Assurance perte d’exploitation AXA : après les restaurateurs et les clauses d’exclusion de garantie, les hôteliers et la clause de définition de garantie
Après une longue série de décisions portant sur le contentieux opposant les restaurateurs à la compagnie AXA au sujet de la mise en œuvre de la garantie « multirisque professionnel » à la suite de la pandémie causée par le virus de la covid-19, c’est au tour des hôteliers d’entrer dans l’arène judiciaire et de se confronter à la grande prudence des juges en la matière. Toutefois, et bien que nous restions critique au sujet du contentieux portant sur la validité des clauses d’exclusion de garantie contenues dans les polices d’assurance conclues avec les restaurateurs, force est de constater que la décision présentée ici au sujet de l’appréciation de la clause de définition de garantie contenue dans les polices conclues avec les hôteliers nous paraît difficilement contestable. Oui, le confinement n’est pas une quarantaine…
La saga AXA, encore !
Le contentieux né de la mise en œuvre du contrat multirisque professionnel proposé par la société AXA peu avant la survenance de la pandémie liée au virus de la covid-19 a déjà longuement occupé les chroniques jurisprudentielles en général (des revues et chroniques spécialisées, v. par ex., L. Mayaux et A. Pimbert, Quand une interdiction vaut fermeture et quand un « lorsque » anéantit une exclusion, RGDA 2024, n° 3, p. 23 ; R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre, Droit des assurances, D. 2023. 1142
; des revues et chroniques plus fondamentales, v. par ex., M. Mekki et R. Boffa, Droit des contrats, D. 2024. 275
; H. Barbier, Specialia generalibus derogant : le droit spécial moins protecteur doit-il évincer le droit commun qui l’est davantage ?, RTD civ. 2023.859
) et les colonnes du Dalloz actualité en particulier (v. les références citées in J. Delayen, "Lorsque" l’interprétation écarte le caractère formel de la clause d’exclusion de garantie dans les garanties pertes d’exploitation d’AXA !, Dalloz actualité, 9 févr. 2024). On y a appris que la clause excluant « les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique » est une clause d’exclusion de garantie valable mais que l’emploi maladroit de la conjonction « lorsque » pouvait exceptionnellement conduire à son annulation (ibid.). Cette solution, que nous pensons toujours fondée bien plus en opportunité qu’en droit (J. Delayen, Bis repetita en matière d’assurance pertes d’exploitation sans dommages : les juges au carrefour des opportunités, Dalloz actualité, 2 févr. 2023), semble aujourd’hui bien établie. L’une des seules voies possibles de salut nous semble résider dans le fait de convaincre les juges qu’une solution favorable aux assurés n’aboutirait pas à un effondrement du secteur assurantiel.
La saga AXA, la suite
Aujourd’hui la question de la mise en œuvre de cette garantie se déplace doublement. D’une part, la décision commentée porte cette fois non plus sur les restaurateurs mais sur les hôteliers (après, il est vrai les traiteurs, A. Touzain, Garantie des pertes d’exploitation et covid-19 : cette fois, la clause d’exclusion n’est pas formelle… ou quand les traiteurs sont mieux traités que les restaurateurs, JCP E 2024. 40). Nous verrons à quel point cette précision est d’importance d’un point de vue juridique. Nous nous contenterons de souligner ici que le contentieux porte donc logiquement sur le contrat d’assurance « multirisque de l’hôtellerie » proposé par la société AXA et sur des clauses rédigées de manière sensiblement différente par rapport à celles rencontrées dans les contentieux précédents. D’autre part, la question ne porte plus ici sur la qualification et l’éventuelle validité d’une clause d’exclusion de garantie mais remonte quelque peu vers l’amont. Il s’agit en effet de s’interroger sur la première étape du raisonnement lorsqu’il s’agit de s’assurer de la mise en œuvre d’une garantie, celle consistant à déterminer si le sinistre entre bien dans l’objet de la garantie (on rappellera que la charge de la preuve pèse alors sur l’assuré). Le contexte d’espèce nous permettra de mieux éclairer ces deux glissements mais, une fois n’est pas coutume, le résumé des faits proposé par la Cour de cassation ne permettant pas de cerner avec suffisamment de précision les enjeux du contentieux ici présenté, c’est vers la décision contestée de la Cour d’appel de Paris du 7 septembre 2022, que nous nous tournerons.
Le contexte de l’affaire
Tout débute par des faits relativement communs. Trois professionnels, en l’occurrence ici des sociétés exploitant une activité d’hôtellerie 4 étoiles, concluent un contrat d’assurance comportant une garantie « perte d’exploitation ». Comme pour certains restaurateurs ayant donné lieu aux affaires précitées, grand bien leur en a pris, en tout cas en apparence, car peu de temps après la conclusion de ce contrat le 11 février 2020, furent adoptés les fameux actes réglementaires ayant institué un confinement sur l’ensemble du territoire français du 15 mars au 2 juin 2020. Ces contrats comportaient, et c’est là que commence l’originalité de l’affaire, une clause de garantie qui, à en croire la décision de la cour d’appel, était ainsi rédigée : « Cette garantie permet à l’entreprise assurée de se prémunir contre la perte du chiffre d’affaires résultant d’une interruption totale ou partielle de ses activités à la suite d’un évènement garanti, survenant dans les locaux et pour les activités désignées sur la première page de ce projet pendant la période d’indemnisation et de l’engagement de frais supplémentaires d’exploitation ». Or, toujours en citant la décision de la cour d’appel, « [a]u titre des évènements garantis, le contrat prévoit notamment : (…) - Arrêt d’activité totale ou partielle du fait de mesures administratives, sanitaires ou judiciaires, résultant d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine suite à un commencement de maladie infectieuse, contagieuse ou d’empoisonnement causé par la consommation sur place ou extérieure d’aliments ou de boissons fournies dans les locaux assurés, (…) - Une décision des autorités administratives provoquant la fermeture de l’établissement à condition que cette fermeture ne soit pas d’ordre pénal ». À la suite de l’adoption des actes gouvernementaux – nous verrons que ce point est important –, les hôteliers ont décidé de fermer leur établissement. Ils réclamèrent le 22 avril 2020, sans succès, une indemnisation auprès d’AXA. Une action fut introduite en vue, principalement, de forcer AXA à verser l’indemnité prévue au contrat. Il en résultera un rejet de l’ensemble des demandes de la part des juges de première instance, d’appel et, désormais, de la Cour de cassation au motif, essentiel, que le sinistre allégué par les assurées n’entrait pas dans l’objet de la garantie. Cela peut surprendre à première lecture si l’on se réfère aux clauses telles que nous les avons reproduites. Et pourtant, la solution nous paraît pleinement justifiée. Pour le comprendre il faut toutefois entrer dans les détails de la décision de la cour d’appel. En effet, si la Cour de cassation valide pleinement cette décision après un contrôle lourd (« en a exactement déduit que… »), il reste que, tenue par le cadre fixé au pourvoi, elle n’a examiné qu’une partie de la solution de la cour d’appel. Or, pour comprendre pleinement les enjeux de cette solution, il faut principalement étudier les « non-dits » de la Cour seuls à même d’éclairer la moindre importance des « dits ».
Les « non-dits » de la Cour de cassation
Deux questions préalables n’ont pas été traitées par la Cour de cassation alors qu’elles ont beaucoup occupé les juges du fond. Rien de plus normal à cela. Aucun point de droit n’a été soulevé à leur sujet. C’est que pour les demandeurs au pourvoi, fort logiquement, il ne servait à rien de les discuter et ce pour deux raisons. La première, tenant à l’interprétation de la clause de définition de la garantie, parce qu’elle leur était favorable. La seconde, tenant à l’absence d’application de l’une des deux clauses de définition des risques garantis, parce que juridiquement incontestable. Il faut toutefois les exposer pour bien comprendre les enjeux pratiques de l’affaire, notamment dans l’éventualité de contentieux futurs.
L’interprétation de la « survenance dans les locaux »
Le premier point d’opposition entre les juges du fond portait sur l’interprétation de la clause de définition de la garantie en ce qu’elle couvrait les pertes de chiffre d’affaires résultant d’une interruption de l’activité « à la suite d’un évènement garanti, survenant dans les locaux et pour les activités désignées sur la première page de ce projet » (nous soulignons). C’était en réalité le premier argument opposé par la société AXA pour refuser sa garantie. Elle avait ainsi rappelé aux assurés que « la condition expresse commune à ces deux clauses, à savoir la survenance d’un évènement garanti "dans les locaux de l’assuré", n’est pas remplie » et que « les parties ont expressément entendu lier la garantie des pertes d’exploitation à la survenance d’un événement dans les locaux de l’assuré ». Les juges de première instance avaient ainsi donné gain de cause à AXA en considérant que « les décisions administratives prises en considération par les sociétés hôtelières pour justifier leur demande d’indemnisation ne trouvent pas leur origine dans un fait survenu dans les locaux des assurées ». Ce point ne sera pas discuté devant la Cour de cassation car, fort opportunément et logiquement, la cour d’appel réforma cette interprétation en faveur des assurées, futures demandeuses au pourvoi. Elle retient en effet que « compte tenu de la ponctuation de la phrase marquée par une virgule entre "garanti" et "survenant" et de la cohérence entre cette disposition et les évènements qu’elle énonce ensuite, en ce sens que ce n’est pas l’évènement garanti qui survient dans les locaux mais l’interruption de l’activité qui survient dans les locaux du fait d’un évènement garanti tel que ceux énoncés ensuite et qui peuvent être extérieurs aux locaux tels que "tempête (…) carence des fournisseurs y compris carence d’énergie (…), décision des autorités administratives provoquant la fermeture de l’établissement (…) ». On ne saurait que trop être en accord avec cette décision et la juste interprétation qui sera donnée à cette clause.
Les hôteliers n’étaient pas concernés par les mesures d’interdiction d’accueil du public
L’interprétation de cette première clause étant rectifiée, restait à savoir si le sinistre dont se prévaut les assurées pouvait entrer dans les évènements garantis et définis dans la suite des clauses contenues dans la police. Parmi les deux clauses citées dans le rappel des faits, c’est la deuxième qui attire l’attention en ce qu’elle renvoie à « [u]ne décision des autorités administratives provoquant la fermeture de l’établissement à condition que cette fermeture ne soit pas d’ordre pénal ». La clause semble éminemment favorable aux assurées. Cependant, on souscrira volontiers à l’utile rappel de la cour d’appel qui souligne que « contrairement à ce que laissent entendre les appelantes, les mesures d’interdiction d’accueillir du public prises dans le cadre de la lutte contre la propagation du covid-19, dont elles indiquent qu’elles ont visé "l’ensemble des commerces non essentiels à la vie de la Nation", n’ont pas visé les hôtels ». Et effectivement, l’arrêté du 14 mars 2020 instituant l’interdiction pour certains établissements d’accueillir du public ne visait pas dans la liste des activités recensées par l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 auquel il renvoyait, la catégorie O, c’est-à-dire celle des « Hôtels et pensions de famille ». Ce sont donc les hôteliers qui, de leur propre chef, et non pas du fait d’une norme juridique, ont décidé de fermer leur établissement en l’espèce. Certes, cette absence de renvoi aux hôtels et pensions est certainement critiquable en pratique en ce que la situation des hôteliers paraît bien kafkaïenne (au sens commun, d’abord, tant il peut paraître absurde d’envisager l’ouverture d’un hôtel, qui ne soit pas lié à de l’hébergement d’urgence, dans un contexte où la population nationale est confinée chez elle et que les vols internationaux sont suspendus ; au sens plus strict, ensuite, plus littéraire, dès lors qu’il s’agit ici d’un effet pervers d’une pure construction de l’administration) mais, juridiquement, le raisonnement de la cour d’appel paraît à l’abri de la critique. Si bien que le pourvoi lui-même ne conteste pas ce point.
Les « dits » de la Cour de cassation
Reste à examiner ce que nous dit la Cour de cassation dans cette décision et qui, paradoxalement, est très certainement ce qui présente le moins d’intérêt. La question portait cette fois sur l’interprétation de la première clause de définition des évènements garantis, celle qui visait l’« arrêt d’activité totale ou partielle du fait de mesures administratives, sanitaires ou judiciaires, résultant d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine ». Il s’agissait de savoir si, comme l’a décidé la cour d’appel, la décision de confiner la population avait été prise par des « autorités sanitaires de mise en quarantaine » (le caractère administratif de ces autorités ne faisant pas débat). De proche en proche, et c’est sur ce point que la Cour de cassation répond, il s’agissait de déterminer si l’on pouvait considérer le confinement comme une mesure de quarantaine.
Le confinement n’est pas une quarantaine
Ici encore, on ne peut que souscrire à la solution retenue et par la cour d’appel et par la Cour de cassation. On ne peut confondre une mesure de confinement consistant en une mesure indifférenciée (peu importe que la personne soit ou non infectée) et généralisée (elle s’étend à toute la population) destinée à empêcher la circulation d’une maladie et une mesure de quarantaine qui, comme le rappelle utilement la Cour de cassation en s’appuyant sur l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005 définit la quarantaine « comme la restriction des activités et/ou la mise à l’écart des personnes suspectes qui ne sont pas malades ou des bagages, conteneurs, moyens de transport ou marchandises suspects, de façon à prévenir la propagation éventuelle de l’infection ou de la contamination » tout en précisant que par « suspect », on entend « des personnes, bagages, cargaisons, conteneurs, moyens de transport, marchandises ou colis postaux qu’un État partie considère comme ayant été exposés ou ayant pu être exposés à un risque pour la santé publique et susceptibles de constituer une source de propagation de maladies ».
De l’importance juridique du langage courant
On apprend finalement beaucoup de choses au détour des décisions rendues par la Cour de cassation dans la saga AXA. Certaines sont surprenantes : on peut parler d’épidémie lorsqu’elle ne touche qu’un établissement dans tout un département. D’autres sont évidentes : le confinement n’est pas une quarantaine. Certaines sont, enfin, discutables : la conjonction « lorsque » est imprécise. Et tout cela pour conduire dans l’immense majorité des cas au refus de la mise en œuvre de la garantie AXA. Qui a dit que le langage courant, les discours et les mots n’avaient aucun effet sur le réel ? Ou quand le droit se saisit du langage courant…
Civ. 2e, 30 mai 2024, F-B, n° 22-21.574
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