Authentification du mémoire devant la chambre de l’instruction

La recevabilité d’un mémoire adressé à la chambre de l’instruction s’apprécie à sa réception et suppose qu’il n’existe aucun doute sur l’identité de son auteur. Est irrecevable le mémoire signé « pour ordre » par le collaborateur de l’avocat désigné et adressé par sa propre messagerie sécurisée de communication électronique pénale.

Mis en examen des chefs d’association de malfaiteurs, tentative d’infractions à la législation sur les stupéfiants et tentative de vol en bande organisée, un individu a été placé en détention provisoire. Suivant appel, un mémoire a été déposé pour sa défense devant la chambre de l’instruction.

Établies sur le papier à en-tête de l’avocat désigné, les écritures étaient signées « pour ordre » par un avocat collaborateur, qui les avaient transmises au greffe via sa propre messagerie sécurisée de communication électronique pénale (CEP). Constatant que le mémoire n’était ni signé par l’avocat désigné, ni envoyé depuis sa messagerie CEP, ni accompagné d’une lettre de transmission signée de sa main, la chambre de l’instruction a finalement prononcé son irrecevabilité, en observant surabondamment que la qualité de collaborateur n’était pas même démontrée.

Devant la Cour de cassation, la défense a réprouvé une telle pratique, reprochant à la chambre de l’instruction de n’avoir pas vérifié ce point à l’audience auprès de l’avocat collaborateur qui y avait substitué l’avocat désigné, et dénonçant un formalisme excessif attentatoire aux droits de la défense. Par l’arrêt commenté, la chambre criminelle rejette le pourvoi, en considérant que l’irrecevabilité était justifiée et conforme aux exigences légales et conventionnelles.

Du dépôt de mémoire devant la chambre de l’instruction

Pour rappel, l’article 198 du code de procédure pénale prévoit que les parties et leurs avocats sont admis à produire des mémoires jusqu’au jour de l’audience. Ces écritures doivent être déposées au greffe de la chambre de l’instruction et visées par le greffier avec l’indication du jour et de l’heure du dépôt, ou sont adressées au greffier, au ministère public et aux autres parties par télécopie ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (LRAR) – le mémoire devant parvenir au plus tard la veille de l’audience, avant l’horaire de fermeture du greffe.

Il faut ici préciser que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire était venue simplifier la procédure de dépôt des mémoires devant la chambre de l’instruction : avant cette réforme, seuls les avocats n’exerçant pas dans la ville où siégeait la chambre de l’instruction pouvaient adresser leurs écritures par télécopie ou par LRAR ; les avocats exerçant près la juridiction étant, eux, nécessairement tenus de déposer leur mémoire directement au greffe.

Tout collaborateur ayant exercé au pénal avant l’avènement de la CEP a nécessairement connu cette démarche pressante visant à déposer un mémoire in extremis avant l’horaire de fermeture du greffe, ou cette demande d’adresser en dernière minute des écritures à l’heure, fatidique et stressante, où la ligne de télécopie du greffe s’avérait souvent surchargée des différentes transmissions faites alors qu’approchait l’échéance du délai légal.

Puis, à la faveur de la crise sanitaire résultant de la covid-19, la communication électronique pénale s’est développée, aboutissant à la conclusion d’une Convention du 5 février 2021 entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux. Depuis lors, les dispositions des articles D. 591 et suivants du code de procédure pénale énumèrent limitativement les demandes, déclarations, observations et productions qui peuvent être communiquées par la CEP, au nombre desquelles figure le dépôt des mémoires devant la chambre de l’instruction (C. pr. pén., art. D. 592).

De la transmission du mémoire et de l’identification certaine de son auteur

Quelles que soient les modalités de dépôt, la question du formalisme du mémoire a nourri un contentieux abondant, qu’il s’agisse de l’identité du déposant ou de l’absence de signature des écritures.

En ce qui concerne le dépôt effectué directement au greffe de la juridiction, la jurisprudence a très tôt considéré que l’article 198 n’exige pas que le mémoire soit remis par l’avocat en personne, ce qui autorise par exemple le dépôt effectué par la secrétaire de l’avocat (Crim. 4 août 1998, n° 98-81.428 P, D. 1998. 234 ) ou encore par un élève-avocat (Crim. 11 juill. 2023, n° 23-82.315, inédit). En ce qui concerne l’envoi par LRAR (qui ne saurait être réalisé par lettre simple, v. not., Crim. 25 sept. 2012, n° 11-84.428, inédit), la Cour de cassation a déjà pu confirmer l’irrecevabilité d’un mémoire signé « pour ordre », s’accompagnant d’une lettre de transmission signée dans les mêmes conditions, par une personne non identifiée (Crim. 4 sept. 2007, n° 07-84.571, inédit). En ce qui concerne l’envoi réalisé par télécopie, la chambre criminelle juge, de la même manière, qu’un mémoire non signé ne saisit pas valablement la juridiction (v. not., Crim. 13 janv. 2021, n° 20-80.511 P, Dalloz actualité, 28 janv. 2021, obs. M. Recotillet), sauf à ce qu’il soit accompagné d’une lettre de transmission paraphée ne laissant aucun doute sur l’identité de son auteur (v. not., Crim. 8 nov. 2000, n° 00-81.644 P, D. 2001. 181, et les obs. ).

Par une décision du 23 février 2022, ce courant jurisprudentiel a été élargi à la communication électronique pénale : un défaut de signature n’entraîne pas l’irrecevabilité du mémoire, dès lors qu’une telle transmission garantit l’identité de son auteur (Crim. 23 févr. 2022, n° 21-86.762, Dalloz actualité, 15 mars 2022, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2022. 399  ; AJ pénal 2022. 270  ; ibid. 162 et les obs. ). À peine d’irrecevabilité, l’envoi doit toutefois se faire depuis la messagerie électronique sécurisée (Crim. 13 déc. 2022, n° 22-81.108 P, Dalloz actualité, 30 janv. 2023, obs. C. Fauchon ; AJ pénal 2023. 100 et les obs. ), à destination de l’adresse CEP de la juridiction spécialement prévue à cet effet (Crim. 27 juill. 2022, n° 22-83.237, Dalloz actualité, 15 sept. 2022, obs. D. Goetz ; D. 2022. 1471  ; AJ pénal 2022. 442 et les obs. ), avant l’horaire de fermeture du greffe (Crim. 23 févr. 2022, n° 21-86.897, Dalloz actualité, 15 mars 2022, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2022. 270, obs. P. Mallet ).

Du mémoire signé « pour ordre » et adressé par le collaborateur depuis son adresse CEP personnelle

Au cas de l’espèce, pour valider la décision de la chambre de l’instruction, la Cour de cassation énonce que la recevabilité du mémoire adressé à cette juridiction s’apprécie à sa réception et suppose qu’il n’existe aucun doute sur l’identité de son auteur. Partant, elle considère que le mémoire signé « pour ordre » par un avocat se présentant comme collaborateur de l’avocat désigné en procédure et rédigé sur le papier à en-tête de ce dernier ne permet pas d’en identifier avec certitude l’auteur, dès lors que les écritures n’ont pas été expédiées au moyen de sa messagerie sécurisée.

Ce « contrôle instantané » de la recevabilité du mémoire semble procéder d’un durcissement de la jurisprudence : par le passé, l’envoi de pièces complémentaires par une télécopie signée de la main de l’avocat désigné, se référant expressément à la transmission antérieure d’un mémoire, a pu suffire à établir l’identité de l’auteur des écritures, quand bien même celles-ci auraient été initialement signées « pour ordre » et transmises par une personne non identifiée (Crim. 21 oct. 2008, n° 08-85.544, inédit).

La chambre criminelle poursuit en affirmant, sans restriction particulière, qu’il ne résulte d’aucune disposition conventionnelle ou légale qu’un « avocat qui n’a pas été personnellement désigné dans les formes prévues par l’article 115 du code de procédure pénale serait recevable à déposer un mémoire devant la chambre de l’instruction, quand bien même il serait le collaborateur de l’avocat désigné ».

Il ne faut sans doute pas faire une lecture trop hâtive et littérale de cette affirmation, qui, spontanément, paraît sujette à interprétation. Par son caractère générique, elle pourrait suggérer un revirement jurisprudentiel significatif, interdisant tout « dépôt », quelle qu’en soit la forme donc, par un avocat qui ne serait pas régulièrement désigné en procédure. Eu égard aux jurisprudences précitées, sans doute faut-il y préférer une lecture plus compréhensive, à la lumière des faits de l’espèce et des moyens de cassation proposés. Face aux incertitudes quant au véritable auteur de l’acte, il s’agirait alors uniquement d’exclure ici la faculté pour le collaborateur de prendre un mémoire « en son nom personnel » (non désigné en procédure, l’avocat collaborateur étant ici tout à la fois expéditeur CEP et unique signataire).

En pareille analyse, plusieurs questions resteraient alors en suspens, dès lors que la CEP est tout à la fois un canal de transmission et un élément d’identification. Si le mémoire avait été signé par l’avocat choisi ou accompagné d’un courrier de transmission paraphé de sa main, son envoi au moyen de la messagerie sécurisée du collaborateur aurait-il été jugé recevable ? Sous toutes réserves, la motivation adoptée par la chambre de l’instruction, à laquelle la chambre criminelle n’a manifestement pas trouvé à redire, suggère bien une réponse affirmative. Du reste, rien dans les dispositions applicables, dans la Convention conclue le 5 février 2021, voire dans les jurisprudences antérieures, ne paraîtrait devoir s’y opposer.

Qu’en serait-il alors de l’hypothèse inverse, à savoir celle d’un mémoire signé « pour ordre » par l’avocat collaborateur, puis transmis depuis la messagerie électronique sécurisée de l’avocat valablement désigné ? Une précédente affirmation de la Cour, selon laquelle l’identité de l’auteur des documents transmis par la CEP « est établie par l’identification à laquelle l’avocat a dû nécessairement procéder afin de se connecter à son adresse sécurisée, et effectuer l’envoi » (Crim. 23 févr. 2022, n° 21-86.762, préc.), devrait logiquement justifier la recevabilité d’un tel mémoire. Un telle solution semble d’autant plus probable que le considérant 11 de l’arrêt commenté s’appuie de manière déterminante sur le fait que le dépôt n’a pas été ici fait depuis la messagerie CEP de l’avocat désigné (sauf à considérer que l’arrêt commenté puisse proscrire la pratique de la « signature pour ordre », par le « doute » que pourrait créer la discordance entre le « signataire » et « l’expéditeur » ; toutefois, dans cette éventualité, on imagine qu’une telle prohibition aurait pu être formulée de manière beaucoup plus directe et intelligible).

Enfin, la chambre criminelle conclut en affirmant que l’exigence d’identification certaine de l’auteur du mémoire tend, d’une part, à assurer un juste équilibre entre le respect des droits de la défense et la nécessaire préservation de la sécurité juridique des procédures, d’autre part, à garantir le libre choix de son avocat par la personne mise en examen. Partant, elle considère qu’une telle exigence ne procède pas d’un formalisme excessif.

Du point de vue de la défense, on comprend difficilement en quoi la recevabilité du mémoire aurait pu ici compromettre la « sécurité juridique de la procédure ». Ce d’autant plus que ce même avocat collaborateur a donc été admis à intervenir devant la chambre de l’instruction pour y soutenir oralement ces écritures : doit-on le préciser au bénéfice d’une « substitution » de l’avocat désigné, laquelle, bien que communément admise, ne trouve d’ailleurs, sauf erreur, pas plus de fondement dans les dispositions légales applicables ?

Admettre l’intervention orale du collaborateur à l’audience tout en refusant ce mémoire écrit pourrait sembler tout à la fois stérile, contradictoire et inutilement vexatoire. Des questions plus profondes et récurrentes sont ici sous-jacentes, appelant certainement à une meilleure prise en compte législative des modalités pratiques d’exercice de la profession d’avocat.

 

Crim. 24 juin 2025, FS-B, n° 25-82.867

par Hugues Diaz, Avocat au barreau de Toulouse

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