Assurance perte d’exploitation et covid-19 : les hôteliers exclus, par principe, du bénéfice de la garantie
Poursuivant son œuvre dans le contentieux de la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation dans le cadre de la pandémie de covid-19, la Cour de cassation rend une solution logique concernant les hôteliers. Ces derniers n’ayant pas été concernés par l’interdiction nationale d’accueillir du public, ils ne peuvent être considérés comme ayant subi une fermeture administrative. Cependant, une lecture plus attentive de la décision pourrait faire ressortir d’autres enseignements.
Un nouvel arrêt sur la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation à la suite de la crise de la covid-19
Les lecteurs réguliers de la rubrique assurance du Dalloz actualité savent à quel point le contentieux de la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation souscrite auprès principalement d’AXA (depuis Civ. 2e, 1er déc. 2022, n° 21-19.341, n° 21-19.342, n° 21-19.343 et n° 21-15.392, Dalloz actualité, 16 déc. 2022, obs. S. Porcher ; D. 2022. 2222
; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras
; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
) mais aussi de MMA (Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 21-23.268, Dalloz actualité, 13 déc. 2023, obs. R. Bigot et A. Cayol) ou plus récemment encore de la société Assurances du crédit mutuel IARD (Civ. 2e, 28 mai 2025, n° 24-11.006 F-B et n° 23-20.093 F-B, Dalloz actualité, 16 juin 2025, obs. J. Delayen) a pu susciter un contentieux nourri (depuis les arrêts de 2022, ce sont près d’une trentaine de décisions qui ont été rendues par la Cour de cassation) et une attention particulière de la doctrine (pour un résumé, v. B. Beignier et S. Ben Hadj-Yahia, Droit des assurances, 5e éd., LGDJ, 2024, p. 927 s., et les références citées note n° 207). Dernièrement, c’est la société d’assurance Axeria qui a fait une entrée remarquée dans ce contentieux avec sa garantie « Pupilles et papilles » laquelle garantissait les hôteliers contre, entre autres, les pertes d’exploitation en cas de fermeture sur décision administrative de l’établissement pour maladies ou infections contagieuses et qui, une fois n’est pas coutume, avait donné lieu à la mise en œuvre de la garantie au profit de l’assuré (Civ. 2e, 13 mars 2025, n° 23-20.289, Dalloz actualité, 27 mars 2025, obs. J. Delayen). La décision ici rapportée porte sur un contexte tout à fait similaire. La garantie offerte était identique et posait les mêmes problèmes d’interprétation. Cependant, au grand dam de l’hôtelier requérant, son activité ne s’exerçait pas à Lourdes mais à une quarantaine de kilomètres de là, à Gavarnie-Gèdre, petite commune du même département des Hautes-Pyrénées et proche d’un autre monument emblématique de la culture populaire nationale, et non dépourvue de tout mysticisme, la fameuse Brèche de Roland. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation à Lourdes ne s’est pas étendue à Gavarnie-Gèdre. La Cour de cassation, reprenant la position de la cour d’appel et, plus généralement, la position exprimée dans l’ensemble du contentieux rappelé, refuse de mettre en œuvre la garantie au profit de l’hôtelier. Sur un plan plus technique, la motivation de la solution paraît, au premier abord, extrêmement simple : dès lors que l’hôtelier n’exploitait pas son activité dans l’une des localités ayant fait l’objet, au nom de la lutte contre la covid-19, d’un renforcement local des mesures d’interdiction d’accueil du public, « l’établissement hôtelier assuré n’avait pas fait l’objet d’une fermeture sur décision administrative », « ce dont il résultait que les conditions de la garantie n’étaient pas réunies » (pt 11). L’intérêt de l’arrêt ressortira toutefois, chemin faisant, en entrant un peu plus dans le détail des « dits » et des « non-dits » de la Cour de cassation.
Exclusion de principe de la garantie pertes d’exploitation pour les hôteliers
Nous venons de le souligner, la solution de la Cour est a priori limpide. Elle repose sur l’idée évidente selon laquelle « [u]ne fois le contrat conclu, la garantie n’est due que si l’assuré réalise la condition, événement permanent qui affecte l’obligation de couverture du risque et qui est extérieur à celui-ci » (S. Abravanel-Jolly, Nécessité du maintien de la distinction entre exclusion et condition de garantie, D. 2012. 957
). Or, comme le précise la Cour de cassation, reprenant sur ce point la solution de la cour d’appel, « le contrat d’assurance [souscrit] garantit la perte d’exploitation due à la fermeture de l’établissement sur décision administrative en cas de maladies ou d’infections contagieuses » (pt 8). Il reste que « les arrêtés du ministère des solidarités et de la santé des 14 et 15 mars 2020 et le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ne s’appliquent pas aux hôtels, lesquels relèvent de la catégorie désignée sous la lettre "O" de l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980, repris dans ces décisions administratives » (pt 9), ce qui explique que « de nombreux hôtels [soient] restés ouverts entre le 15 mars et le 2 juin 2020 » (pt 9). Aucun doute sur ce point. Sur le fondement des seules dispositions nationales prises pour faire face à la crise sanitaire, et cités par l’arrêt, la lettre O de l’arrêté du 25 juin 1980 qui vise les « Hôtels et pensions de famille » n’est effectivement pas citée. Les activités d’hôtellerie n’étaient donc pas expressément visées par l’interdiction nationale d’accueillir du public. Du point de vue assurantiel, sans aucun doute encore, il faut en déduire que la mise en œuvre des garanties perte d’exploitation est, par principe, exclue en ce qui concerne les hôteliers dans le contexte de la crise de la covid-19.
Exclusion spéciale de la garantie pertes d’exploitation pour certains hôteliers des Hautes-Pyrénées
Plus spécifiquement, et l’arrêt du 13 mars 2025 précité l’avait déjà illustré, le préfet des Hautes-Pyrénées avait jugé opportun d’étendre, comme le permettaient les textes nationaux (et en conformité d’ailleurs avec la jurisprudence administrative, CE 18 avr. 1902, Commune de Néris-les-bains), le dispositif national d’interdiction d’accueil du public aux activités de « location, à titre touristique, des chambres d’hôtels ainsi que des meublés de tourisme ou de tout autre logement destiné à la location saisonnière » (Arr. préfectoral n° 65-2020-04-04-001 du 4 avr. 2020, art. 1er) dès lors que ces activités étaient situées sur le territoire de l’une des communes citées en annexe de l’arrêté préfectoral. Or, un rapide survol de ladite annexe permet de constater qu’au nombre des communes visées ne figure pas la ville de Gavarnie-Gèdre. Le pourvoi est donc fort logiquement rejeté et la décision de la cour d’appel définitivement validée.
Opportunité apparente d’une stratégie contentieuse fondée sur le grief de dénaturation
L’analyse pourrait bien s’arrêter là. Une certaine sensation d’inconfort reste toutefois. Elle tient au fait que la Cour de cassation ne semble aucunement avoir répondu aux arguments avancés par le pourvoi. Ces arguments étaient peu ou prou les mêmes que ceux qui avaient été avancées dans la décision du 13 mars 2025 précitée (on remarquera au passage que les demandeurs au pourvoi étaient représentés par le même cabinet dans les 2 affaires) et qui avaient abouti à donner gain de cause au requérant. En résumé, la stratégie judiciaire était claire : il s’agissait de remettre en cause l’interprétation du contrat d’assurance retenue par la cour d’appel, notamment en ce qui concerne l’articulation des conditions générales et particulières (entre les garanties en inclusion et les garanties en option, pt 6) et le fait de savoir si la fermeture administrative devait être en lien avec l’activité de l’assuré ou non (pt 7) en reprochant, chaque fois, aux juges du fond une dénaturation du contrat et une violation de l’ancien article 1134 du code civil (C. civ., nouv. art. 1103) pour ne pas avoir recherché la commune intention des parties. La stratégie était, par ailleurs, judicieuse et aurait dû conduire à la cassation pour dénaturation dès lors que l’attitude des juges du fond a été strictement la même dans cette décision que dans celle du 13 mars 2025 (pour le détail de ces arguments, nous renvoyons à nos obs. préc., Dalloz actualité, 27 mars 2025).
Inefficacité pourtant de la stratégie contentieuse fondée uniquement sur le grief de dénaturation
Pourtant, cette stratégie qui avait convaincu les juges le 13 mars 2025 n’a pas du tout le même effet ici. On pourrait s’en étonner. On pourrait d’autant plus le faire que la Cour, dans sa décision, ne prend même pas la peine de préciser pour quelle(s) raison(s) les moyens sont ainsi écartés, même sèchement. Or, en toute logique, la question de l’interprétation du contrat est première par rapport à celle du constat, ou non, de la réunion des conditions de mise en œuvre de la garantie. Comment en effet déterminer cette réunion si le sens des clauses est encore incertain ? Un premier enseignement pourrait en être tiré pour l’avenir et pourrait servir, par analogie, à d’autres contentieux. C’est que, telle que rédigée, la police « pupilles & papilles » semble bien faire entrer dans son champ, en tant que « fermeture de l’établissement sur décision administrative », les mesures d’interdiction d’accueil du public décidées pour faire face à la pandémie de covid-19. L’absence d’interprétation et le traitement par la Cour de la question, de fond, de l’application de la garantie nous semble aller en ce sens. Elle nous semble aussi définitivement condamner, dans la droite ligne de l’arrêt de mars 2025, l’interprétation des juges du fond qui entendait limiter la garantie à l’hypothèse des seules fermetures administratives qui seraient en lien direct avec l’activité de l’assurée (v. sur ces points, nos obs., préc., Dalloz actualité, 27 mars 2025). Mais pourquoi alors ne pas avoir prononcé la cassation pour dénaturation ou à tout le moins justifié l’absence de réponse aux arguments du pourvoi ? La réponse nous semble à trouver dans la recherche d’une certaine économie de moyens. Quelle aurait été en effet la conséquence d’une cassation de l’arrêt de la cour d’appel ? L’affaire aurait été renvoyée, certes, mais les juges, alignant leur interprétation de la convention sur celle de la Cour de cassation, auraient nécessairement abouti à la même solution que celle ici rendue. La ville de Gavarnie-Gèdre n’étant pas visée par l’arrêté préfectoral, seul le dispositif national d’interdiction d’accueil du public était applicable et on ne peut raisonnablement penser que les hôtels faisaient l’objet d’une quelconque fermeture administrative. La Cour fait ainsi l’économie d’une procédure plus longue qui aurait abouti exactement au même résultat. Si cette interprétation s’avérait être la bonne, on ne pourrait que souscrire à une telle volonté d’accélération du temps judiciaire. On aurait simplement aimé que cela soit plus clairement assumé.
Vérité en deçà des Pyrénées…
Pour conclure, cette affaire nous semble surtout interroger sur la technique administrative consistant à fixer une liste de communes spécifiques plutôt que de viser une zone géographique dans son ensemble. Certes, les mesures administratives d’interdiction doivent être proportionnées, mais les considérations de principe exposées dans l’arrêté préfectoral en cause visaient bien l’ensemble du territoire du département (Arr. portant sur la description de l’offre hôtelière du départementle, 3e consid.). C’est ainsi que le miracle de Lourdes n’aura pas irradié jusqu’aux portes de la Brèche de Roland alors qu’il pourrait s’appliquer à seulement vingt kilomètres de là, dans la commune de Luz-Saint-Sauveur visée par l’arrêté. Les joies des décisions administratives nous conduiraient presque à réécrire le fameux adage de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur à ses portes » !
Civ. 2e, 19 juin 2025, F-B, n° 23-20.325
par Julien Delayen, Enseignant-chercheur à l'UPJV, membre du CEPRISCA
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