Assurance dommages-ouvrage et réserves lors de la réception des travaux
La circonstance que des désordres aient fait l’objet de réserves lors de la réception de travaux ne s’oppose pas au versement d’une indemnité, dans le cadre d’une assurance dommages-ouvrage, à l’assuré pour couvrir les frais de réparation.
 
                            La société d’économie mixte Artois Développement, maître d’ouvrage délégué de la commune de Lievin, a attribué, par des actes d’engagement du 11 juillet 2006, à un groupement solidaire le lot « gros œuvre, démolition, curage, VRD, charpente et dépose secteur SCR » d’un marché de travaux relatif à la réhabilitation et l’extension du stade couvert régional et du centre régional d’accueil et de formation en complexe sportif à Liévin.
Des réserves ont été émises lors de la réception des travaux le 16 août 2009. L’une d’elle, concernant des fissures, fentes et délaminations des poutres neuves de la charpente en bois, n’a pas été levée. Ces fissures se sont aggravées et pouvaient causer un risque d’effondrement de la charpente ; le syndicat mixte en charge de l’exploitation du stade, et propriétaire de l’ouvrage depuis 2012, a pris la décision de fermer le stade d’octobre 2012 à avril 2017.
Une déclaration de sinistre a été faite auprès de la société AXA France Iard, assureur dommages-ouvrage de la commune de Liévin, qui a préfinancé l’expertise et les mesures conservatoires et d’investigation durant l’expertise dommages-ouvrage et payé les travaux de réparation.
La société AXA France Iard a esté en justice afin de faire condamner le groupement solidaire attributaire du lot litigieux au versement de la somme de 3 452 246,84 € TTC : la Cour administrative d’appel de Douai a fait droit à sa demande dans son intégralité par un arrêt du 17 août 2023. La société Bureau Veritas Construction, membre du groupement solidaire, demande l’annulation de cet arrêt.
La subrogation conditionnée à la souscription d’une assurance dommages-ouvrage
Il résulte de l’article L. 121-12 du code des assurances que « L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ».
Comme a déjà pu le rappeler le Conseil d’État à cet égard, l’assureur dommages-ouvrage ne peut se prévaloir d’une subrogation dans les droits de l’assuré qu’à la condition que « l’indemnité a été versée en exécution d’un contrat d’assurance » (v. par ex., CE 25 nov. 2021, n° 442977, Lebon  ; AJDA 2021. 2370
 ; AJDA 2021. 2370  ; RDI 2022. 109, obs. H. Hoepffner
 ; RDI 2022. 109, obs. H. Hoepffner  ). S’il appartient à l’assureur d’apporter la justification du paiement de l’indemnité car la subrogation ne se présume pas, « l’application de [l’article L. 121-12 précité] n’implique pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui-même ».
). S’il appartient à l’assureur d’apporter la justification du paiement de l’indemnité car la subrogation ne se présume pas, « l’application de [l’article L. 121-12 précité] n’implique pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui-même ».
L’étendue de la subrogation de l’assureur dommages-ouvrage
Au cas d’espèce, la commune de Liévin a souscrit un contrat d’assurance fondé sur les dispositions de l’article L. 242-1 du code des assurances : cette assurance « prend effet après l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l’article 1792-6 du code civil. Toutefois, elle garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque : / Avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations ; / Après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations (…) ».
La Haute juridiction administrative interprète ces dispositions comme la Cour de cassation : elle considère ainsi que « l’assurance de dommages obligatoire garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l’entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n’a pas exécuté ses obligations » (Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 19-16.179, Dalloz actualité, 28 avr. 2021, obs. C. Dreveau ; D. 2021. 697  ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel
 ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel  ; RDI 2021. 372, obs. P. Dessuet
 ; RDI 2021. 372, obs. P. Dessuet  ).
).
Aussi, le fait que des désordres ont fait l’objet de réserves à l’occasion de la réception des travaux n’empêche pas le versement d’une indemnité couvrant les réparations nécessaires au titre de l’assurance dommages-ouvrages, et ce nonobstant la responsabilité contractuelle des constructeurs en la matière.
Toutefois, le Conseil d’État retient une erreur de droit commise par la Cour administrative d’appel de Douai, qui a reconnu la possibilité pour la société AXA France Iard de se prévaloir de la subrogation légale prévue par l’article 1346 du code civil (« La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »), en raison de son entrée en vigueur postérieurement au versement de l’indemnité litigieuse.
L’arrêt est donc annulé, uniquement en ce que la Cour administrative d’appel de Douai a statué sur la subrogation de la société AXA France Iard sur le fondement de l’article 1346 du code civil.
CE 31 oct. 2024, Société Bureau Veritas Construction, n° 488920
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