Audience de règlement amiable et césure du procès : entre conviction et déception

À compter du 1er novembre 2023, devant le tribunal judiciaire, les parties et le juge pourront utiliser deux nouveaux modes de résolution amiable des litiges : l’audience de règlement amiable (C. pr. civ., nouv. art. 774-1 s.) et la césure du procès (C. pr. civ., nouv. art. 807-1 s.).

L’annonce avait été faite le 5 janvier 2023. Dans la présentation à la presse de son plan d’action issu des Etats généraux de la justice, le ministre de la Justice, M. Dupond-Moretti avait affirmé vouloir lancer une véritable politique de l’amiable marquée notamment par la création de deux nouveaux modes de résolution amiable des litiges. C’est chose faite. Le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 inscrit dans le code de procédure civile l’audience de règlement amiable (ARA ; C. pr. civ., nouv. art. 774-1 s.) et la césure du procès (CP ; C. pr. civ., nouv. art. 807-1 s). La question s’est alors posée de la pertinence d’instaurer de nouveaux modes judiciaires de règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire (Nouveaux MARD : réaction mitigée de l’USM, Gaz. Pal. 29 août 2023, p. 4). En effet, à côté du très général article 21 du code de procédure civile qui énonce qu’« il entre dans la mission du juge de concilier les parties » et des articles 127 et 127-1 du même code qui confèrent, à tout juge, des pouvoirs d’incitation et d’injonction en matière de conciliation et de médiation, on trouve d’autres textes plus spécifiques. C’est le cas de l’article 750-1 du code de procédure civile qui, après avoir été mis en sommeil pendant huit mois, est à nouveau applicable pour les litiges inférieurs à 5 000 € ainsi que pour les litiges et les conflits de voisinage (G. Maugain, L’extraordinaire histoire de l’article 750-1 du code de procédure civile : le rétablissement, Dalloz actualité, 23 mai 2023). Pour toutes les autres hypothèses, les articles 820 et suivants du code de procédure civile permettent au justiciable d’adresser, au greffe du tribunal judiciaire, une requête aux fins de tentative préalable de conciliation. Mais compte tenu des avantages d’une solution consensuelle (obtenue plus rapidement, confidentiellement, mieux acceptée et plus facilement exécutée) et d’un intérêt de la pratique jugé encore trop faible, l’apparition de nouveaux modes facultatifs de résolution amiable ne peut être que saluée. L’idée est qu’en démultipliant l’offre, les parties, leurs avocats, les juges s’en saisissent plus volontiers, non pour réguler les flux, mais pour parvenir à des décisions de qualité. Il se pourrait que l’audience de règlement amiable, plus aboutie, remplisse cet office. Pour la césure de procès, telle qu’elle est consacrée dans le décret, cela semble plus incertain.

L’audience de règlement amiable

L’audience de règlement amiable (ARA) s’inspire de la Conférence de règlement amiable en matière civile (CRA) existant au Québec. Il s’agit de permettre aux parties, à tout moment de la procédure et pour des droits dont elles ont la libre disposition, de se retrouver devant un juge pour régler amiablement tout ou partie de leur litige. L’ARA telle qu’issue du décret du 29 juillet 2023 comporte de véritables points forts qui emportent la conviction malgré quelques doutes.

La conviction

Intégrée dans les dispositions communes à toutes les procédures se déroulant devant le tribunal judiciaire, l’ARA est un véritable instrument aux mains du juge « horloger du règlement du litige, [à] qu’il revient d’user de l’ensemble des possibilités que lui offrent les modes alternatifs aux règlements des litiges » (G. Bolard, De la déception à l’espoir : la conciliation, in Mélanges P. Hébraud, Toulouse, 1981, spéc. p. 121).

Cela se voit, premièrement, dans le déclenchement de l’ARA. C’est au juge, que ce soit le président de l’audience d’orientation, le juge de la mise en état, le juge du fond ou le juge des référés, que reviendra cette décision, soit à la demande de l’une des parties, soit d’office (C. pr. civ., nouv. art. 774-1). Ce pouvoir décisionnel semble particulièrement indiqué. Le juge, en ce qu’il connait le dossier tout en étant extérieur au litige, est le mieux placé pour apprécier la pertinence du recours à l’amiable. Il évitera ainsi des déclenchements dilatoires et favorisera le recours à l’ARA pour les seuls dossiers ayant une chance et/ou un intérêt d’aboutir à un règlement amiable, même partiel. On peut d’ailleurs imaginer qu’au moment de faire part aux parties de sa décision de les convoquer à une ARA, le juge prescripteur expliquera son choix afin qu’au-delà de son imperium, ce soit la raison qui emporte leur adhésion. Car théoriquement le juge peut imposer l’ARA, à la partie qui ne l’a pas sollicité ou à l’ensemble des parties en cas de déclenchement d’office. L’avis qu’il doit alors recueillir ne semble pas faire obstacle à l’ARA. Bien évidemment, si les parties sont récalcitrantes, le juge n’aura aucun intérêt à poursuivre son idée. Mais si les parties sont hésitantes ou ignorantes, le recours imposé par le juge est un véritable outil de promotion de l’amiable à privilégier par rapport au recours systématique, et de ce fait moins pertinent, imposé par les textes (G. Maugain, La modélisation du procès civil. Émergence d’un schéma procédural en droit interne, Thèse, Dijon, 2010, spéc. nos 35 s., p. 63 s.). Une évolution est d’ailleurs à noter de ce point de vue du côté de la Conférence de règlement amiable en matière civile québécoise. Jusqu’au 30 juin 2023, son déclenchement était laissé à l’entière discrétion des parties. Depuis, la CRA québécoise peut également être ordonnée par le juge. Enfin, qu’elle soit demandée ou prise d’office, la décision de convocation des parties à une audience de règlement amiable constitue une nouvelle cause d’interruption de l’instance et d’interruption du délai de péremption (C. pr. civ., art. 369, dernier al.).

Deuxièmement, l’audience de règlement amiable est tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement (C. pr. civ., nouv. art. 774-1 al. 1er in fine) ce qui doit emporter l’assentiment. Tout d’abord, il semble important que le tiers soit un juge car il crée une réelle alternative par rapport aux autre modes de résolution amiable. Le plus souvent, en effet, ces derniers se déroulent en présence d’un tiers qui n’est pas juge : médiateur, conciliateur de justice… Si cela convient parfaitement à certains justiciables, qui apprécient cette déjuridictionnalisation, parfois temporaire, d’autres peuvent se sentir dépossédés de leur droit d’accès au juge (alors même que les modes conventionnels de résolution amiable le laissent ouvert et que les modes judiciaires, s’incluent dans cet accès). La présence d’un juge peut les rassurer sur le sérieux accordé à leur litige. Ensuite, le fait que le juge conciliateur soit différent du juge prescripteur met fin aux questionnements relatifs à la confidentialité du processus et à l’impartialité du juge, qui après avoir tenté de concilier, pourrait reprendre l’instance contentieuse pour juger des points qui n’ont pas trouvé de solution. Ces questions se rencontrent quand le juge use de son pouvoir prévu à l’article 21 du code de procédure civile ou mène lui-même la tentative préalable de conciliation (C. pr. civ., art. 825). Autre point fort, le rôle du juge conciliateur, jamais décrit jusqu’à présent, semble se dessiner en filigrane. Il devra veiller à la confrontation équilibrée des points de vue des parties, à l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs tout en leur expliquant les principes juridiques applicables au litige (C. pr. civ., nouv. art. 774-2 al. 1er). Il pourra pour cela prendre connaissance des conclusions et des pièces échangées par les parties (C. pr. civ., nouv. art. 774-2, al. 2) et possèdera quelques pouvoirs d’instruction (C. pr. civ., nouv. art. 774-2, al. 3 et 4). Quant au déroulement de l’ARA, il est en partie décrit au nouvel article 774-3. Les parties sont convoquées à l’audience de règlement amiable, à la diligence du greffe, par tout moyen. La convocation précise que les parties doivent comparaître en personne. Lorsqu’elles ne sont pas dispensées de représentation obligatoire, les parties comparaissent assistées de leur avocat. Dans les autres cas, les parties peuvent être assistées dans les conditions prévues par l’article 762. Enfin, l’audience se tient en chambre du conseil, hors la présence du greffe, selon les modalités fixées par le juge chargé de l’audience de règlement amiable. Cette précision sur la non présence du greffier est importante. Elle nous a toujours semblé évidente pour accroître l’intimité propice à l’émergence d’une solution consensuelle. L’autre élément nécessaire à l’émergence d’une solution consensuelle est la confidentialité. Le principe est posé au 6e alinéa de l’article 774-3 avec deux exceptions qui sont classiques puisqu’inscrites à l’article 21-3 de la loi du 8 février 1995 relatif à la médiation. Il est fait exception à la confidentialité soit pour protéger d’importantes valeurs (ordre public, intérêt supérieur de l’enfant, intégrité physique et psychologique des personnes) soit pour assurer la mise en œuvre et l’exécution de l’accord.

Enfin, à l’issue de l’audience, les parties peuvent demander au juge chargé de l’audience de règlement amiable, assisté du greffier, de constater leur accord, total ou partiel comme cela se fait déjà en cas de conciliation judiciaire. L’accord, même partiel, est consignée dans un procès-verbal signé par les parties et le juge (C. pr. civ., nouv. art. 774-4, al. 1er renvoyant à C. pr. civ., art. 130). Des extraits du procès-verbal dressés par le juge peuvent être délivrés. Ils valent titre exécutoire. Le juge prescripteur n’ayant pas été dessaisi (C. pr. civ., nouv. art. 774-1, al. 2), le juge conciliateur l’informe qu’il a été mis fin à l’audience de règlement amiable et lui transmet le cas échéant, le procès-verbal d’accord (C. pr. civ., nouv. art. 774-4, al. 2).

Les doutes

Si l’ARA semble être un mode de résolution amiable des litiges très intéressant, des doutes subsistent. Le premier concerne l’affirmation du ministre de la Justice selon laquelle l’ARA doit permettre de diviser par deux, la durée d’un procès. Cela pourrait être le cas si l’ARA est proposée très en amont de l’instance, ce que rien ne garantit. Au contraire, la convocation à une telle audience pourrait intervenir tardivement, quand le juge aura une bonne connaissance du dossier et que les parties prendront conscience qu’une solution imposée risque de nuire à leurs intérêts. En outre, la recherche d’une solution amiable nécessite du temps. Enfin, en cas de résolution amiable partielle, l’instance devra être poursuivie. Le second doute concerne les moyens humains et matériels. Chaque ARA nécessitera la disponibilité d’un juge supplémentaire, par rapport à la formation de jugement. Il a été question de recourir aux magistrats à titre temporaire ou aux magistrats honoraires, mais ceux-ci sont déjà fort sollicités. Quant à l’annonce du recrutement de 1 500 juges dans les cinq prochaines années, il permettra à peine de combler nos besoins pour les missions actuelles du juge, il n’est pas sûr qu’il permettra de lui en confier de nouvelles. À cela s’ajoute le problème des locaux « pour réunir les parties et leurs conseils alors que les salles d’audience font défaut dans bien des juridictions » (bit.ly/USM_Mars2023)

La césure du procès

Le second processus consacré par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 est la césure du procès. Lorsqu’il a été présenté, il était question de s’inspirer cette fois-ci de la pratique néerlandaise et allemande. Le projet était ambitieux car sous-tendu par une philosophie différente, mais le résultat est décevant.

L’ambition

La plupart des modes actuels de résolution amiable des litiges sont construits sur le même modèle. Il s’agit de tenter de résoudre à l’amiable tout ce qui peut l’être, puis, si nécessaire, de demander au juge de trancher les difficultés restantes. Ces tentatives de résolution amiable, préalable à la décision du juge, ont plusieurs avantages : ne soumettre au juge que les points inextricables, restaurer entre les parties un minimum de dialogue indispensable, même pour une solution imposée… Il existe toutefois une hypothèse dans laquelle l’amiable est expressément prévu après la décision du juge, dans une recherche de responsabilisation des parties. Le juge aux affaires familiales peut, dans la décision statuant définitivement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, proposer aux parents une mesure de médiation afin de faciliter la recherche par les parents d’un exercice consensuel de l’autorité parentale (C. civ., art. 373-2-10, al. 2). C’est cette philosophie qui irriguait initialement la césure du procès. L’idée était de faire trancher par le juge la question de droit puis d’inciter les parties, accompagnées de leur avocat à s’entendre sur les conséquences et de terminer amiablement leur différend. Le principal intérêt est d’accélérer la procédure en allégeant la mise en état, puisqu’il n’est plus attendu des parties que tout soit dit et écrit sur la question de droit et ses suites. Le jugement partiel aurait eu autorité de la chose jugée sans être exécutoire de droit à titre provisoire. Et pour ne pas aboutir à un éclatement du litige en phase d’appel, il était admis que le droit d’appel ne serait intervenu qu’à l’issue du processus de l’amiable afin de favoriser l’émergence d’un compromis. À défaut d’accord, le juge aurait statué sur ces difficultés restantes.

La déception

Les magistrats et les avocats ont exprimé leur inquiétude relativement à ce nouveau dispositif qui, selon eux, risquait de complexifier la procédure, de retarder le règlement du litige en contradiction avec l’objectif poursuivi, et d’alourdir la charge de travail des magistrats et des greffiers » (F. Eudier, Césure et audience de règlement amiable dans le cadre du procès civil, AJ fam. 2023. 188 ). Cela explique sans doute que la césure telle qu’issue du décret du 29 juillet 2023 a une physionomie bien différente de celle présentée le 5 janvier. Beaucoup moins ambitieuse, elle semble inaboutie. D’ailleurs rien dans les nouveaux articles 807-1 et suivants du code de procédure civile ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’un mode de résolution amiable des litiges. Dans le cadre de la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire et sans considération de la nature du litige, la césure permettra aux parties de demander au juge de la mise en état la clôture partielle de l’instruction pour des prétentions qu’elles désigneront d’un commun accord. La demande prendra la forme d’un acte contresigné par avocat, outil que les avocats rechignent encore parfois à utiliser. Si le juge fait droit à la demande, il pourra être statué rapidement sur ces prétentions, la clôture de la mise en état partielle intervenant à une date aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries (C. pr. civ., nouv. art. 807-1, al. 3 et 4). Le jugement partiel tranchera les seules prétentions faisant objet de la clôture partielle. Le tribunal pourra même en ordonner l’exécution provisoire (C. pr. civ., nouv. art. 807-1, al. 3 et 4). Quant à l’appel, il sera immédiat et l’affaire sera appelée à bref délai (C. pr. civ., nouv. art. 905, al. 6). Enfin, la clôture de l’instruction pour les questions non tranchées ne pourra intervenir « avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours » (C. pr. civ., nouv. art. 807-3). Mais alors où est la promotion de l’amiable ? Seule la notice accompagnant le décret y fait mention : « La mise en état se poursuit à l’égard des prétentions qui n’ont pas fait l’objet de la clôture partielle. Les parties peuvent tirer les conséquences du jugement partiel sur leurs autres prétentions, notamment en recourant à une médiation ou une conciliation de justice ». Mais en l’état actuel des textes, il se pourrait que l’amiable n’intervienne jamais. Les parties peuvent tout aussi bien rester dans une position purement contentieuse et attendre que la mise en état des questions restantes soit close. Dans ces conditions, on voit mal comment la césure permettra de traiter « deux fois plus de contentieux, en deux fois moins de temps », comme l’a annoncé le ministre de la Justice.

 

© Lefebvre Dalloz