la loi About, RCA avr. 2023, étude 19, spéc. n° 3). Les assureurs bénéficient ainsi déjà d’un régime favorable. « Le transfert opéré par la loi du 30 décembre 2002 a [eu] pour but de venir en aide, en première intention, aux assureurs en les libérant de la charge de garantir des risques qui peuvent être importants et dont la prévisibilité de réalisation s’avère aléatoire. Aussi, même si les patients doivent en bénéficier, la loi échappe-t-elle difficilement à la critique de réserver au secteur privé l’assurance des "bons risques" et faire peser sur l’impôt et les cotisations obligatoires celle des "mauvais risques" » (L. Dubouis, préc., n° 15).
Des interrogations persistantes
Enfin, il est permis de regretter que l’Observatoire des risques médicaux (ORM) ne dresse plus de rapport d’activité depuis 2015, comme l’a noté le rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’assurance responsabilité civile médicale des professionnels de santé libéraux par Mme Procaccia, sénatrice, et enregistré au Sénat le 16 juin 2021. Ce rapport annuel de l’ORM permettait d’obtenir des informations précieuses sur les sinistres survenus et leur indemnisation (CSP, art. D. 1142-68). Il aurait été intéressant de croiser celles-ci avec les données de l’ACPR. En effet, les différences de chiffres entre ces deux organismes interrogent. Dans son rapport de 2022, l’ACPR évoque entre 20 000 et 30 000 sinistres par an depuis 2017. Les derniers rapports de l’ORM présentent des chiffres bien en deçà, de l’ordre de 1 000 à 1 500 sinistres indemnisés par les assureurs chaque année. La base de l’étude n’est pas strictement identique.
L’ORM n’a retenu que les sinistres de plus 15 000 € (excluant ainsi 24 dossiers en 2015) pour lesquels l’indemnisation a déjà été fixée et ne peut plus faire l’objet de recours. Néanmoins, il est loisible de se demander d’où vient une telle différence de chiffres. Doit-on en conclure que plus de 20 000 sinistres ont lieu par an mais que seuls quelques milliers sont définitivement indemnisés chaque année par les assureurs ? En 2003, une auteure relevait que « le pourcentage de ‘‘déclarations’’ qui aboutissent à une "indemnisation" amiable ou judiciaire n’est statistiquement que de l’ordre de 18 % » (Y. Lambert-Faivre, art. préc.). Qu’en est-il aujourd’hui ? Si la lecture de ces rapports nous éclaire sur certains points, elle fait aussi surgir des zones d’ombre.
© Lefebvre Dalloz