Attention à la précision de la proposition de modification du contrat de travail !

Le refus d’une modification du contrat de travail opérée pour un motif économique peut justifier un licenciement. Une telle modification est encadrée par une procédure spécifique. Mais pour que ces règles s’appliquent, encore faut-il que la proposition de modification soit suffisamment précise rappelle la Cour de cassation.

"Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée". Voilà ce que nous dit l’article L. 1222-6 du code du travail. L’article L. 1233-3 pose de son côté que "constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail". A priori, pas de critères particuliers en ce qui concerne le contenu de la proposition de modification donc. Sauf que telle n’est pas la position de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans trois arrêts du 8 novembre, insiste bien sur l’importance de la précision de la proposition.

La proposition doit permettre de se positionner "en mesurant les conséquences de son choix"

Dans la première affaire (n° 22-10.350), la fermeture du centre optique où exerçait une salariée ayant été décidée, une modification du contrat de travail par transfert du lieu de travail lui a été proposée. A la suite de son refus l'employeur l'a licenciée pour motif économique, licenciement que la salariée a contesté. En effet, la proposition de modification ne mentionnait pas la date d'affectation définitive dans le nouveau centre optique et ne précisait pas le ou les lieux temporaires d'affectation de la salariée entre temps si elle acceptait la modification, indiquant juste qu'ils se situeraient dans les Landes. Elle soutenait donc que la proposition n’était ni sérieuse ni loyale, et ce d’autant plus qu’elle avait deux jeunes enfants à charge : l’employeur aurait donc "proposer un lieu d'affectation aléatoire incompatible avec sa vie de famille afin de la décourager".

Contrairement à la cour d’appel, la Cour de cassation s’est rangée du côté de la salariée. Elle déduit de l’article L. 1222-6 que l’employeur "est tenu de l'informer de ses nouvelles conditions d'emploi afin de lui permettre de prendre position sur l'offre qui lui est faite en mesurant les conséquences de son choix. A défaut, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse". Faute de date d’affectation définitive et de lieux temporaires d’affectation, elle estime en l’espèce que la proposition de modification du contrat n'était pas suffisamment précise pour permettre à l'intéressée de mesurer ces conséquences ; le licenciement ne pouvait être vu comme fondé sur une cause réelle et sérieuse. Peu important d’ailleurs que la salariée ait demandé ou non des précisions additionnelles suite à la proposition.

Le motif économique à l’origine de la proposition de modification doit clairement ressortir

Dans les deux autres affaires, c’est l’indication claire du motif économique entrainant la proposition de modification du contrat qui était en cause.

Concernant le pourvoi n° 22-11.369, une animatrice avait reçu une lettre lui notifiant qu'en application de l'article L. 1222-6 du code du travail, elle disposait d'un délai d'un mois à compter de la réception pour faire connaître son acceptation ou son refus d'une proposition de réduction de son temps de travail. Plus précisément, l’employeur lui avait fait savoir qu'il envisageait de réduire son temps de travail à 20 heures hebdomadaires avec une réduction de sa rémunération et il indiquait que l'activité de l'établissement ne permettait pas de conserver un temps complet et le conduisait à mettre en place une nouvelle organisation. Il avait ensuite considéré que la modification du temps de travail était valablement intervenue dès lors que la salariée ne l’avait refusée dans le délai d'un mois. C’est non pour la Haute cour : la procédure de l'article L. 1222-6 n'est applicable que lorsque l'employeur envisage la modification pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 1233-3 du code du travail, "de sorte que l'employeur, qui n'a pas mentionné dans la lettre de proposition de modification du contrat le motif économique pour lequel [elle] est envisagée ne peut se prévaloir, en l'absence de réponse du salarié dans le mois, d'une acceptation de la modification du contrat de travail". Puisqu’il n'était pas allégué que la réorganisation mentionnée dans la proposition résultait de difficultés économiques, de mutations technologiques ou qu'elle fût indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, la règle selon laquelle à défaut de réponse dans le délai d'un mois la salariée est réputée avoir accepté la modification ne s’appliquait donc pas, et la réduction du temps de travail ne pouvait lui être imposée.

Une position à nuancer avec la dernière affaire. Un salarié contestait le fait que son licenciement, suite à un refus de modification du contrat, soit considéré comme un licenciement économique car "la modification du contrat de travail pour motif économique est soumise aux formalités prescrites par l'article L. 1222-6 du code du travail ; l'employeur qui ne respecte ces formalités ne peut se prévaloir ni d'un refus ni d'une acceptation". Or la proposition comportait plusieurs motifs non économiques et un motif économique et ne respectait pas selon lui ces formalités. Fin de non-recevoir cette fois pour la chambre sociale. Elle relève que s’il n’était pas fait référence à l'article L. 1222-6 dans la proposition, elle précisait tout de même que la modification du contrat de travail était motivée par une réorganisation en cours, comportant la redéfinition des périmètres commerciaux des VRP, ayant pour objectif de préserver la compétitivité de l'activité commerciale afin de dynamiser les ventes et d'améliorer la situation économique de la société. D'autre part, elle indiquait que le salarié disposait d'un délai de réflexion d'un mois à compter de la date de présentation, silence valant acceptation. "Cette lettre s'analysait comme une proposition de modification du contrat de travail pour motif économique et la société pouvait se prévaloir du refus du salarié".

Ce n’est donc pas tant la mention de l’article L. 1222-6 dans la proposition qui compte que celle d’un véritable motif économique expliquant la modification proposée.

 

© Lefebvre Dalloz