Au CSM, on s’alarme d’un « mouvement extrêmement inquiétant » autour de la « fable du gouvernement des juges »
Mardi dernier, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a convié la presse à l’occasion de la remise de son rapport d’activité 2024. Une nouvelle occasion pour plusieurs de ses membres de condamner les atteintes portées à l’État de droit.
Le CSM intervient évidemment dans les nominations des magistrats – l’examen de la principale « transparence » de 2025 est d’ailleurs en cours, tandis qu’une promotion record d’auditeurs de justice s’apprête à quitter l’ENM –, mais c’est dans son rôle disciplinaire qu’une petite révolution est intervenue en 2024 : pour la toute première fois, le mécanisme de « saisine directe » par les justiciables a abouti, au mois de juin dernier, à une sanction disciplinaire : en l’espèce, il s’agissait d’un magistrat instructeur. Entré en vigueur en 2012, ce mode de saisine a donné lieu à des milliers de plaintes, mais qui n’ont que très rarement passé le filtre de la Commission d’admission des requêtes (CAR) : ce n’est arrivé que neuf fois pour des magistrats du siège – et encore jamais à ce jour du côté du parquet.
Une membre de l’une des (3) CAR précise qu’au cours de l’année 2024, le CSM a même reçu plus de 1 500 courriers de justiciables, mais que seuls 129 d’entre eux contenaient des plaintes recevables – et aucun n’a abouti à un renvoi devant l’une des deux formations. Une forme de « déperdition » pour laquelle le CSM avance classiquement plusieurs explications. Par exemple, une plainte doit véritablement viser le comportement d’un magistrat, et non une décision qu’il a rendue – ce n’est pas une voie de recours –, ou encore, le magistrat en question ne doit plus être saisi de l’affaire (un parquetier doit avoir quitté la juridiction). Une autre membre explique aussi qu’un certain nombre de plaintes « concernent des comportements à l’audience, par exemple, sur le ressenti que peuvent avoir des justiciables sur des propos qui peuvent être tenus, mais ça ne relève pas du disciplinaire ». Un autre encore précise cependant que toutes les décisions d’irrecevabilité sont portées à la connaissance des magistrats concernés et de leurs chefs de cours : « Nous essayons d’en faire quelque-chose ».
Depuis quelques mois maintenant (Loi organique n° 2023-1058 du 20 nov. 2023), le justiciable n’a plus aucun travail de qualification à opérer dans sa saisine : il peut se contenter de rapporter de simples faits, sans viser de « grief » précis, terme qui a disparu de l’ordonnance de 1958. Ce qui est heureux, vu le nombre – et parfois la subtilité – des manquements possibles : indépendance, impartialité, intégrité, probité, loyauté, dignité, délicatesse, réserve, etc. Sur cette même question, il faut noter que le recueil des obligations déontologiques des magistrats doit prochainement laisser la place à une nouvelle charte. Celle-ci « s’inspire des obligations qui figurent dans le serment [lequel a été modifié par la même loi organique de 2023, NDLR], mais précisées, complétées [et] enrichies », ajoute le procureur général près la Cour de cassation. Et le même de détailller : « Cette charte est en cours de finalisation, elle sera connue et diffusée au cours du dernier trimestre de 2025 ».
Mais l’une des principales missions du CSM reste « d’assister » le président de la République dans son rôle de « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » (Const., art. 64). Ce dernier s’étant montré – au mieux – du genre taiseux sur la question, le CSM s’est retrouvé en première ligne. Il y a quelques semaines encore, en mars 2025, après le délibéré du procès des assistants parlementaires du FN, le CSM s’était retrouvé bien seul à exprimer « son inquiétude face aux réactions virulentes, […] de nature à remettre en cause gravement l’indépendance de l’autorité judiciaire, fondement de l’État de droit », et à souligner que « les menaces visant personnellement les magistrats en charge du dossier, tout comme les prises de parole de responsables politiques […], en particulier au cours du délibéré, ne [pouvaient] être acceptées dans une société démocratique ».
Une membre du CSM, ancienne garde des Sceaux, précise qu’il y a « un mouvement extrêmement inquiétant qui est alimenté depuis [plusieurs années] autour de cette idée de gouvernement des juges. C’est évidemment une fable, sauf qu’elle prend, et notamment dans des milieux qui devraient résister à ça ». Le premier président de la Cour de cassation, pour sa part, souligne qu’alors que 2023 fut émaillée d’attaques contre l’institution dans son ensemble, en 2024, elles visaient « des magistrats eux-mêmes en tant que personnes ». Pour autant, souligne un membre, « il n’est pas question dans l’esprit des magistrats de rendre la justice en cagoule ». Même ligne du côté du « PG » : « Les décisions, elles sont rendues publiquement par des magistrats qui ne s’abritent pas derrière l’anonymat ».
© Lefebvre Dalloz