Au procès du « financement libyen », comptes de campagne et mystérieux informateur
Ces derniers jours, la 32e chambre correctionnelle s’est penchée sur les comptes de la campagne de 2007, sur fond de primes en liquide et de chambre forte. Jusqu’à ce qu’un correspondant anonyme de la défense entreprenne de tenter à son tour de « sauver Sarko »…
À en croire les éléments de langage martelés depuis des semaines à la barre en guise de réponse à toutes sortes de questions – même celles qui n’avaient pas grand-chose à voir –, l’ancien président attendait ce volet du dossier – celui du financement de sa campagne présidentielle de 2007 – de pied ferme. C’est Éric Woerth, trésorier à la fois de ladite campagne et du parti – qui s’appelait encore l’UMP – qui ouvre le bal. Il explique que son rôle consistait essentiellement à « centraliser l’ensemble des données, et notamment les dépenses », et surtout à « maîtriser le flux d’initiatives, […] sinon vous n’arrivez pas à maîtriser les plafonds ». Il est également question de la ventilation des frais entre l’association de financement et le parti. Deux sujets – plafond et ventilation – qui renvoient naturellement à la campagne suivante, celle – perdante – de 2012, dont les comptes avaient été rejetés, avant d’atterrir devant le tribunal correctionnel (Dalloz actualité, 1er oct. 2021, obs. P.-A. Souchard). Depuis, ils ont occupé la cour d’appel, qui a condamné Nicolas Sarkozy à une peine mixte – aménagée sous bracelet pour la partie ferme de six mois – puis donné lieu à un pourvoi – suspensif.
Il est établi que Éric Woerth a versé, « en fin de campagne », un peu « comme un pourboire », un certain nombre de primes exceptionnelles aux « petites mains » qui avaient « bien travaillé ». Des primes « sur salaire » pour certaines d’entre elles, mais occultes et en cash pour d’autres, à hauteur, selon l’ordonnance de renvoi (ORTC), d’un peu plus de 11 000 €. En procédure, le trésorier a indiqué avoir dispatché des « dons anonymes » – donc illicites –, pour un montant total de 30 à 35 000 €, mais ses explications sont un peu floues : il est question d’une dizaine de missives au moins, dont « la plupart contenaient bien plus de 3 000 € » – doublement illicite –, même si « celle dans laquelle il y avait le plus d’argent devait contenir 5 000 € ». Toujours est-il qu’une extrapolation d’un assistant spécialisé du TJ, basée sur le postulat selon lequel tous les collaborateurs qui n’ont pas eu de prime sur salaire en ont reçu une d’un montant équivalent en liquide, et accessoirement sur le même raisonnement s’agissant des notes de frais, fait grimper le total à plusieurs centaines de milliers d’euros. Woerth conteste : « On a utilisé une somme finie, et quand elle était finie, ben c’était fini ».
On reste bien loin des millions libyens que les enquêteurs ont traqué pendant une décennie, mais ces primes posent tout de même question, notamment parce qu’elles ne figurent nulle part dans les comptes de campagne. À la barre, Woerth rame un peu, mais articule code du travail et code électoral pour aboutir à la conclusion que ces primes n’étaient – par définition – pas prévues initialement dans les contrats de travail, et que leur versement était intervenu dans la toute dernière ligne droite, et n’avait donc pu concourir à obtenir des suffrages, serait-ce en motivant les collaborateurs. Reste que certains d’entre eux ont déposé du cash sur leurs comptes dès la mi-avril, soit avant le second tour, mais avant même le premier. « Cette prime, que récompensait-elle, [si ce n’est] le travail qui avait été fait avant ? », ponctue rhétoriquement le PNF. Woerth concède tout juste que « des cotisations sociales ont été évitées. […] Peut-être que ce n’est pas bien, mais c’est comme ça ». Véhément, il rappelle que ces évènements ne sont pas intervenus « dans la vie normale », mais « dans une campagne de dingue » « J’aurais pu les mettre dans ma poche, et on ne serait pas là pour en parler », conclut le trésorier.
Si ces sommes en liquide interrogent, c’est aussi parce que Claude Guéant – alors directeur de campagne – a loué à la même période – de mars à juillet 2007 – un coffre dans une banque des beaux quartiers parisiens. Un coffre, ou plutôt une chambre forte, et du genre maousse, dans laquelle il faisait ponctuellement des allers-retours, et dont il est au moins une fois ressorti avec un paquet rectangulaire décrit comme « imposant ». Lui explique y avoir entreposé de simples cartons de documents privés du futur président. Enfin, il y a une discordance manifeste entre les comptes de campagne de 2007 et ceux de 2012. Répondant indirectement à Sarkozy, qui avait déclaré en procédure que ces documents comptables – ceux de 2007 – avaient été « lasérisés », le PNF rappelle les modestes investigations dont ils ont fait l’objet, d’abord par la commission idoine – la CNCCFP –, puis par la justice elle-même. « Si on suit votre raisonnement », objecte Woerth, « si on n’a rien trouvé, c’est qu’on est coupables… ». Il explique cet écart entre 2007 et 2012 – quasiment du simple au double – par le fait que la seconde, mal barrée d’emblée (« il y a eu un petit effet panique »), avait de surcroît donné lieu, à l’initiative de Jean-François Copé, à l’interposition d’une « cascade d’emboîtages de sociétés » – dont la désormais célèbre Bygmalion – réalisant chacune une importante marge. Il finit d’ailleurs par s’agacer du parallèle entre les deux campagnes : « Tout à coup, Bygmalion devient une référence. Formidable… ».
« La corruption, c’est dur à prouver, surtout quand ça n’existe pas »
Place à Sarkozy qui, sur la même ligne, oppose la campagne version Woerth, un homme « d’une grande rigueur, voire un peu rigide », qui a tenu les comptes de manière « rigoureuse et propre », au grand foutoir de 2012. Au sujet des primes, tout d’abord, il dit ne pas voir « pourquoi on les paierait en chèques si on déborde de cash », avant de « rend[re] hommage [à Woerth] qui a eu la grande honnêteté de ne pas considérer que cet argent était pour lui ». Sur la chambre forte louée par Guéant, « un homme honnête [mais qui] a parfois pu faire preuve de naïveté », il soutient qu’il ne lui a « jamais demandé d’aller déposer ou chercher un dossier », avant de pointer que « cet argent, on en aurait eu besoin pendant la campagne, alors que, pendant [celle-ci], il n’est quasiment pas allé [à la banque] ». Sur les comptes de campagne, il concède que « 2012, ça s’est emballé, c’est vrai, mais pas 2007 », élection pour laquelle il avait « le vent dans les voiles » dans les sondages. Parfois, les questions du PNF tordent un peu la charge de la preuve, alors Sarkozy « remet l’église au milieu du village » : « Ce n’est pas parce que vous n’avez rien trouvé que les gens ont bien planqué. […] La corruption, c’est dur à prouver, surtout quand ça n’existe pas ». Sur ce point, il estime que les indices ne sont « ni graves, ni concordants ». Quelques jours plus tôt, il avait cependant lui-même – maladroitement – reconnu qu’ils étaient « graves, mais pas concordants ».
Après l’interrogatoire de personnalité, on passe à une demande d’expertise, formulée par son avocat. Ce dernier raconte avoir reçu, il y a un mois – soit une dizaine de jours après l’ouverture du procès – un mail d’un mystérieux expéditeur, remettant en cause l’authenticité de la note par laquelle Moussa Koussa – alors chef du renseignement extérieur libyen – aurait ordonné, en 2006, un versement de 50 millions, et publiée depuis par le journal en ligne Mediapart. « Une chose est certaine », aurait indiqué l’auteur dans le corps du message : « si vous prouvez que [c’est un faux], vous démontrerez que c’est un complot et votre client s’en sortira [blanchi] ». Il aurait ajouté, en pièce jointe, le fichier audio d’un échange « neutre » entre le « guide » libyen et Sarkozy – postérieur à l’élection de ce dernier. Ce qui, selon l’avocat, démontrerait deux choses : d’une part que les conversations de Kadhafi « faisaient bien l’objet d’enregistrements », et d’autre part, que ces enregistrements « sont toujours disponibles ». Dans ses conclusions, il a proposé que cet extrait soit passé à l’audience, mais le PNF et les avocats des parties civiles sont vent debout, invoquant « un problème d’égalité des armes », et en particulier de contradictoire. Sans compter que « je crois qu’il y a un effet de communication ».
La défense rétorque que « nous sommes dans une procédure orale », et accessoirement, qu’elle ne pouvait verser tel quel l’enregistrement sans prendre le risque d’être poursuivie pour complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Des confrères en ont effectivement fait les frais encore récemment dans le cadre de l’exercice de la défense pénale, même s’ils ont finalement été relaxés par le tribunal correctionnel (Dalloz actualité, 11 mai 2023, obs. J. Gallois), contrairement par exemple à un autre, mis en cause dans le cadre de son activité de conseil (Dalloz actualité, 4 juill. 2023, obs. A. Bloch). Quoi qu’il en soit, c’est un retour par la grande porte pour cette note par laquelle tout a commencé, et dont il fut finalement assez peu question, que ce soit dans l’ordonnance de renvoi ou au cours de ces semaines de débat.
Reste que ce pseudo-rebondissement est probablement à prendre avec quelques pincettes, vu les manœuvres un peu brouillonnes de certains proches de l’ancien président pour tenter de « sauver Sarko », comme dans l’opération de bras cassés du même nom – qui fait actuellement l’objet d’une instruction. Après avoir statué sur cette demande d’expertise, le tribunal se penchera sur d’autres volets, comme les fameux « tableaux de Guéant », dont ce dernier a invoqué la revente – au décuple de leur cote d’alors – pour justifier un virement suspect de 500 000 €. Le procès devrait se tenir jusqu’au 10 avril 2025.
© Lefebvre Dalloz