Avis du CCSF concernant les contrats d’assurance « obsèques » : la pédagogie préférée au devoir de conseil en assurance

Le contrat d’assurance jouit du différé des contreparties : paiements immédiats par le souscripteur ; versement aléatoire et nécessairement décalé de l’indemnité par l’assureur. Dans cet interstice peuvent s’abriter toutes sortes de mauvaises pratiques.

Elles prospèrent d’autant mieux que l’assuré n’est plus de ce monde. De longue date, les contrats d’assurance « obsèques » concentrent les critiques. Sans effet notable. Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) rend un avis, le 8 octobre 2024, pour tenter d’améliorer l’information des assurés et pour favoriser la bonne adéquation entre les garanties promises et les besoins de l’assuré. Le devoir de conseil, appliqué à l’assurance « obsèques » serait sans doute une voie efficace de protection des bénéficiaires de ces contrats, dont le coût de non-conformité pourrait remuer les distributeurs concernés.

L’assurance de frais d’obsèques : un monument de critiques, sans améliorations probantes

La France recense près de 640 000 morts chaque année. Le pic des décès se situe le 3 janvier ; le 8 août est le jour où il y a le moins de morts (INSEE, 30 oct. 2024). L’espérance de vie des Français à la naissance atteint des niveaux inédits : de 85,7 ans pour les femmes et de 80 ans pour les hommes (INSEE, 2023 ; respectivement, 69,2 ans et 63,4 ans, en 1950). Le coût moyen d’un service funéraire complet oscillerait autour de 5 000 € (4 536 €, Xerfi, 2022). 

Le contrat d’assurance « obsèques » propose de financer des frais funéraires. Il est généralement souscrit par une personne physique soit à titre individuel, soit sous la forme d’un contrat d’assurance de groupe à adhésion individuelle. Il se fonde sur une garantie d’assurance-décès « vie entière » (C. assur., art. L. 132-1 s.), laquelle prévoit, en cas de mort de l’assuré, soit le versement d’un capital aux bénéficiaires (« contrat en capital »), soit le financement de prestations précisément définies (« contrat en prestations »). Ces contrats sont recensés par l’Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance (AGIRA), permettant aux proches qui effectuent cette consultation d’en connaître l’existence.

Depuis 2013, les contrats d’assurance obsèques en capital prévoient l’affectation du capital cotisé à l’organisation et à la réalisation des funérailles de l’assuré. Au cas où le coût funéraire serait moindre que le montant du capital cotisé, la différence est versée aux bénéficiaires (CGCT, art. L. 2223-33-1).

Selon l’étude du CCSF, 5,3 millions de ces contrats seraient commercialisés, couvrant presque un tiers (30 %) des décès en France. Ils réunissent 1,8 milliards d’euros de cotisations, parmi 28 milliards d’euros en prévoyance (France assureurs, l’assurance prévoyance en 2023, août 2024).

Ces contrats d’assurance « obsèques » font l’objet de constantes et sérieuses critiques. En particulier, les commentateurs relèvent le manque de lisibilité des informations communiquées aux souscripteurs en vue de la signature du contrat. En 2010, la Commission des clauses abusives avait donné la liste de seize clauses abusives à proscrire des contrats d’assurance « obsèques » (CCA, Recomm. n° 10-02, 25 juin 2010, Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. X. Delpech).

La DGCCRF les contrôle à dose progressive. En octobre 2024, une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a montré qu’un tiers (soit 23) de l’échantillon des distributeurs contrôlés (69 contrôles : 33 professionnels funéraires, 14 assureurs ou mutuelles, 8 courtiers et 14 agences bancaires) présentait des non-conformités (DGCCRF, 21 oct. 2024). Ces contrôles rappellent la coexistence de deux natures d’indemnités : soit le seul financement des obsèques, soit leur financement et leur organisation. Certains de ces contrats ne couvrent donc aucune prestation funéraire, lesquelles restent en conséquence à acquitter au moment du décès. Par exemple, la DGCCRF a identifié un contrat excluant le paiement du creusement d’une sépulture, prestation dont il est loisible de cerner à la fois la récurrence en cas d’enterrement et l’intérêt.

La DGCCRF a identifié des pratiques commerciales trompeuses : comme celle, par exemple, consistant à indiquer à un souscripteur qu’une signature électronique n’a pas la valeur d’un engagement contractuel. La DGCCRF a surtout constaté des manquements à la communication des informations les plus élémentaires : celles attachées à l’identité du distributeur (qu’il est possible de désigner comme informations « de présentation ») ou aux voies de recours, en cas de litige. En particulier : les modalités de saisine du Médiateur de la consommation manquent à certains contrats.

En 2020, la DGCCRF a contrôlé directement un échantillon de prestataires de services de pompes funèbres : 68 % des 623 établissements contrôlés présentaient des anomalies. Des pratiques commerciales trompeuses et des clauses contractuelles abusives sont autant de surcoûts imprévus pour les proches des défunts. Un millier d’opérateurs funéraires sont, de nouveau, contrôlés jusqu’en 2025. Le Conseil national de la consommation (CNC) a émis un avis, relatif à ces prestations (1er juin 2022).

Le Médiateur (de la consommation) de l’assurance observe. Il constate que « Le fonctionnement de ces contrats n’est pas toujours facile à comprendre. Nombreux sont les assurés qui souscrivent ce type de contrat en pensant, à tort, réaliser une opération d’épargne ». Un contrat d’assurance temporaire décès n’est pas un contrat d’épargne ; c’est un contrat de prévoyance (« pure »). Le médiateur de l’assurance invite à attirer clairement l’attention des assurés « sur le caractère temporaire de la garantie décès » (Médiation de l’assurance, oct. 2020). Ce médiateur rappelle que « le montant des cotisations versées sur un contrat obsèques peut dépasser le montant du capital garanti » (Médiateur de l’assurance, 5 mars 2024). En effet, ces cotisations sont viagères.

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) enchaîne stoïquement les recommandations. L’ACPR publie une recommandation (très ferme) pour ces contrats, environ toutes les cinq années. Après sa recommandation de 2011 (n° 2011-R-04 du 15 juin 2011), celle de 2015 (n° 2015-R-02 du 12 févr. 2015), puis celle de 2021 (n° 2021-R-01 du 18 févr. 2021), l’ACPR a mené une campagne de contrôles, en 2023. Elle a utilisé la technique du « client mystère », au demeurant sans doute mal adaptée à la vérification de la délivrance des prestations assurantielles, en pareil cas. L’ACPR a ainsi constaté que sa litanie de recommandations, remontant à 2011, n’était toujours pas appliquée en 2023 (ACPR, communication du 3 nov. 2023). Donc : que la protection des assurés concernés n’est pas effective. Le recueil des besoins est lacunaire ; les informations manquent de clarté ; le conseil est sommaire et n’est pas personnalisé. D’autres contrôles devaient suivre en 2024. Leur suite est inconnue. Avant de « Connaître et conseiller la clientèle dans le contexte de produits financiers et de canaux de distribution innovants » (conférence de l’ACPR du 26 nov. 2024), il serait judicieux de protéger la clientèle souscrivant par les canaux de distribution traditionnels.

Instruit de cette situation hélas caractérisée par des abus commerciaux persistants, illustrant une fois de plus l’inconsistance de la protection des assurés en France, par un courrier (du 5 juill. 2024), le ministre de l’Économie et des finances a demandé au CCSF de rendre un avis sur l’assurance « obsèques ».
 

L’avis du CCSF du 8 octobre 2024 : un monument de bonnes intentions pour combler le « caractère inapproprié de la réglementation appliquée aux contrats obsèques »

La kyrielle des « recommandations » sans résultat s’explique, enfin. Le CCSF évente ce « caractère inapproprié » : la législation d’assurance serait donc inadaptée au contrat particulier d’assurance visant au financement des obsèques. Pour combler ce « manque de lisibilité globale » (sic), le CCSF convoque la réponse classique : le tableau standardisé. Les données de ce tableau comparatif dépendent du mode de paiement des primes d’assurance. Les professionnels eux-mêmes ont été consultés pour en fixer les contours. Il s’agit de « faciliter la lisibilité et la comparabilité entre les offres existant sur le marché pour les souscripteurs de ces contrats. »

Le CCSF note également les effets détrimentaires aux bénéficiaires, des délais de carence et des exclusions. Il souligne la nécessité de mieux informer les familles, les bénéficiaires des contrats en question. 

Quatre familles de recommandations figurent à l’avis du 8 octobre 2024, qui sont autant d’actions correctives attendues des professionnels de l’assurance :

  • la présentation des informations, sous une forme standardisée et comparative : le distributeur produira le tableau comparatif des cotisations et des valeurs de rachat, pour trois exemples d’âges. Le tableau indiquera le montant cumulé des cotisations possiblement versées par l’assuré, selon son âge à la souscription et selon les modalités de paiement des cotisations. Il exposera également les montants des valeurs de rachat du contrat, selon les durées fixées pour son exécution. Les données seront proposées pour trois âges de souscription (50, 60 et 70 ans), en référence à un financement de 5 000 € (CCSF, avis du 8 oct. 2024, annexe 4, p. 21 à 26). Hors la mise à disposition de ces tableaux standardisés « sur les sites internet des organismes » et « sous format téléchargeable », ces tableaux ne sont assortis d’aucune contrainte de remise, ni de preuve de cette remise aux assurés, ce qui est regrettable ;
  • la limitation des carences et des exclusions : classiquement, ces dispositions altèrent la garantie promise. Le délai de carence, s’écoulant entre la date de souscription du contrat et la date de survenance de l’événement, justifie l’absence de paiement de tout capital. Parfois étendu à deux années, l’avis en limite la durée à une année. La variété des exclusions de garanties puise sa source intarissable dans la complexité de la prestation funéraire, qui comporte de multiples points de coûts et ne connaît qu’un vague standard professionnel (CGCT, art. L. 2223-20 et R. 2223-24 s.). Pour sa part, l’ACPR a convié de manière tonique tous les assureurs à réviser leurs contrats, sur ce point (Communication du 24 sept. 2024) ;
  • des modalités complémentaires de paiement des cotisations : hors la prime viagère, systématiquement proposée, et la prime unique à la souscription du contrat, les contrats devront proposer un mode de paiement temporaire, permettant l’étalement du paiement durant des durées, convenues, à choisir par le souscripteur ;
  • une meilleure information des bénéficiaires : en facilitant l’approvisionnement du site d’information de l’AGIRA, sous la forme « d’une interface logicielle qui permette la connexion automatique entre le système d’information des professionnels (notaires, collectivités territoriales, pompes funèbres, etc.) et AGIRA. »

Le CCSF suggère d’étoffer la formation en assurance des vendeurs de ces contrats, qui sont en partie des vendeurs funéraires, agissant souvent comme intermédiaires d’assurance à titre accessoire (IATA), statut qui les dispense de formation continue annuelle (C. assur., art. L. 511-1, III). D’une part, la discussion de la juste adéquation du statut obscur d’intermédiaire d’assurance à titre accessoire aux vendeurs de prestations funéraires est toujours possible (v. pour un ex. contraire, en matière de contrat d’assurance emprunteur par des vendeurs de biens « sans rapport avec le produit d’assurance », ACPR, communication du 15 mars 2023). D’autre part, leurs justificatifs de capacité professionnelle initiale doivent s’avérer conformes, donc : prévoir la formation aux contrats d’assurance « obsèques » qu’ils commercialisent.

Le CCSF « chargé d’étudier les questions liées aux relations entre, d’une part, les établissements [agréés] et, d’autre part, leurs clientèles respectives, et de proposer toutes mesures appropriées dans ce domaine, notamment sous forme d’avis […] » (C. mon. fin., art. L. 614-1) se montre aphone quant à la délivrance du conseil pour ces contrats d’assurance « obsèques. » Un oubli aussi curieux que regrettable. Le CCSF se borne à espérer que le tableau comparatif standardisé « […] pourra constituer un support pédagogique pour accompagner les distributeurs dans l’exercice du devoir de conseil » (CCSF, avis du 8 oct. 2024). 

Or, la délivrance d’un conseil en assurance « obsèques » s’impose, comme pour tout contrat d’assurance (C. assur., art. L. 521-4, « Règles de conduite » du distributeur, articles L. 522-5 et A. 522-2, I, 1°, pour l’assurance-vie ; Civ. 1re, 10 nov. 1964, n° 62-13.411). Même « pédagogiques », même « standardisées » ou « entablées », les informations descriptives d’un contrat ne satisfont pas à la production des informations requises dans le cadre du conseil : analyse des besoins et des objectifs, comparaison de contrats, recommandation, motivation d’une recommandation. Belle illustration du risque de confusion qui découle de l’usage indifférencié, dans un contexte juridique, du terme général d’« information », sans jamais spécifier l’obligation précontractuelle à laquelle ces informations s’appliquent. L’obligation de conseil est nécessairement formalisée par un écrit (CCSF, avis du 8 oct. 2024, annexe 2, p. 18). La « réglementation » d’assurance ne présente donc aucun caractère « inapproprié » au contrat d’assurance « obsèques. » Au contraire.

Précisément, en matière de conseil en assurance, l’ACPR a diffusé en novembre 2024 une « recommandation » relative à ses modalités de délivrance par les distributeurs d’assurance (initialement, Recomm. 2014-R-02 ; supposément, Recomm. 2024-R-03, du 21 nov. 2024). Celle-ci prévoit « l’applicabilité dans le temps des garanties » (pt 2.1.7.1. de la recomm.), ainsi que l’extension du devoir de conseil en assurance dans le temps : « Pour les produits pour lesquels cela s’avère nécessaire, prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur à une échéance périodique adaptée au produit, afin de lui proposer de s’assurer que le contrat et les garanties souscrites sont toujours cohérents avec ses exigences et besoins » (pt 2.2.1.). Cette recommandation de l’ACPR s’appliquant à tous les contrats d’assurance à compter du 31 décembre 2025, l’ACPR peut donc en vérifier la bonne application aux contrats d’assurance « obsèques », lors de ses contrôles en cours.

Les actions correctives exposées dans l’avis du CCSF du 8 octobre 2024 en matière d’assurances de frais d’obsèques se montrent assez simples à cerner et à délivrer. Les distributeurs de ces contrats d’assurance « obsèques » se sont engagés à les mettre en œuvre avant le 1er juillet 2025. Leur application fera l’objet d’un bilan, fin 2026. La « pédagogie » marquera-t-elle la fin de l’opacité contractuelle en ce domaine ? La prochaine recommandation, ferme, de l’ACPR en assurance « obsèques », vers 2026, apportera la réponse. 

 

CCSF, avis sur l’assurance « obsèques », 8 oct. 2024

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