Aval sur lettre de change irrégulière et requalification en cautionnement solidaire
Dans un arrêt rendu le 5 avril 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que si l’aval porté sur une lettre de change irrégulière peut constituer le commencement de preuve d’un cautionnement solidaire, celui-ci doit respecter les formalités concernant la mention manuscrite.
Les embranchements entre l’aval et le cautionnement sont assez classiques quand on se rappelle que le premier est une variété du second en matière de droit bancaire (M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 1132, n° 2344). Mais il arrive que l’effet de commerce garanti par l’aval soit irrégulier. Que faire alors de la garantie ainsi consentie ? C’est précisément cette piste qu’explore l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2023. Les faits sont assez classiques en la matière. Par acte du 19 février 2014, le gérant d’une société se porte avaliste d’une chaîne de lettres de change qui ont été tirées sur cette société au bénéfice de son fournisseur. Les lettres de change n’ont pas été réglées et la société de l’avaliste est placée en liquidation judiciaire. Le fournisseur, bénéficiaire des lettres de change, déclare donc sa créance et assigne en paiement l’avaliste en fondant son action à titre subsidiaire sur la qualité de caution de ce dernier. Ceci peut paraître curieux mais nous y reviendrons puisque les lettres de change étaient, en réalité, des lettres de change-relevé magnétique qui ne reposaient sur aucun titre soumis aux conditions de validité de l’article L. 511-1 du code de commerce. Les juges du fond requalifient, en appel, l’aval en cautionnement solidaire et condamnent la caution ainsi qualifiée à régler au fournisseur la somme de 156 708,85 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2017.
Celui qui a donné initialement son aval se pourvoit en cassation. Il argue que la garantie qu’il a pu octroyer ne pouvait pas constituer, en l’espèce, un cautionnement solidaire valable en l’absence de mention manuscrite conforme à l’article L. 341-2 du code de la consommation. La chambre commerciale de la Cour de cassation lui donne raison dans l’arrêt du 5 avril 2023 qui aboutit à une cassation pour défaut de base légale. La décision commentée permet d’examiner de plus près la porosité entre aval et cautionnement tout en posant des conditions essentielles pour une telle requalification.
De la lettre de change relevé-magnétique
Il faut noter que le lecteur peut être légèrement perdu en lisant l’arrêt commenté, surtout pour le non spécialiste des questions de droit bancaire. La décision n’explique pas, en effet, précisément pourquoi la lettre de change est, en l’espèce, irrégulière avant le paragraphe n° 13 qui est quasiment à la toute fin de l’arrêt. Ce paragraphe précise que « les lettres avalisées sont des lettres de change-relevé magnétique qui ne reposent pas sur un titre soumis aux conditions de validité de l’article L. 511-1 du code de commerce et constituent un simple procédé de recouvrement de créance dont la preuve de l’exécution relève du droit commun. L’engagement souscrit par M. [L] le 19 février 2014 ne peut donc pas constituer un aval au sens du droit cambiaire » (nous soulignons). Il aurait probablement fallu expliquer préalablement cette donnée du problème pour comprendre le cheminement des juges du fond qui avaient perçu la difficulté. Mais la cohérence de la technique de cassation ne l’a probablement permis car le moyen ne se fondait pas sur ce point précisément. Quoiqu’il en soit, la raison de la disqualification de l’aval concerné reste donc clair et en lien avec la qualification de lettres de change-relevé magnétique sur laquelle la Cour de cassation pourrait par ailleurs opportunément revenir en contemplation de la législation en vigueur (v. sur ces questions, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, op. cit., p. 1112, n° 2276).
C’est la raison pour laquelle les juges du fond avaient considéré nécessaire de requalifier l’acte. Puisqu’il ne s’agissait pas réellement d’une lettre de change, la garantie considérée ne pouvait pas être un aval de sorte que l’on pouvait se demander si les parties pouvaient discuter la qualification de cautionnement à défaut. Ce qu’il faut noter dans l’arrêt du 5 avril 2023 est la grande porosité entre les concepts dans le cas d’un effet de commerce irrégulier. Là où l’on pourrait croire que la garantie est alors privée de tout effet, la Cour de cassation admet le principe de sa requalification mais simplement comme un « commencement de preuve d’un cautionnement solidaire » (pt n° 8 de l’arrêt commenté). Cette admission reste particulièrement intéressante car elle rappelle une position déjà connue dans un arrêt inédit de la chambre commerciale de la Cour de cassation calquant la même motivation autour du commencement de preuve (Com. 29 nov. 2017, n° 16-13.597). L’arrêt commenté est, quant à lui, promis aux honneurs du Bulletin.
Mais cette requalification ne se fait pas sans condition, encore faut-il respecter les mentions obligatoires en la matière.
De la requalification en cautionnement solidaire
On ne saurait reprocher à la chambre commerciale l’exigence qu’elle pose au point n° 8 de son arrêt quand elle estime qu’un tel cautionnement solidaire (l’aval requalifié, donc) doit être nul s’il ne porte pas la mention manuscrite de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 puisque l’acte en question date du 19 février 2014. Le raisonnement des juges du fond était partiellement exact puisqu’il traitait correctement le commencement de preuve en le complétant d’un élément extrinsèque, à savoir la qualité de gérant prouvant l’intention de cautionner la société qu’il dirigeait (pt n° 9). Mais en se fondant sur l’article 2288 ancien du code civil sans interroger la mention manuscrite du code de la consommation, le défaut de base légale était inévitable faute d’avoir vérifié si la formule avait été respectée.
On notera que la Cour de cassation en profite pour statuer au fond conformément aux articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile. En faisant ainsi, elle donne à la cassation pour défaut de base légale une amplitude importante puisque la chambre commerciale renverse complètement la solution des juges du fond en analysant les pièces des parties pour juger que l’acte en question ne comporte pas les mentions manuscrites de l’article L. 341-2 du code de la consommation. Elle ne permet donc pas la requalification ici. De ce raisonnement en cascade qui consiste, d’une part, à disqualifier l’aval en commencement de preuve d’un cautionnement solidaire puis, d’autre part, à vérifier si celui-ci respecte les conditions de la mention manuscrite du code de la consommation alors applicable, on peut tirer comme conséquence une volonté de livrer une véritable méthodologie en présence d’un aval sur effet de commerce irrégulier. La requalification qui peut en résulter n’est pas automatique, encore faut-il que les conditions de validité du cautionnement soient réunies. Autant dire que si la possibilité est théoriquement possible, la réalité est différente car il faudrait anticiper la requalification en amont en prévoyant une mention de solidarité respectueuse des textes du cautionnement.
On notera qu’au lendemain de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, cette solution sera certainement transposable, dans une certaine mesure du moins. La nouvelle mention apposée de l’article 2297 du code civil est, en effet, exigée à peine de nullité. La différence se portera sur la substitution du recopiage servile d’une formule à une mention imaginée par les parties mais respectant les éléments cités au nouvel article 2297. En tout état de cause, l’arrêt du 5 avril 2023 pourra parfaitement être utilisé en adaptant la solution à cette nouvelle mention uniformisée dans le code civil. Il ne resterait alors plus qu’à faire évoluer la jurisprudence sur la lettre de change relevé-magnétique qui peut être sujette à quelques critiques des spécialistes du droit bancaire.
© Lefebvre Dalloz