Assurance perte d’exploitation et covid-19 : confirmation de l’interprétation souple de la condition d’interdiction d’accès aux locaux
Par ces deux arrêts publiés, la Cour confirme sa volonté d’entendre souplement la condition d’« interdiction d’accès aux locaux émanant d’une autorité administrative » posée dans les contrats d’assurance perte d’exploitation. Sont cassés les arrêts de cour d’appel qui retiennent que l’« interdiction d’accès » s’entend seulement d’une défense absolue et générale d’accéder matériellement à des locaux.
Trois ans de discussions
Cela fait déjà trois ans que le contentieux de la mise en œuvre des garanties pertes d’exploitation à l’occasion de la crise de la covid-19 occupe les chroniques de jurisprudence. Trois ans que « la Cour de cassation avance sur une ligne de crête », tant en ce qui concerne la présentation, l’interprétation et l’application de la garantie, d’une part (A. Pélissier, Périlleuse lecture du contrat d’assurance : la Cour de cassation avance sur une ligne de crête, RGDA 2025. 48), que la validité de la clause d’exclusion de garantie, d’autre part, au sujet de laquelle « ce qui est clair » pour le juge du droit, « se conçoit pourtant [bien] mal » (D. Houtcieff, Gaz. Pal. 9 mai 2023. 4). Trois ans que la doctrine scrute de quel côté de la crête les juges pencheront. Trois ans qu’une partie d’entre elle guette chaque signe par lequel les juges pourraient montrer une volonté de faire droit aux demandes des assurés d’obtenir la garantie pour laquelle l’assureur s’était initialement engagé et pour lesquelles ils ont versé des primes parfois élevées. Avec ces deux nouvelles décisions, l’espoir né récemment en jurisprudence grandit encore. Elles confirment la bienveillance dont la Cour sait faire preuve dans l’interprétation des clauses du contrat relatives aux conditions de mise en œuvre de la garantie, là où, s’agissant de l’interprétation des termes des clauses d’exclusion du garantie, elle fait preuve d’une très grande sévérité. Pour bien comprendre ces décisions, revenons sur ces deux aspects essentiels de la définition du risque garanti.
La clause d’exclusion de garantie
C’est d’abord au sujet de la clause d’exclusion de garantie contenue dans les contrats AXA que la jurisprudence s’est prononcée. Par une première salve d’arrêts (Civ. 2e, 1er déc. 2022, n° 21-19.343, n° 21-15.392, n° 21-19.342 et n° 21-19.341 FS-P+B+R), la Cour de cassation nous offrait « une réponse » (S. Porcher, Dalloz actualité, 16 déc. 2022 ; D. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras
; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
) à une discussion doctrinale entamée pendant la période de confinement (P.-G. Marly, Covid-19, Assurance-0 ? Libre propos sur la couverture des pertes d’exploitation liées à la crise sanitaire, BJDA n° 68, mars 2020 ; R. Bigot et C. Rodet, Les enjeux de la pandémie sur l’assurance, in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 54 s.) et qui se traduisait déjà par un clivage marqué entre les juges du fond (v. la jurisprudence citée par F. Leduc, RDC 2/2023. 59, notes 1 à 15). Avec cette solution, qui a vite pu être interprétés comme une véritable « opération de délestage du contentieux des pertes d’exploitations AXA » (R. Bigot et A. Cayol, Lexbase Droit privé, n° 928, 15 déc. 2022), on apprenait en effet que la clause d’exclusion de garantie contenue dans les garanties AXA était valable dès lors que l’épidémie couverte par le contrat d’assurance pouvait être conventionnellement limitée à un seul commerce dans tout un département (sic). La Cour niait de ce fait la réelle spécificité d’une épidémie, laquelle n’est pas tant qu’elle touche une large part de la population mais qu’elle puisse potentiellement le faire, ce qui explique d’ailleurs l’extrême rapidité et la grande rigueur avec laquelle les autorités sanitaires interviennent (contra J. Kullmann, RGDA oct. 2020. 5). On y avait toutefois trop vite vu « l’épilogue d’un combat acharné autour d’une clause d’exclusion » (F. Leduc, art. préc.). Les affaires se sont en effet enchaînées montrant ainsi la résistance des assurés et le soutien courageux d’une partie des juges du fond. Mais la victoire des assureurs en 2022 n’était que la première d’une longue série. La solution a été largement réaffirmée (Civ. 2e, 19 janv. 2023, n° 21-21.516 FS-B+R, Dalloz actualité, 2 févr. 2023, obs. J. Delayen ; D. 2023. 176
; ibid. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras
; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
; AJDI 2023. 422
; ibid. 393, point de vue R. Bigot et A. Cayol
) avec force même (v. la nouvelle salve de décisions cassant 21 décisions de la CA Aix-en-Provence, Civ. 2e, 25 mai 2023, n° 21-24.684 (7 arrêts) ; 15 juin 2023, n° 22-12.986, (3 arrêts) ; 6 juill. 2023, n° 22-12.830, 11 arrêts). Elle fut renforcée encore sur le fondement de l’adage speciala generalibus derogant conduisant à exclure l’application de l’article 1131 du code civil (C. civ., nouv. art. 1169) au seul profit de l’article L. 113-1 du code des assurances (J. Kullman, RGDA nov. 2023. 17). En somme, en la matière, tout pourrait être aujourd’hui encore résumé par l’expression « circulez y a rien à voir » (D. Houtcieff, Gaz. Pal. 9 janv. 2024. 7). Une seule lueur d’espoir malgré tout, c’est « lorsque l’ambiguïté d’un « lorsque » rend l’exclusion non formelle » et permet d’obtenir la nullité de la clause (P. Giraudel, Gaz. Pal. 9 juill. 2024. 56). Cette planche de salut est certes fine mais solide au regard de la confirmation récente de la solution (Civ. 2e, 25 janv. 2024, n° 22-14.739 F-B, Dalloz actualité, 9 févr. 2024, obs. J. Delayen ; D. 2024. 213
; ibid. 1163, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
; LEDA mars 2024. 1 ; 20 juin 2024, n° 22-20.854, LEDA sept. 2024. 2, obs. S. Abravanel-Jolly ; 23 janv. 2025, n° 23-14.482, AJDI 2025. 206
; LEDA mars 2025. 2, obs. S. Abravanel-Jolly). Ou « quand les conjonctions de subordination viennent au secours de l’assuré » (M. Zaffagnini, Gaz. Pal. 5 mars 2024. 24) ! Tout cela explique peut-être pourquoi les arrêts rapportés dans cette chronique ne se penchent pas sur cette question. La question n’était-elle pas posée ? N’y avait-il pas de clause d’exclusion ou était-ce peine perdue ? Doit-on s’attendre à une prochaine décision portant cette fois sur la mise en œuvre de la clause d’exclusion ?
Objet de la garantie
Ces deux décisions témoignent donc du déplacement du contentieux opéré depuis quelques temps vers une question plus fondamentale, qui se situe intellectuellement en amont, celle de la détermination de l’objet de la garantie. En témoigne un arrêt du 30 mai 2024, qui après les restaurateurs et les clauses d’exclusion de garantie, vise les hôteliers et la clause de définition de garantie (J. Delayen, Dalloz actualité, 12 juin 2024, obs. sur Civ. 2e, 30 mai 2024, n° 22-21.574 F-B, RGDA 2024. 38, note D. Krajeski). C’est donc désormais sur la question de l’interprétation des clauses de définition du risque garanti que se focalisent requérants et juges. À ce titre, on apprendra que le terme « confinement » ne peut être assimilé à une « mise en quarantaine » (Civ. 2e, 30 mai 2024, n° 22-21.574 F-B, préc.) ou encore que les mesures réglementaires adoptées dans le cadre de l’épidémie, visant à interdire aux restaurants d’accueillir du public, induisent qu’il y a fermeture administrative au sens du contrat (Civ. 2e, 20 juin 2024, n° 22-20.854 F-D, BJDA 2024. Comm. 11, obs. L. Lefebvre ; RGDA 2024. 34, note L. Mayaux). Surtout, ce deuxième mouvement jurisprudentiel s’avère nettement « plus favorables aux assurés » (L. Mayaux, RGDA mai 2025. 32). C’est en effet ici que l’on retrouve les premières décisions leur donnant gain de cause. Un hôtelier d’abord (Civ. 2e, 13 mars 2025, n° 23-20.289 F-B, Dalloz actualité, 27 mars 2025, obs. J. Delayen ; RCA 2025. Comm. 111, note V. Tournaire ; BJDA n° 98, 1er mai 2025. Comm. 8, note L. Perdrix), des restaurateurs ensuite (Civ. 2e, 28 mai 2025, n° 24-11.006 et n° 23-20.093 F-B, Dalloz actualité, 16 juin 2025, obs. J. Delayen), une quarantaine d’hôteliers enfin (Civ. 2e, 19 juin 2025, n° 23-20290 ; sur lesquels, A. Pélissier, RGDA 2025. 48, préc.), souvent au prix de discussions sur l’articulation entre les conditions générales et les conditions particulières du contrat (L. Mayaux, art. préc. ; v. encore réc., Civ. 2e, 3 avr. 2025, n° 23-13.430 F-D, RGDA 2025. 11, obs. A. Pélissier). Chaque fois la Cour de cassation se montre plus encline à accepter le principe de l’indemnisation de l’assuré. Cela se traduit par une approche assez compréhensive des termes employés par le contrat. Cette interprétation, la Cour entend l’imposer à des juges du fond qui, depuis la jurisprudence sur les clauses d’exclusion, sont conditionnés à retenir une approche stricte des termes. C’est ainsi que « [p]our les juges du fond, "fermeture de l’établissement" ou "interdiction d’accès" = impossibilité absolue, donc impossibilité pour tous » alors que « pour la Cour de cassation, "fermeture" ou "interdiction" = impossibilité (absolue ou relative), donc impossibilité pouvant être partielle » (A. Pélissier, RGDA 2025. 48, préc.). La victoire des assurés n’est, pour autant, jamais acquise car « l’idée directrice [reste] que, lorsque sont garanties les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative, ce qui importe est d’identifier la manière dont le contrat entend cette dernière notion » (L. Mayaux, RGDA 2025. 28). C’est exactement l’esprit que l’on retrouve dans les deux arrêts rapportés.
Une confirmation jurisprudentielle
En cela, ces décisions ne présentent qu’un intérêt minime (si l’on excepte que l’une d’elle porte, pour la première fois à notre connaissance, sur un exploitant d’achat, de vente et de location de véhicule), mais malgré tout important pour les assurés, celui de confirmer l’ensemble de ce mouvement jurisprudentiel. C’est ainsi que dans la première affaire, la cour d’appel a pu retenir que « dans la mesure où l’expression "interdiction d’accès", qui ne renvoie à aucune notion juridique ou technique, n’est pas spécialement définie par les stipulations contractuelles, il convient de se référer à son acception courante, qui s’entend d’une défense absolue et générale d’accéder matériellement à des locaux ». Or, la décision est cassée car « les décrets du 15 mars 2020 et du 29 octobre 2020 avaient interdit aux commerces de vente d’accueillir du public, ce qui constituait, au sens de la stipulation contractuelle, une mesure d’interdiction d’accès aux locaux dans lesquels les assurées exploitaient leur fonds de commerce émanant des autorités administratives ». Dans la seconde affaire, pire encore, la cour d’appel « rappelle que les conditions générales du contrat prévoient la garantie des pertes d’exploitation que pourrait subir l’assurée "par suite de l’impossibilité d’accès résultant de l’empêchement total ou partiel d’accéder à l’exploitation assurée, émanant des autorités" » (nous soulignons). De la même manière, en ce que l’interdiction d’accueillir du public édictée par les textes, « caractérisait, au sens de la stipulation contractuelle, une impossibilité d’accès résultant de l’empêchement total ou partiel d’accéder aux locaux », la décision ne peut qu’être cassée. Nous évoquions dans une précédente note le rôle joué par les signaux envoyés par la Cour aux juges du fond. Nul doute que les 21 cassations des décisions de résistance de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence entre mai et juillet 2023 au sujet de la clause d’exclusion ont laissé des traces. La Cour s’affaire maintenant à redresser la barre quitte, pour ce faire, à s’ériger en juge du fait (en ce sens, P. Giraudel, Gaz. Pal. 1er juill. 2025. 52). Est-il encore possible d’espérer le même retournement en matière de clause d’exclusion ?
Civ. 2e, 18 sept. 2025, F-B, n° 23-22.957
Civ. 2e, 18 sept. 2025, F-B, n° 24-16.308
par Julien Delayen, Enseignant-chercheur à l'UPJV, membre du CEPRISCA
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