Avis à la victime et au fonds de garantie : possibilité d’un avis adressé par le mandataire de l’assureur

L’article R. 421-5 du code des assurances n’interdit pas à l’assureur de donner mandat à un courtier pour informer le FGAO et la victime, ou ses ayants-droit, que le sinistre n’est pas garanti.

L’affaire. Le 16 mars 2013, lors d’une manifestation de moto-cross organisée sur son circuit par une association affiliée auprès de la Fédération française de motocyclisme, un motard a chuté et sa moto a percuté un groupe de spectateurs, blessant grièvement deux enfants, alors âgés de 10 et 11 ans. Un tribunal correctionnel a, par jugement définitif du 8 décembre 2016, déclaré un bénévole de l’association, qui avait indiqué aux enfants là où ils devaient se placer, et l’association, coupables des délits de blessures involontaires à leur encontre.

Les parents de l’un des enfants, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux, ont saisi un juge des référés, qui, par ordonnance du 25 novembre 2013, a, notamment, donné acte au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages de son intervention volontaire (FGAO), ordonné une expertise médicale de l’enfant et condamné l’assureur à verser aux parents, ès qualités, une provision à valoir sur l’indemnisation de leurs préjudices et de celui de leur fils. Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 18 décembre 2013, un courtier a déclaré au FGAO, ainsi qu’aux intéressés, que l’assureur estimait que sa garantie n’était pas due, dès lors que l’accident était survenu au cours d’une manifestation en présence de spectateurs et non d’un simple entraînement.

L’assureur a assigné devant un tribunal de grande instance les parents de jeunes victimes, l’association, le motard ainsi que le bénévole, afin qu’il soit jugé que sa garantie n’était pas acquise. Le FGAO est intervenu à l’instance. 

Par un arrêt en date du 12 mai 2021, la Cour d’appel d’Agen a jugé que la garantie de l’assureur n’était pas acquise et, en conséquence, a rejeté les demandes présentées à son encontre. Elle a déclaré le FGAO et l’association tenus d’indemniser l’ensemble des préjudices subis par les victimes et leurs parents du fait de l’accident de la circulation survenu le 16 mars 2013 et a fixé les montants des provisions dues à chacun.

Les pourvois et la position de la deuxième chambre civile. La décision de la cour d’appel a été suivie de plusieurs pourvois, dont ceux du FGAO et du motard. Tous deux estiment que les formalités de l’article R. 421-5 du code des assurances sont à la charge du seul assureur et critiquent l’arrêt d’appel en ce qu’il a admis qu’un mandataire de l’assureur pouvait l’accomplir à sa place. La réponse de la deuxième chambre civile est très claire : « Selon l’article R. 421-5 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2018-229 du 30 mars 2018, lorsque l’assureur entend invoquer la nullité du contrat d’assurance, sa suspension ou la suspension de la garantie, une non-assurance ou une assurance partielle opposables à la victime ou à ses ayants droit, il doit, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, le déclarer au FGAO et en aviser en même temps et dans les mêmes formes la victime ou ses ayants droit. Ni cet article ni aucun autre texte n’interdisent que ces lettres soient adressées par le mandataire de l’assureur. C’est donc par une exacte application de ces dispositions que la cour d’appel a retenu que l’assureur avait satisfait aux exigences de l’article précité par la lettre adressée au FGAO par son courtier, le 18 décembre 2013, expliquant le motif de non-garantie » (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-20.286, pts 11 à 13).

Par ailleurs, le FGAO s’attaque au mandat : d’une part, l’assureur n’aurait pas produit en justice le mandat dont il se prévaut envers le courtier pour la gestion des sinistres survenus à l’occasion de la pratique de sports mécaniques. D’autre part, l’assureur se serait constitué à lui-même un titre, ce qui porterait atteinte à l’article 1353 du code civil, en produisant seulement une attestation, rédigée par ses soins, du mandat qu’il aurait confié au courtier.

Une solution inédite en droit des assurances 

En l’espèce, la question s’est posée de savoir si seul l’assureur pouvait valablement accomplir les formalités prescrites par l’article R. 421-5, alinéa 1er, du code des assurances. Pour mémoire, le texte, dans sa version applicable à la cause, indiquait : « Lorsque l’assureur entend invoquer la nullité du contrat d’assurance, sa suspension ou la suspension de la garantie, une non-assurance ou une assurance partielle opposables à la victime ou à ses ayants droit, il doit, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, le déclarer au fonds de garantie et joindre à sa déclaration les pièces justificatives de son exception ; il doit en aviser en même temps et dans les mêmes formes la victime ou ses ayants droit en précisant le numéro du contrat ».

Ce texte, qui concerne naturellement l’assurance de responsabilité automobile obligatoire, s’applique aussi à d’autres assurances, non obligatoires, telles que l’assurance responsabilité civile vie privée (Civ. 2e, 13 janv. 2012, D. 2013. 1981, obs. H. Groutel  ; RCA 2012, n° 130, note H. Groutel ; RGDA 2012. 690, note J. Landel). Sa parfaite exécution conditionne l’opposabilité des exceptions dont l’assureur pourrait se prévaloir à l’égard du FGAO et des victimes (Crim. 1er sept. 2015, n° 14-83.357, RCA 2015, n° 341, note H. Groutel ; RGDA 2015. 473, note J. Landel ; 21 mars 2017, n° 16-81.377, RGDA 2017. 314, note J. Landel). Une récente décision illustre que l’assureur d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation, qui a indemnisé la victime et exerce un recours subrogatoire contre l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans le même accident, peut se prévaloir du non-respect de ces formalités pour contester l’exception de non-garantie opposée par ce dernier (Civ. 2e, 30 mars 2023, n° 21-22.392, RGDA juill.-août 2023. 35, note J. Landel). Selon la lettre même du texte, l’assureur doit adresser un courrier recommandé (ou bien encore un envoi recommandé électronique, comme l’a ajouté le décr. n° 2018-229 du 30 mars 2018 relatif à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier) et joindre à sa déclaration les pièces justificatives de son exception. L’avis de réception est essentiel pour faire courir le délai de trois mois ouvert au FGAO, selon les termes de l’article R. 421-6 du code des assurances, pour contester l’exception invoquée (Civ. 1re, 19 déc. 1973, n° 72-12.887, D. 1975. 140, note C. J. Berr et H. Groutel). 

C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation prend position sur la validité de l’accomplissement de la formalité par un mandataire de l’assureur. La solution peut surprendre, tant la jurisprudence, depuis des années, se montrait particulièrement stricte sur l’application du texte. En témoigne un florilège de décisions :

  • l’expression « en même temps » est interprétée de manière littérale. Elle implique que l’envoi des lettres au FGAO et à la victime doit être concomitant : « viole l’article R. 421-5 la cour d’appel qui retient que les dispositions de cet article ont été respectées, alors que, datée du 2 mars 2000, la lettre adressée à la victime n’était pas concomitante à celle adressée au Fonds le 8 février 2000 » (Civ. 2e, 7 déc. 2006, n° 05-20.030, Dalloz actualité, 5 janv. 2007, obs. G. Bruguière-Fontenille ; D. 2007. 153  ; Gaz. Pal. 6 nov. 2007, p. 24, note X. Leducq ; RCA 2007, n° 105, et Étude 5, par H. Groutel ; RGDA 2007. 85, note J. Landel).
  • une identité de l’information s’impose. Une cour d’appel a pu déclarer irrecevable l’exception de non-garantie invoquée par l’assureur qui avait adressé aux parents de la victime des lettres recommandées ne mentionnant pas le numéro du contrat d’assurance et ne les avait donc pas avisés dans les mêmes formes que le Fonds de garantie des assurances obligatoires (Crim. 1er sept. 2015, préc.). Les victimes n’avaient pas à rapporter la preuve d’un grief.
  • l’information prescrite par l’article R. 421-5, alinéa 1er, du code des assurances délivrée à l’assureur de protection juridique de la victime (Crim. 14 oct. 1998, RGDA 1999. 119, note J. Landel), au conseil de celle-ci (Crim. 21 mars 2017, n° 16-81.377, RGDA 2017. 314, note J. Landel) ou bien encore à son assureur (Crim. 8 déc. 2015, n° 15-80.338, RCA 2016, n° 101, note H. Groutel) est sans effet.
  • l’erreur initiale commise dans les formalités n’est pas rattrapable. En effet, il a été jugé que la réitération des courriers prévus par l’article R. 421-5 ne peut pas corriger l’absence initiale d’envoi à la victime (Crim. 8 déc. 2015, n° 15-80.338, Dalloz actualité, 8 janv. 2016, obs. L. Priou-Alibert ; RCA 2016, n° 101, note H. Groutel). 

La chambre criminelle, comme la deuxième chambre civile, ont ainsi fait preuve, jusqu’à présent, de rectitude par rapport au texte (position parfois qualifiée d’« intransigeance » selon le camp, notamment note sous Civ. 2e, 7 févr. 2013, n° 11-26. 273, préc., Argus de l’assurance, 24 juin 2013). Cette exigence pouvait s’expliquer, à la fois, par la nécessité de protéger les victimes et par le rôle subsidiaire du FGAO. Le moyen soulevé par ce dernier dans la présente affaire s’entendait parfaitement. Aussi, en admettant que l’assureur peut déléguer au courtier le soin de procéder aux formalités requises par l’article R. 421-5, alinéa 1er, du code des assurances, la deuxième chambre civile rompt-elle, en la faveur des assureurs, avec la tradition de sévérité qu’on lui connaissait. Il conviendra d’observer les prochains arrêts rendus à la matière. 

À cet égard, on doit noter que, depuis le 23 décembre 2023, la nullité ne fait plus partie des exceptions opposables à la victime, l’article R. 421-5, alinéa 1er, du code des assurances ayant été modifié par l’article 3 du décret n° 2023-1225 du 21 décembre 2023 relatif à l’indemnisation des dommages causés à la suite d’accidents de la circulation (tout comme d’ailleurs l’art. R. 421-18 du même code ; v. R. Bigot et A. Cayol, Assurance automobile : suite de la transposition de la directive européenne n° 2021/2118 du 24 novembre 2021, Dalloz actualité, 16 janv. 2024). Cette modification fait suite à l’ordonnance n° 2023-1138 du 6 décembre 2023 portant transposition de la directive n° 2021/2118 du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2009/103/CE concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (R. Bigot et A. Cayol, Assurance automobile : transposition de la directive européenne n° 2021/2118 du 24 novembre 2021, Dalloz actualité, 15 janv. 2024). C’est la suite logique de la position européenne sur l’opposabilité de certaines nullités aux victimes en assurance automobile, notamment en cas de fausse déclaration intentionnelle (par ex., CJUE, 6e ch., 20 juill. 2017, Fidelidade Companhia de Seguros, aff. C-287/16 jugeant les art. 3, § 1, de la dir. 72/166/CEE et 2, § 1, de la deuxième dir. 84/5/CEE s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion dudit contrat). La jurisprudence française s’étant inclinée (v. not., Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot ; D. 2019. 1652  ; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre  ; bjda.fr 2019, n° 65, obs. A. Cayol ; Crim. 8 sept. 2020, n° 19-84.983, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. R. Bigot, T. Boyer et A. Mittelette ; D. 2020. 1719 ), encore fallait-il mettre la règle de droit en parfaite conformité. C’est chose faite : le FGAO devrait donc, à l’avenir, être libéré d’un certain nombre de demandes d’indemnisations qui contribuaient à la fragilité de son équilibre financier.

Une confirmation des règles liées au mandat

La possibilité laissée à l’assureur de confier un mandat à un courtier pour opérer les formalités de l’article R. 421-5 du code des assurances venant d’être entérinée, restait à savoir si l’assureur pouvait attester lui-même dudit mandat. On peut se trouver surpris par la réponse de la Cour de cassation, qui ne se positionne pas du tout sur le droit commun de la preuve, comme le pourvoi l’y invitait, mais sur les règles du mandat, jugeant que « la nullité d’un acte en raison du dépassement de pouvoir du mandataire qui l’a effectué est une nullité relative qui ne peut être demandée que par la partie représentée » (pt 18, préc.). En somme, seul l’assureur aurait pu plaider la nullité du mandat pour dépassement de ses pouvoirs par le courtier. Comment comprendre cette réponse, face au FGAO dont les avocats visaient l’absence de mandat ? Le courtier d’assurance, qui n’est qu’un intermédiaire entre l’offre et la demande, n’a pas le pouvoir d’engager l’assureur et pas davantage l’assuré, bien qu’on le décrive souvent, et de manière trompeuse, comme un « mandataire » de l’assuré (en ce sens, Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, n° 223). La notion de « mandat d’entremise », souvent utilisée au sujet des courtiers et des agents immobiliers, n’emporte pas pouvoir de représentation (en ce sens, M.-J. Loyer-Lemercier, L’intermédiaire contractuel, Thèse Paris II, 2006, n° 18). Cela étant, il est possible, et au demeurant assez fréquent, qu’un assureur donne mandat à un courtier pour la délivrance d’une note de couverture, pour le règlement des sinistres jusqu’à un certain montant, ou bien encore pour le recouvrement des primes. En l’espère, l’assureur se prévalait d’un mandat qu’il aurait donné au courtier pour la gestion des sinistres survenus à l’occasion de la pratique de sports mécaniques. S’il s’agit bien d’un mandat, il emporte le pouvoir de procéder, au nom et pour le compte du mandant, ici l’assureur, à tous les actes rendus nécessaires dans le cadre de l’exécution de la mission, dont l’information prévue à l’article R. 421-5, alinéa 1er, du code des assurances. La solution s’inscrit parfaitement dans la lignée des articles 1984 et suivants du code civil.

Sur l’existence-même du mandat, contestée par le FGAO, la deuxième chambre civile ne surprend par davantage. Sauf exceptions, comme pour les agents immobiliers par exemple en raison des dispositions de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, un mandat peut être donné verbalement (C. civ., art. 1985). À supposer qu’il n’y ait pas eu de mandat, l’assureur aurait pu se trouver engagé par la théorie de l’apparence : son effet est spectaculaire, puisqu’elle permet de passer outre l’absence de pouvoir, condition en principe nécessaire à la représentation. Elle s’applique autant dans l’hypothèse d’un dépassement de pouvoirs (v. not., Cass., ass. plén., 13 déc. 1962, GAJC, tome 2, 13e éd., Dalloz, 2015, n° 282 ; JCP 1963. 13105, note P. Esmein ; D. 1963. 277, note J. Calais-Auloy ; RTD civ. 1963. 572, obs. G. Cornu ; RTD com. 1963. 333, obs. R. Houin), qu’en cas d’absence totale de pouvoir (v. not., Civ. 1re, 11 mars 1986, n° 84-12.940 ; Defrénois 1987. 404, obs. J.-L. Aubert). Généralement, cette théorie est invoquée par le tiers, à l’appui de la croyance légitime qu’il pouvait avoir dans les pouvoirs du pseudo-mandataire. L’affaire commentée s’inscrit, de manière originale, dans une situation strictement inverse : le FGAO ne veut pas considérer le courtier comme un mandataire. Pour autant, c’est l’assureur qui est le principal intéressé au fait d’être engagé par les actes passés par le courtier, raison pour laquelle l’action engagée pour sanctionner le défaut de pouvoir du prétendu mandataire doit lui demeurer réservée (Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.413 ; Civ. 3e, 26 janv. 2017, n° 15-26.814, Dalloz actualité, 14 févr. 2017, obs. M. Ghiglino ; D. 2017. 297  ; AJDI 2017. 520 , obs. D. Tomasin  ; AJ contrat 2017. 299, obs. Y. Dagorne-Labbe ). Et on voit bien, au travers de l’attestation que l’assureur a judiciairement produite pour justifier de l’existence du mandat, qu’il n’a pas du tout l’intention de contester ce mandat ; son intérêt est clairement de ratifier les actes du courtier, dont en particulier les recommandés adressés tant au FGAO qu’aux victimes.

La décision de la deuxième chambre civile est donc classique : l’action en nullité pour absence de pouvoirs du mandataire doit être refusée au FGAO, aux victimes et plus largement aux cocontractants engagés par les actes d’un mandataire. Si l’hypothèse qu’ils invoquent cette nullité demeure rare (leur intérêt commandant généralement de plaider la théorie de l’apparence), elle n’est pourtant pas inédite (Civ. 1re, 2 nov. 2005, n° 02-14. 614, D. 2005. 2824  ; RTD civ. 2006. 138, obs. P.-Y. Gautier ).

 

Civ. 2e, 21 déc. 2023, F-B, n° 21-20.286

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