Avec le flou budgétaire, des craintes autour des investissements numériques du ministère de la Justice

Des sénateurs avaient alerté sur l’importance de maintenir les investissements dans le numérique de la Place Vendôme.

« Concernant les dépenses d’investissement, seuls continueront à être financés les projets déjà en cours de réalisation et les projets faisant l’objet d’un besoin urgent et avéré », une régulation budgétaire renforcée pour « préserver les marges d’action » du futur gouvernement et « ne pas entraver le redressement de nos comptes ». Voici le cadre posé par l’ancien Premier ministre Michel Barnier, avant son départ de Matignon, dans sa circulaire du 12 décembre 2024 qui reste pour l’instant en vigueur en attendant l’adoption d’une loi de finances pour 2025.

Résultat : une situation floue Place Vendôme, comme dans les autres ministères.

Ces incertitudes budgétaires suscitent des craintes alors que d’importants investissements numériques sont en cours. Des projets justement critiques au vu du retard accumulé par l’administration, avec « des infrastructures informatiques vieillissantes et sous-dimensionnées, des applications obsolètes et des équipements insuffisants », comme le dénonçait en 2022 la Cour des comptes. « C’est une inquiétude, car cette partie du budget a besoin de stabilité, signale à Dalloz actualité Alexandra Vaillant, la secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats. Ces projets s’inscrivent dans le moyen et le long terme. Cela nécessite donc de la perspective, une prévisibilité budgétaire que nous n’avons pas à ce stade. »

Rapports sénatoriaux

Avant la chute du gouvernement Barnier, ces inquiétudes sur le budget consacré au numérique avaient déjà été relayées par des sénateurs lors de l’examen du projet de loi de finances initial. Certes, dans leur rapport pour avis sur la justice judiciaire et l’accès au droit, les sénatrices Lauriane Josende (Les Républicains) et Dominique Vérien (Union centriste) relevaient que l’arbitrage budgétaire annoncé par le garde des Sceaux à la fin octobre « permettrait de préserver le schéma de recrutement net du ministère et l’essentiel de ses investissements numériques », avec 49 millions d’euros supplémentaires pour les projets Portalis (la dématérialisation de la procédure civile), Prisme (le progiciel de gestion des dossiers de personnes placées sous main de justice) et la procédure pénale numérique.

Mais, poursuivaient-elles, « plusieurs volets de la politique informatique et numérique de la Chancellerie suscitent l’inquiétude durable des agents du ministère, qui avait été accentuée par la baisse initialement prévue des crédits attribués à ces actions ». Et de citer les dysfonctionnements du logiciel pour les services pénaux Cassiopée, l’expérimentation peu concluante de Portalis auprès des conseils de prud’hommes et de certains juges aux affaires familiales, et les difficultés autour de la substitution de Prisme à APPI. « Le maintien, voire l’augmentation, des crédits qui sont alloués » à la politique numérique « apparaît donc comme une condition primordiale, mais insuffisante », résumaient les deux élues.

Révision des objectifs

Dans son rapport sur les crédits de la justice pour la commission des finances, le sénateur Antoine Lefèvre (Les Républicains) relevait également à propos des projets informatiques du ministère qu’il « sera difficile » en 2025 de les « faire avancer au rythme prévu antérieurement ». « Selon l’administration, ces crédits permettent d’assurer le maintien en condition opérationnelle du socle numérique et des applications informatiques existantes, mais imposera une révision de certains des objectifs du plan de transformation numérique », soulignait l’élu.

« Les restrictions budgétaires risquent d’entraver la nécessaire transformation numérique du ministère de la Justice », alors que de nombreux applicatifs sont aujourd’hui décrits comme « obsolètes » ou ont mal pris en compte les besoins des utilisateurs, avertissait également le sénateur. Le second plan de transformation numérique, présenté dans le cadre de la loi de programmation 2023-2027, « a indéniablement créé des espoirs importants d’amélioration des équipements et de meilleure conduite des projets, après des quasi-échecs tels que celui du projet Cassiopée, rappelait-il. Ces espoirs risquent toutefois d’être partiellement déçus par les restrictions budgétaires. »

 

© Lefebvre Dalloz