Audiences filmées : la Cour de cassation ouvre grand la porte de ses audiences
La justice doit donner à voir comment elle fonctionne et à quel point le droit joue un rôle de régulation sociale essentiel.
 
                            Pour la première fois, la Cour de cassation retransmet sur son site internet et ses réseaux sociaux le déroulement en intégralité de certaines de ses audiences.
Il faut rappeler que la loi, pour préserver la sérénité des débats, le droit à la vie privée et la sécurité des personnes concernées, pose un principe de prohibition d’enregistrement ou de diffusion des audiences devant les juridictions.
Une première exception existe depuis la loi « Badinter » du 11 juillet 1985 qui autorise la conservation des enregistrements audiovisuels lorsqu’ils présentent un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice. Ont été captés, entre autres, les procès de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon, mais aussi le procès AZF, ou encore, plus récemment, celui des attentats du 13 novembre 2015.
Depuis la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, il est également possible de retransmettre des audiences pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique. La Cour de cassation bénéficie d’un dispositif propre permettant une diffusion le jour même de l’enregistrement à l’initiative du premier président.
C’est ce dispositif que j’ai souhaité mettre en œuvre rapidement. J’ai privilégié, dans un premier temps, les formations solennelles de la Cour de cassation que sont les assemblées plénières et les chambres mixtes, compte tenu de l’intérêt et de la diversité des questions juridiques examinées.
Filmer ses audiences constitue une opportunité de montrer comment la Cour de cassation travaille concrètement. De façon plus générale, il s’agit de mieux faire connaître le processus judiciaire auprès des citoyens.
La justice participe à la régulation de la vie en société ; elle doit le faire savoir et l’expliquer. Ainsi, lors des trois premières audiences retransmises courant mars, la Cour de cassation a été amenée à se pencher sur les questions suivantes :
• La victime d’un accident ou sa famille conserve-t-elle le droit de saisir le juge civil lorsqu’elle n’a pas demandé au juge pénal de statuer sur la réparation de son préjudice dans l’hypothèse d’une relaxe du prévenu auquel étaient reprochés des blessures ou homicide involontaires ?
• En cas de fraude ou de fausse déclaration, des prestations de vieillesse indûment versées il y a plus de cinq ans peuvent-elles être réclamées par la CNAV ?
• Un ressortissant étranger peut être jugé devant une juridiction pénale française aux conditions que les faits commis sur des victimes étrangères qualifiés en droit français de crime contre l’humanité ou de crime ou délit de guerre soient punis par la législation de l’État où ils ont été commis et qu’il réside habituellement sur le territoire français. Comment faut-il interpréter ces conditions ?
Rappelons que la diffusion des audiences est entourée de garanties fortes. Elle se fait dans le respect des droits des parties puisque leur avis préalable est recueilli, comme celui du procureur général. Aucune des personnes enregistrées ne peut voir son image ou son identité identifiable si elle n’y a pas consenti avant le début de l’audience.
Ayant conscience de la grande nouveauté que représente cet élargissement considérable de la publicité des débats, j’ai veillé à ce que la mise en œuvre de la loi nouvelle soit précédée d’une phase de concertation et de dialogue, avec les magistrats et les membres du greffe, mais également avec l’ordre des avocats aux Conseils.
Nous avons par ailleurs bénéficié des expériences en la matière plus qu’utiles du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour bien comprendre le sens et la portée d’une audience à la Cour de cassation, les équipes, à ma demande, ont réalisé tout un ensemble de mesures d’accompagnement pédagogique : communiqué de presse avant l’audience sur la question de droit posée, capsule vidéo expliquant le déroulement de l’audience, le rôle des différents acteurs et l’office particulier de la Cour, insertion de textes explicatifs dans l’image lors de la diffusion de l’audience et communiqué de presse expliquant la décision, une fois celle-ci rendue.
De la sorte, nous guidons, dans la compréhension des enjeux de l’affaire, non seulement la communauté des juristes mais également les citoyens qui s’intéressent à la justice.
Le dispositif déjà mis en place a d’ailleurs démontré l’intensité de cet intérêt. Chacune des trois audiences diffusées le mois dernier a donné lieu à environ 5 000 connexions le jour même. La vidéo restant disponible en ligne, le nombre de connexions augmente avec le temps. Ainsi, la première audience filmée a fait l’objet à ce jour de plus de 14 000 connexions, la deuxième, 11 300, et la troisième, dont la diffusion est plus récente, 6 300.
Au terme d’un premier bilan, il me paraît important de souligner que la réussite du dispositif implique une grande préparation et repose sur une forte implication de l’ensemble des participants.
Présidant les audiences plénières, j’ai posé des questions à la fin des débats, ce qui a permis d’entamer, de façon inédite, un dialogue entre la formation de jugement, l’avocat général et les parties. Au-delà de l’aspect pédagogique et de l’ouverture qu’elle manifeste, cette expérimentation ouvre la voie à un travail de réflexion autour de l’audience publique et plus particulièrement d’une audience plus interactive, qui est une recommandation du rapport Cour de cassation 2030.
À l’issue d’une première phase concernant les audiences les plus solennelles de la Cour de cassation, j’entends élargir l’enregistrement et la diffusion à des audiences des différentes chambres qui composent la Cour.
Il apparaîtra alors à tous ceux qui regarderont ces audiences que les chambres de la Cour de cassation traitent chaque semaine des questions relatives à la vie personnelle, familiale ou professionnelle de chacun, en tenant compte des grandes évolutions de notre société.
Visionner les audiences filmées de la Cour de cassation.
© Lefebvre Dalloz