Assurance de responsabilité civile : plafond de garantie unique durant le délai subséquent
Lorsqu’une réclamation intervient durant le délai subséquent, l’indemnisation par l’assureur de responsabilité civile est soumise à l’application d’un plafond de garantie unique.
Une affaire dans laquelle une conseillère en gestion de patrimoine a été condamnée pour manquement à son obligation de conseil, d’information et de loyauté a été l’occasion, pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, de statuer sur le plafond de garantie applicable, dans le cadre d’un contrat base réclamation, lorsque la réclamation intervient durant le délai de garantie subséquent.
Base réclamation et délai subséquent
Depuis la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, seuls les professionnels peuvent souscrire des contrats d’assurance base réclamation. Leur champ d’intervention est précisément encadré par le 3e alinéa de l’article L. 124-5 du code des assurances, article dont le contenu est d’ordre public : « La garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres. Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n’a pas été resouscrite ou l’a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable. L’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ». Ainsi, la loi impose à l’assureur de maintenir sa garantie pendant un certain délai suivant la fin du contrat. Ce délai a une durée minimale variant entre cinq et dix ans, en fonction de l’activité professionnelle de l’assuré ou de la raison pour laquelle le contrat prend fin (C. assur., art. L. 124-5, al. 5 et R. 124-2 à 124-2-3).
Montant du plafond de garantie
Quel sera le montant du plafond de garantie applicable durant ce délai ? La loi impose que « le plafond de la garantie déclenchée pendant le délai subséquent ne [soit pas] inférieur à celui de la garantie déclenchée pendant l’année précédant la date de la résiliation du contrat ». Le plafond applicable durant le délai subséquent devrait donc au moins être égal au plafond applicable durant la garantie principale. La question demeure alors de savoir si, en présence d’un plafond annuel existant au titre de la garantie principale, celui-ci vaut pour l’ensemble du délai subséquent ou s’il se recharge annuellement, comme tel était le cas durant la mise en œuvre de la garantie principale. La différence est essentielle pour l’assureur. Ce plafond de garantie étant opposable tant à l’assuré qu’au tiers victime (Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 19-11.272, RDI 2020. 320, obs. D. Noguéro
), sa garantie financière est significativement moindre dans le second cas. Dans l’affaire nous intéressant le plafond annuel de garantie est fixé à 2 millions d’euros par an (avec une limite de 300 000 € par sinistre et une franchise de 3 000 € par sinistre). Si le plafond vaut pour l’ensemble du délai subséquent, l’assureur ne pourra pas être amené à verser plus de 2 millions d’euros sur les cinq ans couverts par le délai subséquent. Si le plafond de garantie se régénère annuellement, l’assureur pourrait être amené à verser jusqu’à 10 millions d’euros d’indemnités.
Un plafond unique
Un décret n° 2004-1284 du 26 novembre 2004 relatif à la garantie subséquente des contrats d’assurance de responsabilité a tranché en faveur d’un plafond unique pour l’ensemble du délai subséquent. Selon l’article R. 124-4 du code des assurances, « le plafond applicable à la garantie déclenchée dans le délai subséquent […] est unique pour l’ensemble de la période, sans préjudice des autres termes de la garantie ou de stipulations contractuelles plus favorables ». Il « peut être reconstitué au gré des parties ». À défaut d’une clause de reconstitution insérée dans le contrat, le plafond vaudra pour l’intégralité des réclamations formulées dans le délai subséquent. Cette solution, favorable aux assureurs, a fait l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Ce recours n’a pas prospéré. Le Conseil d’État a jugé que le plafond unique « ne fait que préciser les termes de la loi et n’a pas réduit les garanties offertes à l’assuré par l’article L. 124-5 » (CE 22 nov. 2006, n° 285220, Lebon
). Les victimes qui obtiendront les premières un accord ou une décision de justice exécutoire imposant la réparation de leurs préjudices auront plus de chance d’être indemnisées par l’assureur que les autres. Ces dernières devront se tourner vers le responsable et supporter le risque de son insolvabilité. Si la règle est discutable en ce qu’elle restreint de manière conséquente l’engagement de l’assureur, elle n’en est pas moins parfaitement claire.
Qu’en est-il de son application en l’espèce ? Le fait dommageable faisant l’objet de la réclamation est survenu pendant la durée du contrat. La réclamation a, quant à elle, été formulée ultérieurement à la date d’effet de la résiliation de ce même contrat, mais durant le délai de garantie subséquent. Dans cette hypothèse, le plafond de garantie de 2 millions d’euros est unique pour l’ensemble du délai subséquent de cinq ans courant à compter de la date de prise d’effet de la résiliation, soit le 1er janvier 2013. En jugeant que le plafond de 2 millions d’euros valait uniquement pour l’année 2016, la cour d’appel a violé l’article R. 124-4 du code des assurances (pts 14 à 16). Sa décision ne pouvait qu’être cassée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, peu important qu’elle permette une meilleure garantie d’indemnisation aux victimes. Comme le rappellent les magistrats du quai de l’Horloge dans leur attendu de principe, « il résulte de [l’art. R. 124-4 c. assur.] qu’en matière de garantie déclenchée par la réclamation, les sinistres donnant lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent à la date de résiliation du contrat sont soumis à un plafond de garantie unique pour l’ensemble de la période subséquente, d’un montant au moins égal au plafond en vigueur durant l’année précédant la résiliation du contrat, sauf stipulations contractuelles plus favorables » (pt 13).
Civ. 2e, 18 sept. 2025, F-B, n° 24-10.165
par Juliette Brunie, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Tours
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